Yves Yger « Je crois à une approche holistique du végétal »
Après avoir été pharmacien puis herboriste pendant plus de trente ans, Yves Yger est devenu un chemineau des herbes ! En empruntant des chemins de traverse, il va à la rencontre de la nature, mais aussi de tous les publics pour partager sa passion des plantes. Retour sur son périple d’un mois et demi qui l’a conduit des Alpes aux Pyrénées.
Plantes & Santé Qu’est-ce qui vous a poussé ainsi sur les chemins de cette « diagonale occitane » ?
Yves Yger J’ai eu envie d’associer la randonnée solitaire, le spectacle vivant et la botanique dans un esprit de performance artistique. L’enjeu n’était pas de relever un défi physique. J’ai choisi la randonnée parce qu’elle laisse place à l’imaginaire, à la réflexion qui émerge à mesure que l’on marche, comme l’ont expérimenté des écrivains marcheurs tels qu’Axel Khan. C’est aussi l’occasion de nouer un vrai dialogue avec la nature. Il ne faut pas oublier que celui-ci passe d’abord par les sens… C’est important de toucher les feuilles, de les goûter. Au début de mon périple, ce fut un plaisir de croquer les jeunes pousses de sapin. Puis, dans les Cévennes, d’avancer au milieu des ajoncs, des ronces… Ça réveille ! Je crois que cette relation corporelle avec les plantes est nécessaire.
P & S Pour rendre la botanique plus vivante ?
Y. Y. Oui ! Je pense qu’il faut sortir la botanique de ses livres, de ses problèmes de nomenclature. Si l’on veut amener plus de monde à cette connaissance, il faut passer par des histoires, des recettes, des légendes… Autant d’éléments qui nourrissent l’ethnobotanique. Cela peut même intéresser les enfants ! Pour moi, cette approche comprend aussi l’imaginaire, la magie, la poésie, la création artistique… Oui, les plantes sont de formidables outils de création. Repensez à certains écrits de Rousseau, qui mêlent littérature et botanique. Même un herbier inclut une démarche artistique, c’est magnifique !
P & S Vous avez plutôt choisi de créer des spectacles pour jalonner votre parcours ?
Y. Y. Les plantes sont de fabuleux supports pour la parole quand on aime jouer avec les mots. Les spectacles que j’ai programmés dans divers lieux historiques et jardins sont aussi pour moi un défi : quand j’arrive sur place, je repère les plantes et les arbres dont je vais m’inspirer. Je m’adapte toujours à ce qui pousse sur le lieu qui m’accueille et au public. Les plantes sont aussi un prétexte au dialogue. D’ailleurs, à la fin de mes spectacles, on vient toujours me voir, et pas forcément des spécialistes. S’ensuivent toujours des discussions qui m’inspirent aussi. Derrière les plantes il y a aussi des hommes, et vice versa !
P & S Ainsi, en chemin, vous glanez aussi des savoirs nouveaux ?
Y. Y. Je parlerais plutôt d’expériences nouvelles… J’ai ainsi dégusté de jeunes pousses de tamier ; je savais surtout que le fruit est toxique. Dans le Minervois, au sud de la montagne sauvage, j’ai ramassé avec une naturaliste quantité de salades sauvages au milieu des cailloux. J’ai aussi découvert que l’on peut manger les jeunes pousses de petit houx. Il existe encore, en France, de nombreuses traditions de ce type, souvent liées, il est vrai, à des habitudes alimentaires. Lors de ma précédente marche, il y a deux ans, j’avais été très intéressé de découvrir que l’alchémille faisait quasiment l’objet d’un culte en Ardèche. Dans cette région, certaines pratiques divinatoires sont aussi associées aux feuilles de buis.
P & S Vous avez été pharmacien puis herboriste… N’y a-il pas des points communs entre ces métiers ?
Y. Y. Mon chemin de vie m’a en effet amené à travailler d’abord dans une officine classique ainsi qu’en milieu hospitalier, en me référant surtout à la médecine allopathique. J’employais assez peu les plantes, mais j’ai appris à écouter les gens quand ils décrivaient leurs soucis de santé. Ensuite, j’ai déménagé en Chartreuse et j’ai découvert une région où les plantes sont particulièrement vivaces dans les esprits et dans le quotidien. Je me suis lancé en créant une herboristerie, en profitant de ma légitimité de pharmacien pour contourner les difficultés réglementaires qui entourent cette profession. Il est vrai que je m’étais déjà intéressé aux plantes au cours de ma jeunesse dans la Creuse. À cette époque, j’ai eu en pharmacie des professeurs à l’ancienne, comme le naturaliste Guignard, qui donnaient beaucoup de leur temps aux quelques passionnés que nous étions.
P & S Vous êtes donc aussi sensible à l’approche scientifique ?
Y. Y. Je crois qu’une simple plante nous permet d’aller très loin. Très loin dans la connaissance, bien évidemment : aujourd’hui, la biochimie nous amène par exemple à approfondir de nouvelles dimensions concernant la constitution des plantes, etc. Mais je crois aussi qu’une plante englobe une dimension que d’aucuns appellent l’énergétique, ou le vibratoire ; ce que l’on retrouve par exemple dans les élixirs floraux. Partir à la rencontre des plantes, ce n’est pas seulement augmenter ou valider un savoir encyclopédique ; je cherche aussi à amplifier mon ressenti intérieur à l’égard du végétal. Il m’est ainsi arrivé de réaliser mon propre élixir avec une fleur qui m’avait inspiré. On touche là une dimension spirituelle qui me permet de vivre de véritables moments de grâce.
P & S Est-ce que ces deux approches sont vraiment compatibles ?
Y. Y. Oui, pour moi, ces deux approches sont tout à fait conciliables ; je suis même convaincu qu’il est souhaitable de les concilier, et aussi de les réconcilier. Il faut briser les murs qui font que chacun reste dans sa chapelle. Je crois qu’aujourd’hui l’heure est venue pour une nouvelle approche holistique du végétal.
Parcours
1955 Naissance à Sainte-Feyre (Creuse).
1978 Découverte des livres et émissions de Jean-Marie Pelt.
1980 Diplôme d’État de pharmacien à l’université Paris XI De
1981 à 2007 Pharmacien en Bretagne, à l’officine et en milieu hospitalier : à Bourbriac, Guingamp et Lannion (Côtesd’Armor). Premières sorties et expositions botaniques.
1982 Rencontre avec Bernard Coat, pépiniériste passionné et « fou de plantes ».
De 1998 à 2004 Metteur en scène et comédien au sein de la compagnie de théâtre de rue Gwelaran (« je vois », en breton).
2008 Arrivée en Savoie, création de l’Herboristerie de Chambéry.
2009 Lancement des « Causeries botaniques », conférences théâtralisées autour du monde des plantes.
2011 Ouverture à Chambéry du restaurant Le Café botanique (cuisine aux herbes sauvages).
2015 Le « Chemineau des herbes » : première tournée pédestre de Chambéry à Nantes, avec animations dans les jardins.
2017 avril à mai La « Diagonale occitane » : nouvelle tournée pédestre de spectacles botaniques dans les jardins, de Chambéry aux Pyrénées.
2017 Commence l’écriture d’un livre inspiré de ses deux traversées pédestres.