Le sénateur Joël Labbé «La bataille contre les pesticides va continuer»
La toute première loi sur la biodiversité vient d’être votée en première lecture au Sénat. Protection du patrimoine naturel, échanges de semences, encadrement des pesticides... Certes, les néonicotinoïdes n’ont pas été interdits, mais pour Joël Labbé, sénateur d’Europe Écologie Les Verts qui a proposé un amendement dans ce sens, il s’agit d’un vrai pas en avant.
Plantes & Santé En quoi la loi sur la biodiversité permet-elle de faire avancer cette cause ?
Joël Labbé On envisage désormais une véritable politique nationale organisée autour de la biodiversité. Cette loi est un signal fort. Elle a acté la création d’une Agence nationale de la biodiversité qui regroupe toutes les agences (l’Office national de l’eau et des milieux aquatiques, les Espaces naturels, l’Agence des aires marines protégées et les Parcs nationaux de France) qui ne travaillaient pas forcément ensemble. Cela permet de mutualiser et d’optimiser le travail. Seul l’Observatoire national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS) a refusé d’y être intégré. Dans l’ensemble, cette loi est donc une vraie avancée. Sachant qu’il faudra tout de même mettre en place les moyens nécessaires.
P & S Une des grandes avancées est l’amendement sur le brevetage du vivant. Qu’en pensez-vous ?
J. L. C’est une bonne chose puisque la loi autorise les agriculteurs à échanger leurs semences. Et c’était loin d’être gagné. Nous avions déjà soutenu cette idée lors du vote de la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt en 2014. J’avais alors déposé un amendement mais on avait juste réussi à obtenir que les échanges de semences soient possibles au sein des groupements d’intérêt économique et environnemental (GIEE). Or seuls trois GIEE l’avaient mis dans leurs statuts. Ce vote est donc non seulement une avancée, mais aussi une surprise. En effet, le sénateur François Grosdidier, pour Les Républicains, a proposé le même amendement que nous, même s’il a mis en avant d’autres arguments. Ainsi, il a apporté les voix de la moitié de Les Républicains, et le texte est passé. C’est pour moi une réelle satisfaction. Les agriculteurs peuvent donc s’échanger toutes leurs semences de manière non commerciale.
P & S Actuellement, la majorité des semences commercialisées sont non reproductibles. En quoi cela va-t-il changer la donne ?
J. L. Concernant cette question, nous avons réussi à faire passer l’idée que les semences puissent être reproductibles en milieu naturel ; cela vaut pour toutes les semences pour lesquelles les semenciers ont obtenu la protection du Certificat d’obtention végétale [COV, le certificat protège le semencier pendant vingt à trente ans pour une nouvelle variété, ndlr]. C’est un pas en avant puisqu’avec les semences hybrides, les agriculteurs sont obligés chaque année de les racheter aux semenciers. Mais il n’est pas du tout sûr que cela passe à l’Assemblée nationale. Le lobby des semenciers va revenir à la charge.
P & S L’amendement qui a fait l’objet de n ombreux débats est celui demandant l’interdiction des pesticides néonicotinoïdes en septembre 2017, que vous avez proposé. Finalement, il n’est pas passé, mais un encadrement de ces produits a tout de même été voté... Comment réagissez-vous ?
J. L. Le débat sur les néonicotinoïdes a commencé alors que l’étude de l’Anses commandée par les ministères de l’Agriculture, de l’Écologie et de la Santé venait de tomber. Or ses conclusions concernant l’impact de ces pesticides sur les abeilles et autres pollinisateurs confirment le risque quand un certain nombre de conditions de culture ne sont pas respectées. Par exemple, après un traitement, les cultures ne devraient pas attirer les pollinisateurs. Mais c’est très difficile à mettre en œuvre. En tant qu’écologistes, nous avons donc déposé cet amendement. Sur ce sujet, la gauche comme la droite ne veulent rien changer, parce qu’il y a la pression de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) – dont l’influence est énorme au Sénat – et de nombreuses firmes, dont l’Union des industries de la protection des plantes (UIPP). Mais la socialiste Nicole Bonnefoy a demandé par arrêté signé du ministre de l’Agriculture qu’on encadre l’usage des néonicotinoïdes en tenant compte des recommandations de l’Anses. À cela s’est ajouté le sous-amendement de Sophie Primas, pour Les Républicains, imposant la prise en compte des conséquences économiques d’un tel encadrement, c’est-à-dire les baisses de rendement éventuelles pour les agriculteurs. Le vote a eu lieu à scrutin public (tous les sénateurs votent) et c’est donc passé. En fin de compte, on aboutit à un encadrement très relatif des néonicotinoïdes.
P & S N’y a-t-il plus d’espoir d’arriver à les interdire ?
J. L. On attend la deuxième lecture à l’Assemblée. Les députés socialistes Gérard Bapt et Delphine Batho vont reprendre le flambeau. Les arguments restent les mêmes, mais en plus de l’étude de l’Anses sur les pollinisateurs, une étude internationale sortie l’année dernière a démontré les impacts sur l’ensemble des insectes, sur les oiseaux insectivores, sur les vers de terre, sur la flore microbienne du sol. En clair, c’est une catastrophe, une hécatombe. Sur la santé humaine, même si on manque encore d’études, les alertes se multiplient, comme la pétition des mille médecins contre les pesticides. La bataille contre les néonicotinoïdes va donc continuer. Le discours prétendant qu’on ne peut pas se passer des néonicotinoïdes sans molécules de substitution ne tient pas. Il faut parler davantage des solutions, car elles existent. Les agriculteurs cultivant en biologique savent faire sans pesticides avec une baisse des rendements limitée entre 8 et 9 %. Et puis, l’enjeu ne doit pas se résumer à une question de molécule ou même de biocontrôle. Il s’agit de faire changer les pratiques agricoles et donc tout un système qui privilégie l’agriculture intensive. Pensez que l’agriculture bio représente seulement 10 % du budget de l’Inra !
P & S Restez-vous optimiste malgré une loi en demi-teinte ?
J. L. Oui, toujours. On a eu de beaux moments de démocratie. Et de nombreux débats ont été ouverts. Le fait que les néonicotinoïdes soient désormais inscrits dans la loi constitue un vrai pas en avant. Il y a un an, ce n’était tout simplement pas envisageable. Pour moi, c’est un signal fort. Et même si nous n’avons pas gagné, les choses sont vraiment en train d’avancer.
Parcours
1974 Vote pour la première fois. Son choix se porte sur le premier candidat écologiste à une présidentielle, René Dumont.
1977 Devient adjoint au maire de la commune de Saint-Nolff (3 800 habitants) dans le Morbihan.
1992 Le sommet de Rio est une révélation. Il souhaite promouvoir ces idées en politique.
1995 Devient maire de la commune de Saint-Nolff.
1997 Désigne sa commune « territoire mondial » dans la logique de Rio92.
2001 Réélu maire, devient aussi conseiller général. 2008 Réélu maire et conseiller général. 2009 Devient membre d’EELV.
2011 Est élu sénateur.
2015 Propose un amendement pour interdire les pesticides néonicotinoïdes.
Ce que dit la loi sur la biodiversité
Plusieurs mesures ont été votées par le Sénat :
• Création de l’Agence française pour la biodiversité. • Les pollueurs devront payer les dégâts infligés à la nature.
• Signature du Protocole de Nagoya et nouvelles protections contre la biopiraterie.
• Échange des semences traditionnelles renforcées.
• Systématisation des plans d’actions obligatoires pour les espèces menacées.
• Taxe additionnelle sur l’huile de palme.
Mais plusieurs autres ont été retoquées :
• Interdiction du chalutage en eau profonde.
• Interdiction des mutagènes résistants aux herbicides, sortes d’OGM cachés.
• Interdiction du prélèvement d’animaux sauvages dans leur milieu naturel pour les zoos.
Le texte doit encore passer devant l’Assemblée nationale avant l’été.