Pascale Laussel :
« Une autre façon d’exploiter
la forêt est possible »
Les forêts françaises sont devenues pour moitié des monocultures d’arbres. De véritables « usines à bois », dénoncent des agents de l'ONF. Or, il est possible de les gérer autrement, comme nous l’explique Pascale Laussel, technicienne forestière engagée pour une sylviculture douce.
Plantes & Santé En septembre-octobre, des salariés de l’Office national des forêts (ONF) ont participé à une grande marche pour dénoncer la mauvaise gestion des forêts publiques. En parallèle, sortait au cinéma Le temps des forêts, un documentaire sur la « malforestation ». Peut-on considérer que la sylviculture française est en crise ?
Pascale Laussel Effectivement. Car nous sommes arrivés à un système d’industrialisation de la forêt, où des techniques comme la mécanisation, l’utilisation de produits chimiques et la simplification des cultures se sont intensifiées, comme en agriculture. Aujourd’hui, on demande à la forêt de produire toujours plus de bois, sans tenir compte des conséquences. Cela conduit à l’appauvrissement des sols, à la perte de biodiversité, à la dégradation de la qualité des eaux et au dérèglement du climat global et local.
À travers leur marche, les salariés de l’ONF dénoncent le fait que leur Office ne réponde plus qu’à des objectifs de rentabilité immédiate. Quant au film Le temps des forêts, qui concerne principlament le domaine privé, il montre que celui-ci présente aussi de graves problèmes de gestion, résumés par le terme de « malforestation » : 51 % des forêts françaises, publiques ou privées, sont à présent composées d’une seule essence.
Comment ces monocultures d’arbres se caractérisent-elles ?
Elles sont, pour la plupart, constituées de résineux, souvent du pin Douglas, du pin noir ou du pin maritime. Ce type d’arbre pousse vite et permet de rentabiliser les énormes machines dans lesquelles les forestiers investissent. Au final, 80 % des massifs en France ont moins de 100 ans, et seul 1 % a plus de 200 ans. Ce qui signifie qu’on coupe les arbres avant qu’ils ne deviennent matures.
Première conséquence : il reste très peu d’arbres « éducateurs », capables d’aider les petits à bien pousser et à s’adapter aux aléas du milieu. En outre, ces peuplements jeunes, que l’on peut comparer à des « crèches », épuisent les ressources, car les « enfants » pompent des éléments de croissance à leur milieu. Ce n’est qu’à un âge adulte – qu’on ne leur laisse pas atteindre – que les arbres pourraient commencer à les rendre… Enfin, l’implantation de certaines monocultures suppose d’avoir rasé des forêts de feuillus diversifiées et parfois très anciennes.
Qu’est-ce que la sylviculture douce que vous soutenez à travers le Réseau pour les alternatives forestières (RAF) ?
C’est avant tout un état d’esprit : intervenir de manière différente selon le type d’arbre et de lieu. Pour résumer, on s’adapte à la forêt au lieu de l’adapter à nos besoins ! Par exemple, on prélève au maximum 25 % d’un peuplement. Autre technique : privilégier une mécanisation légère, voire des chevaux de trait, afin de ne pas tasser le sol. Il devient alors inutile de créer de grands couloirs qui dégradent la forêt.
Enfin, de nombreux métiers en lien avec les arbres et le bois ont disparu à cause de la mécanisation. La sylviculture douce se joue donc aussi au niveau social : on traite les personnes qui travaillent en forêt, ces professionnels à l’interface entre le bois et les besoins de la population, avec considération. On s’organise pour les rémunérer de façon correcte.
Une étude publiée dans Diversity & Distributions montre que l’Europe compte 1,4 million d’hectares de forêts primaires, dont 7 500 en France. Comment la sylviculture douce s’y applique-t-elle ?
Sur 17 millions d’hectares de forêt en France, il n’y a que 7 500 hectares de forêts primaires, c’est dérisoire ! Sachant que les trois quarts de la forêt française sont privés, le RAF a créé fin 2017 un fonds de dotation, « Forêts en vie », afin de racheter des sites. Notre premier objectif est la préservation. Que ce soit sans intervenir sur les arbres (on les laisse « en libre évolution ») ou en intervenant de manière mesurée, en imaginant l’avenir. On peut ainsi acheter de vieilles forêts pour les protéger, ou des secteurs risquant d’être rasés pour y planter des résineux.
Notre second but est de mettre des sites en gestion auprès de collectifs locaux. Nous croyons en la vertu des projets participatifs : lorsque se croisent différentes visions d’une problématique, on aboutit à la prise en compte d’un maximum de paramètres. Dans le cas des forêts, je pense aux préoccupations relatives à l’écologie, au paysage, au climat global, aux microclimats…
Nous souhaitons que des collectifs, qui sont au plus près du terrain, gèrent des activités comme la coupe du bois, la plantation diversifiée, la cueillette de plantes sauvages et de champignons, l’accueil du public, des jeunes notamment, etc. Au final, l’idée est de transmettre des façons d’être dans la forêt.
Existe-t-il des exemples de gestion collective de la forêt en France ?
En 2010, j’ai créé l’association Dryade, dans la vallée de la Drôme. Dans cette structure de type Amap, des consommateurs passent des contrats avec des propriétaires forestiers pour leur acheter du bois de chauffage : 25 familles sont impliquées et reçoivent des bûches d’essences variées. Le bois doit être coupé dans un rayon de 30 km au maximum et on s’engage à ce qu’il provienne de feuillus durs à hauteur minimale de 20 %.
Les bûches bénéficient de deux étés de séchage, d’où un meilleur pouvoir calorifique, et l’on change régulièrement de forêt pour les coupes. L’exploitant est payé à l’avance par les consommateurs ce qui lui permet de mieux gérer sa trésorerie. Et, bien sûr, les bucherons sont correctement rémunérés.
« Dryade » est le nom des nymphes protectrices de la forêt ; cette association veut prouver qu’une sylviculture douce est possible. L’objectif plus global est d’aider à développer une relation harmonieuse entre l’homme et la nature. D’ailleurs, dans l’une des forêts où nous avons effectué un chantier, nous accueillons désormais des enfants pour des activités d’immersion dans les bois.
Si des consommateurs peuvent agir sur la gestion de la forêt, quels sont les autres leviers ?
Il vaut mieux acheter du bois massif et être vigilant quant à son origine. Ces préoccupations simples vont favoriser l’emploi local, contribuer à faire perdurer les savoir-faire artisanaux et procurer du plaisir ! Et l’on en tirera même des bénéfices au niveau de notre santé : des études ont montré l’intérêt d’avoir du bois massif chez soi, notamment pour la respiration et la qualité du sommeil.
Biographie de Pascale Laussel
- 2001 Obtient le diplôme d’ingénieur économiste.
- 2001-2008 Dirige un service de mesure d’efficacité publicitaire pour une agence média.
- 2009 Année sabbatique. Découvre l’éducation populaire et le Réseau des alternatives forestières (RAF).
- 2010 Impulse le développement du RAF. Crée Dryade, association pour la vente responsable de bois-bûche.
- 2014 Publie Vivre avec la forêt et le bois - Portraits d’acteurs engagés, en auto-édition.
- 2015 Obtient un BTS en gestion forestière.
- 2016 S’initie à la menuiserie à partir de bois locaux (construction d’habitats légers).
- 2017 Commence à animer des immersions en forêt (publics jeune et adulte).
- 2018 Coécrit Agir ensemble en forêt - Guide pratique, juridique et humain (Éd. C. L. Mayer).
Les gardes forestiers ne se laissent pas abattre !
Les forêts françaises publiques fournissent actuellement 40 % des besoins en bois, alors qu’elles ne représentent qu’un quart de la surface en forêt du pays. Pour arriver à ce ratio, l’ONF plante des monocultures et se mécanise à outrance. L’Office est aussi soumis aux besoins de l’industrie : elle alimente la centrale de Gardanne, qui produit de l’électricité à partir de la biomasse avec du bois coupé dans le Jura, à 500 km de distance de l’usine. Les garde-forestiers, aux manettes d’énormes engins, ressentent une profonde perte de sens. Cet automne, ils ont organisé une Marche pour la forêt afin de sensibiliser le public à travers la France.