Marie Gustave «Le jardin créole, lieu de pérennisation des savoirs»
Marie Gustave fait feu de tout bois pour la reconnaissance de la médecine traditionnelle aux Antilles. Présidente de l’Association pour la promotion des plantes médicinales et aromatiques de la Guadeloupe (Aplamedarom), elle organisait le mois dernier un colloque international. Elle nous raconte comment les rimèd razié font leur retour en force sous les tropiques.
Plantes & Santé Vous avez organisé début octobre le 8 ème Colloque international des plantes aromatiques et médicinales, chez vous en Guadeloupe. Sa thématique, « Innovations et traditions au cœur de la biodiversité des Caraïbes », est-elle à l’image de la situation actuelle en outre-mer ?
M. G Effectivement, de nos jours, à côté des usages traditionnels, on veut connaître les principes actifs qui prouvent l’efficacité des remèdes. Les tradipraticiens et les recettes de bonne femme sont confrontés aux tests pharmacologiques. En Guadeloupe, des laboratoires fabriquent des infusettes à partir de plantes locales, mais aussi des phytomédicaments vendus en pharmacie. Ces innovations inspirées de la tradition sont des opportunités pour tirer parti de la biodiversité, si riche ici : la seule petite île de Marie-Galante compte plus d’espèces que toute la métropole. Nous avons par ailleurs répertorié 625 plantes médicinales en Guadeloupe. Le colloque a aussi été l’occasion pour les membres du réseau Tramil (groupe de recherche sur les plantes médicinales des Caraïbes, ndlr) de se rencontrer. C’est grâce à eux que nous avons maintenant un socle de base en matière de connaissance des médecines traditionnelles caribéennes.
P. & S. En 2013, quarante-huit plantes médicinales de la Martinique, de la Réunion et de la Guadeloupe ont rejoint la pharmacopée française. En quoi cette officialisation représente une avancée ?
M. G Les remèdes populaires ont été interdits en Guadeloupe et en Martinique par un arrêté datant de 1799 et promulgué sous la pression des sociétés de plantations. Celles-ci craignaient en effet de se faire empoisonner par les gens de couleur, libres ou esclaves... Cet arrêté n’est vraiment tombé qu’en 2009, lorsque le code de la santé publique a enfin inclus dans la pharmacopée française celle de l’outre-mer : une première grande victoire pour la reconnaissance de nos espèces médicinales locales. L’intégration des quarante-huit plantes d’outre-mer – dont quinze originaires de Guadeloupe – dans la pharmacopée française est notre deuxième grande victoire, gagnée grâce à Henri Joseph (pharmacien qui a créé l’Association pour la promotion des plantes médicinales et aromatiques de la Guadeloupe, l’Aplamedarom, ndlr). Il faut dire qu’à son retour en Guadeloupe, dans les années quatre-vingt, à la fin de ses études, il a constaté qu’il ne pouvait pas vendre dans son officine les rimèd razié, nos espèces locales, mais seulement des plantes médicinales métropolitaines, tilleul, camomille ou encore verveine...
P. & S. La médecine par les plantes n’a pourtant pas cessé aux Antilles pendant ces deux cents dernières années ?
M. G Il y a la loi et il y a les gens qui font sans demander la permission. Ainsi, les savoirs oraux et les savoir-faire ont perduré dans la Guadeloupe profonde. En particulier dans le jardin créole, lieu de pérennisation des savoirs traditionnels. Aujourd’hui, il y a un retour en force des plantes médicinales : tout le monde s’inquiète des effets secondaires des médicaments allopathiques. Avec l’Aplamedarom, nous nous inscrivons dans cette dynamique. Nous veillons à ce que cela se fasse dans le respect de la biodiversité. Nous avons par exemple mené une campagne pour que le public ne confonde pas deux arbres : d’un côté le catalpa (Thespesia populnea) dont les feuilles et les fruits sont médicinaux, de l’autre le mancenillier (Hippomane mancinella) aux fruits très toxiques parfois consommés par les touristes. Notre association est désormais sollicitée par les autorités sanitaires : prochainement, je suis invitée à faire une conférence sur les usages des plantes au CHU de Point-à-Pitre à destination des aides-soignants. Le directeur de la caisse générale de la Sécu s’intéresse à la phytothérapie. La porte n’est plus fermée.
P. & S. La filière locale des plantes médicinales suit-elle ce développement ?
M. G Il y a un désir, mais on en est qu’au début chez les agriculteurs. Toutefois, on trouve désormais des huiles essentielles locales comme le bois d’Inde. Mais le lieu de prédilection pour les plantes médicinales est le jardin des tradipraticiennes. Celles-ci vont ensuite les vendre sur les marchés et, de plus en plus, les clients s’y bousculent.
P. & S. Face à l’épidémie de chikungunya qui sévit actuellement dans les Antilles, votre association propose-t-elle des remèdes ?
M. G L’Aplamedarom recense les pratiques de la population face à cette épidémie. Je suis très à l’écoute et je sais par exemple qu’on utilise le jus de feuilles de papayer associé à du miel. Le bouche-à-oreille fonctionne. Mais dans ce genre de problème de santé publique, on avance à petit pas.
P. & S. Certaines plantes médicinales sont-elles déjà très recherchées ? Je pense par exemple au fameux bois bandé réputé comme étant aphrodisiaque...
M. G Lorsqu’on se promène dans la forêt humide, on reconnaît facilement le bois bandé : ce sont les arbres qui n’ont plus d’écorce ! Aux dires du peuple, c’est efficace, mais il n’y a pas eu de confirmation de ses vertus. Le problème de la cueillette va se poser pour d’autres espèces, notamment à cause des pesticides : ces traitements font disparaître le persil bâtard ou la glycine. N’oublions pas que 80 % de la biodiversité de la France se trouve en outre-mer. C’est un trésor que nous devons protéger...
Té péyi, le thé des Antilles françaises
Entendez « thé pays » (Capraria biflora), une tisane très populaire aux Antilles. Must des jardins familiaux et véritable panacée en médecine traditionnelle, elle est l’une des 48 espèces intégrées dans la pharmacopée française. La science a consacré ses propriétés antibiotiques et fongicides et mis en évidence une substance analgésique ainsi qu’une activité hypoglycémiante dans ses parties aériennes. L’infusion de la plante entière est utilisée contre les rhumes, pour ses propriétés digestives et en usage externe contre les entorses.
Reconnaissances officielle en sept dates
1983 - Création du réseau Tramil qui rassemble deux cents experts et a pour objectif la promotion des plantes médicinales.
1998 - Sortie de la première pharmacopée caribéenne par la Tramil grâce aux recherches de deux cents chercheurs dans trente pays.
2000 - Création de l’APLAMEDAROM (Association pour la promotion des plantes médicinales et aromatiques de la Guadeloupe) par Henry Joseph, pharmacien et docteur en pharmacognosie.
2001 - L’avocate Isabelle Robard propose la modification du code de la santé publique, genèse de la bataille pour la reconnaissance des plantes médicinales d’outre-mer.
2003 - Création du premier diplôme universitaire (DU) de phytothérapie tropicale à la faculté de médecine de Pointe- à-Pitre, en Guadeloupe.
2009 - Vote de la réforme pour le développement économique des outre-mer proposant une modification du code de la santé publique. Ce dernier inclut dans la pharmacopée française celle de l’outre-mer.
2013 - Entrée de quarante-huit plantes médicinales de la Martinique, de la Réunion et de la Guadeloupe dans la pharmacopée française.