Juliano Ribeiro Salgado : « Nous allons planter 100 millions d’arbres en 25 ans »
« Le Sel de la terre », qui a remporté le César 2015 du meilleur documentaire, est un hommage au magnifique travail du photographe brésilien Sebastião Salgado. Coréalisé par son fils Juliano et Wim Wenders, "Le Sel de la terre" met en lumière l’autre projet un peu fou de Sebastião Salgado : reboiser les terres de la ferme familiale au Brésil. Juliano Ribeiro Salgado nous raconte ici la genèse d’Instituto Terra, un lieu porteur d’espoir et riche d’enseignements.
Plantes & Santé Comment cette ferme familiale située dans la Mata Atlantica (Forêt atlantique) est-elle devenue un désert ?
Juliano Ribeiro Salgado Quand mon grand-père achète la ferme Bulcao dans les années 1950, située à Aimorés, dans la région de Minas Gerais, au Brésil, il y a plus de 600 hectares de forêt et la terre est riche. Il y pratique une agriculture de subsistance pour élever sa famille. Sans état d’âme, il coupe le bois, le vend et l’utilise comme bois de chauffage. Mon grand-père a surexploité cette terre car il voulait que ses enfants aient une meilleure condition que la sienne. Quarante ans après, involontairement, par manque d’instruction, il avait complè-te-ment éradiqué la forêt de sa ferme devenue un désert. Quasiment plus rien n’y poussait.
P. & S. Comment a débuté l’aventure de l’Instituto Terra ?
J. R. S. En 1997, mes parents ont décidé de replanter une forêt identique à celle qui existait. Mon père, qui avait photographié les pires drames humains, a ressenti le besoin de retrouver ce lien pur avec la terre. Au début, les fermiers de la région et mon grand-père pensaient que mes parents jetaient leur argent par la fenêtre. Il y avait en effet un taux de perte de 60 %, car mes parents ne possédaient pas le savoir-faire. Je me souviens qu’à l’époque, avant que l’on produise nos propres plants, les pousses arrivaient dans des sachets en plastique. Pour les planter, il fallait faire un trou dans la terre, attendre que l’eau de pluie s’accumule autour des plants et croiser les doigts pour que cela marche. Petit à petit, mes parents ont mis en place une pépinière avec une capacité de production de 80 000 plants. Au fur et à mesure, ils sont arrivés à une capacité de stockage d’un million de pousses par an. Ensuite, ils ont aussi eu accès à d’autres sources de financement comme des collectivités locales, des entreprises… Car au Brésil, les entreprises qui polluent sont obligées de financer des projets de reforestation. Aujourd’hui, le taux de perte de
l’Instituto Terra s’élève à 20 %, et il peut produire un million d’arbres par an.
P. & S. D’où proviennent les espèces qui ont été plantées au départ ?
J. R. S. La ferme a reçu de la part des botanistes de la fondation SOS Mata Atlântica, (forêt soumise à l’influence océanique, ndlr) des espèces endémiques comme le pau-brasil, l’ipê, le jequitibas géant, l’anacardier, des orchidées sauvages, des lys et des bégonias. La Mata Atlantica est la forêt la plus riche de la planète par sa biodiversité, mais la majorité des espèces y sont en voie d’extinction à cause de la déforestation. Elle ne fait plus que 7,3 % de sa superficie initiale. Sur les parties les plus érodées du terrain, on a planté des légumineuses d’origine exotique provenant du biome de la Caatinga (nord-est du Brésil, ndlr). On y trouve du mimosa, des acacias, des flamboyants. Leurs racines ont la particularité métabolique de fixer l’azote. Du coup, le sol est plus équilibré, il redevient fertile.
P. & S. Au niveau de la faune et de la flore, quelles espèces sont réapparues ?
J. R. S. C’est impressionnant, il y a un tas d’animaux qui sont revenus : des paresseux, des tortues, des renards gris, des perroquets, des colibris, des singes… et même des jaguars ! Ces deux espèces sont tout en haut de la chaîne alimentaire. C’est très bon signe quand elles sont de retour. Le dernier rapport de l’Instituto mentionne l’existence de 180 espèces environ. On a également retrouvé trois plantes connues pour leurs vertues médicinales telles que l’aroeira, l’angico et le cajueiro.
P. & S. Comment avez-vous fait revenir l’eau sur cette terre déserte ?
J. R. S. Le fleuve immense qui irriguait la vallée du Rio Doce derrière la maison de mon grand-père était quasiment asséché. Mais en replantant les arbres, l’eau est revenue. Les plantations ont stabilisé le sol, les racines des arbres retiennent l’eau et la libèrent lentement, ce qui empêche la terre de boucher les sources d’eaux. L’Instituto vient de passer à une étape supérieure : Nous avons signé un contrat pour replanter cent millions d’arbres sur vingt-cinq ans autour des 370 000 sources d’eau du fleuve Rio Doce. Du coup, dans la zone de la fondation, agriculteurs et fermiers doivent garder 30 % de forêt intacte, et l’Instituto s’engage en contrepartie à les aider pour replanter la végétation.
P. & S. L’Instituto Terra a donc pour vocation de replanter et d’éduquer les populations locales. Quelles actions ont été menées dans ce sens ?
J. R. S. L’Instituto a développé une école qui joue sur trois niveaux. Premièrement, donner des cours aux fermiers locaux pour moderniser leur technique de travail tout en préservant la terre.
Deuxièmement, les meilleurs élèves des écoles de la région destinés à être agriculteurs, comme leurs parents, suivent une formation sur l’écologie. Troisièmement, les ingénieurs agronomes peuvent y suivre une spécialisation en récupération des terres dégradées.
P. & S. Concrètement, quels sont les impacts de tous ces bouleversements, de tous ces changements sur la région ?
J. R. S. L’Instituto Terra est le plus grand employeur de la région : une soixantaine d’employés travaillent sur le domaine pour planter des arbres. Deux millions et demi d’arbres ont été plantés, c’est le projet de reforestation le plus grand au Brésil. Visuellement, on voit que la terre a été guérie. C’est formidable ! Les fermiers qui habitent ces terres vivent dans de meilleures conditions et ont pris conscience qu’on pouvait cultiver les champs différemment. Leurs vaches polluent moins en utilisant moins d’espace et produisent plus de lait. Cela améliore leur vie, même si ce sont des gens qui restent très pauvres : dans de nombreux endroits, il n’y a pas d’électricité, l’eau courante est celle de la rivière ou du puits. Mais aujourd’hui, ils ne sont plus obligés de partir, leur terre est productive et ils gagnent de l’argent. L’Instituto Terra a ainsi construit une relation de proximité avec ces populations rurales en éveillant leur conscience écologique. Qui plus est, le succès de ce projet pilote est tel qu’il a contribué à développer des programmes identiques de reforestation dans les zones alentour.