Les Blaize, six générations de passeurs de plantes
L'herboristerie du père Blaize est une véritable institution à Marseille et ce depuis 1760. Depuis six générations, le commerce de plantes médicinales a su évolué.
Imprégné des parfums qu’exhale sa boutique, dans un cercueil aromatique, « Toussaint Blaize gît en ce lieu » : cette épitaphe est dédiée à l’un des personnages phares de la cité phocéenne, le « père Blaize ». Cet homme charismatique, né dans les années 1760, parcourt les villages de la vallée des Écrins à dos de mulet et soigne les indigents avec ses herbes, avant d’arriver à Marseille où il ouvre une échoppe en 1815. L’immeuble, doté d’un grenier pour y faire sécher les plantes, est situé à deux pas du Vieux-Port. Toussaint peut ainsi se procurer, en plus de ses plantes provençales et alpines, des végétaux exotiques.
Au XIXe siècle, on privilégie les laxatifs tels la rhubarbe, la bourdaine, la cascara ou l’aloès, vendus pour purger les malades. Toussaint crée également des préparations, comme le concentré végétal, et de nombreuses tisanes toujours commercialisées aujourd’hui. La plus connue, la tisane de longue vie, a fait le tour du monde. Le secret de la longévité selon Toussaint Blaize ? Drainer le foie. Premier consommateur de son breuvage, ayant adopté une hygiène de vie irréprochable, il décède à plus de 90 ans, âge très respectable en 1855.
Des pharmaciens à la Pagnol
Formé par Toussaint, Marc-François, son unique fils, a aussi fait des études d’herboriste à Montpellier dans les années 1840. Son diplôme permet de vendre des plantes séchées par opposition à l’apothicaire qui peut manipuler les toxiques. Mais il meurt la même année que son père, et c’est sa veuve, également diplômée, qui tiendra l’herboristerie jusqu’en 1877, jusqu’à ce que l’unique descendante de la famille, Pauline, épouse Joseph Bonnabel, un herboriste venu des Hautes-Alpes. Sur leurs trois enfants, deux ont la fibre médicale : Jules fait médecine et Paul est diplômé de pharmacie en 1907. Ce dernier reprend les rênes de la boutique qu’il transforme en pharmacie-herboristerie en 1934.
Tout le bâtiment est désormais consacré au stockage des plantes. Durant la Seconde Guerre mondiale, Paul Bonnabel met au point un mélange à fumer à base de barbe de maïs, feuille de tussilage, aspérule odorante, feuille de noyer et fève tonka, qui connaît un grand succès. Ce très bel homme mène grand train : il possède une écurie de course mais laisse quelques dettes à son fils Maxence. Également pharmacien, celui-ci reprend la boutique en 1950. Tel le héros d’un film de Pagnol, il trône derrière le comptoir en homme bienveillant et généreux. Maxence et son personnel peuvent passer des heures à préparer un sirop ou à faire les premiers cachets de plantes.
C’est aussi le début de l’homéopathie, sous le regard attentif de Martine, une de ses filles qui l’assiste à partir de 1970. Initiée à la botanique par son père, elle choisit les études de pharmacie et médecine. En 1979, elle agrandit sa boutique, y ajoutant une pharmacie qui vend des gélules végétales préparées sur place, mais aussi des médicaments allopathiques. Les plantes sèches occupent aujourd’hui la moitié de l’activité et sont pesées au détail, sur quatre grandes balances qui ont remplacé les trébuchets. Fini les ramasseurs locaux, fini les dépôts d’herboristes en gros dans Marseille, tout passe par les laboratoires.
Témoignages du monde entier
La « mère Blaize », comme elle se baptise, a également développé la fabrication d’huiles essentielles et de nouvelles préparations (crèmes, tisanes…), continuant à transmettre le savoir familial, notamment à travers deux livres et un site web de vente. Avec trois pharmaciens, deux préparateurs et plusieurs vendeuses, la boutique, avec ses boiseries d’époque et ses tiroirs à herbes, reste un temple de la phytothérapie (80 % de son activité). « J’ai conservé des milliers de lettres en provenance du monde entier, témoignant des bienfaits apportés par les plantes, et j’aime à croire qu’on ne s’appelle pas Blaise (avec un s à l’origine) pour rien : saint Blaise était le patron des guérisseurs », commente-t-elle. Y aura-t-il un repreneur familial pour perpétuer la tradition ? Malheureusement non, mais Martine, maître de stage à la faculté de Pharmacie, mise sur l’émergence de nouvelles vocations. Persuadée que l’herboristerie du père Blaize a encore de beaux jours devant elle.