Craig Gibsone : À Findhorn, et si on faisait pousser des hommes?
Des légumes géants apparus sur une lande sablonneuse du nord de l’Écosse ont fait de Findhorn un lieu mythique. Cinquante ans plus tard, la communauté, écovillage insolite, est devenue un lieu de formations à des approches alternatives emprunt de spiritualité. Rencontre avec l’un de ses vétérans, Craig Gibsone, alors que la Fondation Findhorn accueille en juillet le GEN, un réseau mondial d’écovillages lancé il y a vingt ans.
Plantes & Santé D’un simple potager « magique » à une communauté multifacette qui accueille plus de 10 000 visiteurs par an, comment vivez-vous l’évolution de la Fondation Findhorn ?
Craig Gibsone Bien, car l’esprit de Findhorn n’a pas vraiment changé. Les fondateurs, que j’ai bien connus, ont toujours insisté sur les mêmes valeurs : écoute intérieure, respect de la nature et de sa propre nature, interdépendances, ouverture intuitive à d’autres connaissances. À partir de cela, ils sont apparus comme des pionniers en écologie. Mais en réalité, c’est le désir d’une spiritualité en action qui a toujours été leur moteur pour des propositions alternatives de vie.
P. & S. A-t-on trop insisté sur le côté « légumes magiques » ?
C. G. C’était la partie la plus visible de l’iceberg. Cela peut se comprendre car il y a plus de cinquante ans, peu d’Occidentaux pensaient en termes de cocréation, c’est-à-dire d’écoute et de collaboration avec toutes les intelligences de la nature. Mais encore une fois, les fondateurs, Peter et Eileen Caddy et leur amie, Dorothy Mac Lean, n’ont jamais eu pour objectif d’être exemplaires en agriculture, ni de créer une communauté! Eileen et Dorothy ont reçu de singuliers messages spirituels. Peter Caddy s’était intéressé à la tradition rosicrucienne et à la mouvance théosophique, et tenait Rudolf Steiner (le fondateur de l’anthropo-sophie, ndlr) en grand respect. Tous les trois ont seulement choisi de pratiquer une autre ouverture de conscience à la vie, sous toutes ses formes. «Vous voulez changer le monde ? Changez-vous d’abord ! » est l’un des messages que Eileen a reçu dans ses méditations. Du coup, dès les années soixante-dix, ils ont précisé qu’il était question de faire pousser des humains nouveaux plutôt que seulement des légumes.
P. & S. Findhorn ne cultive pas assez pour nourrir son monde et on n’y mange pas toujours bio. N’est-ce pas tout de même un peu décevant ?
C. G. Dans les 10 000 lieux répertoriés dans 35 pays au sein du réseau d’écovillages (GEN), il y a une variété incroyable de propositions de vie alternative. Être autonome en alimentation n’est pas obligatoire. Même si c’est souhaitable, compte tenu des crises énergétiques à venir et des dégâts faits à l’environnement. Mais comment nourrir tout le monde, et bio, à partir d’une terre difficile ? Seu- lement une trentaine de personnes travaillent à la terre. Et la Fondation reçoit plus de 4 000 stagiaires par an et des milliers de visiteurs de passage...
P. & S. Que sont devenus les potagers qui ont fait votre légende ?
C. G. Non loin des caravanes présentes à l’origine et du potager de 1962, devenu un jardin plutôt méditatif, il y a quelques hectares où l’on cultive comme aux débuts, exclusivement à la main, avec le plus d’amour et de conscience possibles et quelques principes de biodynamie. Ces légumes ou ces herbes seront dans les assiettes de nos deux cantines moins de trois heures après leur cueillette. Ce qui est sain, hautement nutritif et respectueux de l’écologie. On aimerait faire plus. On tente d’ailleurs à nouveau de mutualiser la production agricole de plusieurs communautés bio des environs.
P. & S. Et parler rendement à du sens ?
C. G. Oui, car en dépit d’une terre surtout sablonneuse, d’une latitude très problématique, avec froid et vent, d’une saison très courte, les rendements sont très bons. On passe pourtant beaucoup de temps à devoir former des volontaires qui ne resteront pas, ou à accueillir certains programmes d’entraide sociale ou psychologique. Cela participe de la cocréation, car les gens vont mieux ici. Mais les plantes font plus encore : elles collaborent à l’assainissement des eaux, nous enseignent et nous soignent. Dans mon propre jardin, que je traite seulement en permaculture, j’ai vu apparaître des plantes utiles à ma santé, alors que je traîne un cancer depuis des décennies...
P. & S. En quoi Findhorn est-il un écovillage dans le sens où on l’entend aujourd’hui ?
C. G. Findhorn a l’empreinte carbone la plus faible de tous les pays occidentaux, même si certains ont une voiture ou voyagent parfois en avion. Certes, ça ne concerne qu’une petite communauté, répartie sur plusieurs lieux séparés, mais ça reste exemplaire.Panneaux solaires et éoliennes nous alimentent et fournissent même un surplus revendu aux villages voisins. Les maisons sont souvent faites à partir de matériaux recyclés, comme celle dans laquelle je vis, à partir d’une immense barrique qui servait à la conservation du whisky. On recycle toutes nos eaux usées, toilettes comprises, grâce à une Living Machine, système d’assainissement par des plantes et des bactéries naturelles qui a été primé internationalement pour son efficacité, et on reforeste les dunes. Par ailleurs, on cherche à attirer des entre- prises qui ont les mêmes valeurs que nous. Ce qui est le cas pour le programme Trees for life (Des arbres pour la vie), programme majeur de réhabilitation de la forêt dite caledonienne, initié ici. On a aussi créé notre monnaie locale, l’Eko, pour que cette énergie qu’est l’argent puisse circuler entre nous.
P. & S. Quels enseignements Findhorn pourrait partager avec de plus jeunes écovillages ?
C. G. On n’est pas Utopia Land, ni un modèle, vous savez ! On se veut d’abord une communauté spirituelle, une notion difficile à résumer. Mais on ne fait aucun prosélytisme. On est juste un laboratoire qui fonctionne autour de valeurs telles que le respect de la terre et des humains, les échanges éthiques, la durabilité, et qui est confronté à tous les défis de la société. Mais on a un peu de recul et on peut déjà partager un vécu. Par exemple, il faut faire attention au dogmatisme. Restons flexibles et tolérants. Il y a des gens qui ne mangent pas bio ici, des gens qui ne vont pas aux séances communes de méditation. Chacun reste libre. Par ailleurs, l’expérience nous a montré qu’on doit écouter les « autochtones » ; ils ont tous une mémoire utile à partager à propos de la terre. Il faut aussi penser à l’intégration de nouveaux arrivants, sans pour autant envisager que les gens s’installent sur place ! On n’a jamais eu l’intention de grandir à tout prix, mais plutôt d’inspirer un mode de pensée. Enfin et surtout, j’insisterais sur les processus de résolution de conflits, de communication non violente et de connaissance de soi.
P. & S. Dans le catalogue de vos stages, une majorité ne concerne donc pas la terre, la permaculture ou la durabilité, mais plutôt le développement d’une conscience personnelle. Et ils sont assez chers. Est-ce adapté aux jeunes et au futur ?
C. G. Nous avons des bourses et diverses formules alternatives. On peut également être volontaires sur plusieurs mois. Concernant les thématiques, le féru de permaculture que je suis fait toujours des liens entre la nature et sa propre nature. Par exemple, avant de faire un jardin, on conseille d’observer son terrain au moins une année ! Pour soi aussi, il est bon de prendre du temps pour planter de nouvelles graines ou intégrer sans dommage ce qui vient spontanément. Je n’aime pas parler de mauvaises herbes pour le jardin, car elles sont sou- vent utiles. Dans la vie, je dirais qu’il faut savoir penser enseignement ou challenge, et non critique ou attaque. Globalement, on développe plus d’aptitude à l’intuition et à la cocréation. Les énergies et les intentions sont essentielles. On ne fait que commencer à le prouver.
P. & S. Beaucoup de cheveux gris accueillent les visiteurs... Souvent, les pionniers sont restés. Que faire pour que Findhorn ne meure pas avec eux ?
C. G. C’est un défi, c’est vrai. On a créé une école Steiner dans le village voisin. On cherche des solutions pour rajeunir les cadres. Mais vous savez, je suis plutôt bouddhiste d’esprit et l’impermanence ne me gêne pas. Parfois, je me dis même en riant que Findhorn doit peut-être disparaître pour que son esprit soit encore plus mythique, encore plus inspirant !
Findhorn sur plus de 50 ans
1962 Installation de Peter et Eileen Caddy et de leur amie Dorothy Mac Lean dans une caravane à Findhorn.
1963 Développement du potager en cocréation avec les Devas, les esprits de la nature.
1975 Achat du vieil hôtel victorien Cluny Hill.
1978 Autres acquisitions de terrains.
1979 Autogestion totale.
1995 Mise au point de la Living Machine pour le traitement complet et naturel des eaux usées de la communauté (350 personnes).
1999 Obtention d’un statut consultatif auprès de l’ONU pour la Fondation Findhorn (environ 120 membres). En parallèle, création de la New Findhorn Association (NFA), nouvelle association fédérant plus de 350 personnes et 40 entreprises.
2006 Une étude suédoise atteste de l’empreinte carbone la plus basse du monde industrialisé.
2010 Un nouveau système de biomasse procure une énergie propre aux bâtiments communautaires.
2011 Nouveaux programmes de construction en co-housing.
Juillet 2015 20e anniversaire du Global Ecovillage Network (GEN) à Findhorn.
Un animisme singulier
Comme le font les vrais chamanes, bien qu’étant une universitaire canadienne très « comme il faut », Dorothy Mac Lean a commencé à entrer en contact avec les esprits de la nature dès les années soixante. Elle recevait aussi bien des messages pratiques (où faire pousser quoi, quelles espèces associer, quelles cueillettes pratiquer) que des messages plus globaux sur la pollution ou la nature profonde des espèces connectées au Divin... « Faites votre travail et nous ferons le nôtre. Mais respectez-nous mieux », ont-ils soufflé, en substance. Afin de rester fidèle à cet héritage, chaque jardinier est invité à se recentrer, à se connecter à lui-même et aux esprits. En outre, dans la forêt environnante, un petit groupe qui a estimé « qu’on se sert plus de la nature qu’on ne la sert » a créé trois petits havres de ressourcement pour les esprits ; chacun est invité à leur apporter énergie et gratitude... La cocréation reste un maître-mot à Findhorn, où l’on estime que « l’intelligence est partout, matière ou pas, et qu’on peut s’y connecter si l’on est soi-même aligné à l’essence de son être », résume une formatrice. Dans ces conditions, on ne s’étonnera pas de découvrir que les objets, bus ou machines à laver ont un prénom ! Un animisme contemporain qui interpelle.
Une Experience Week en guise de sésame
Avant de pouvoir partager la vie de la communauté ou suivre une formation spécifique, il vous faudra passer par une « Experience Week ». Au programme de cette semaine : rencontres avec des anciens, groupes de parole, chants, danses et travail sur trois demi-journées dans la terre, les cuisines ou à l’intendance. Le coût pour un logement dans un hôtel cosy avec des repas végétariens est de 120 euros par jour en moyenne. Le tarif n’est pas particulièrement abordable, mais il peut être ajusté selon vos moyens. Deux semaines par an sont proposées en français, les autres en anglais. Une multitude d’options (toujours payantes) est ensuite possible : stages verts (permaculture, communication avec la nature, fabrication d’élixirs, conception d’écovillages...) ou recherche personnelle (intuition, méditation, jeu de la transformation, chants ou danses sacrées, massage, voire retraites sur des îles écossaises...). On peut toutefois s’inspirer du lieu en solo et s’inscrire pour se porter volontaire au travail dans les jardins en particulier. En savoir plus : www.findhorn.org