L'oliban, l'encens à encenser
Aujourd'hui, le terme encens regroupe beaucoup de produits, de senteurs et d'histoires. S'il évoque d'abord une fumée mystique, intense et enveloppante, l'encens, ou oliban, est avant tout une résine odorante provenant du Boswellia, un arbre sacré. Essayons d'y voir plus clair sur cette sacrée matière première… qui nous apprend à sentir la nature.
Comme pour beaucoup d’entre nous, ma première rencontre avec l’encens se produisit à l’église. À peine la porte passée, des volutes chargées de prières et d’espoir vous chatouillent les narines, puis la gorge, et ne vous quittent plus jusqu’à la sortie, laissant une empreinte olfactive sans précédent. Cette fragrance spécifique et complexe est de nouveau en vogue depuis une quinzaine d’années, comme l’analyse Hugo Lambert, co-successeur d’Oriza L.Legrand, maison de parfums créée en 1720 et « ressuscitée » après 70 ans d’absence : « Pour recréer les parfums de la marque, nous avons dû analyser ses extraits initiaux et ses archives. La note d’encens, un mélange d’oliban en tête et de benjoin en cœur, est fondamentale dans notre parfum phare “Rêve d’Ossian”. En parfumerie, l’encens est de plus en plus employé car il s’accorde avec nombre de bouquets floraux et apporte l’élégance du rétro. Il sert aussi bien souvent de fixateur dissimulé dans les compositions ».
Il est difficile de dissocier l’encens de la religion, et de son histoire, dont une des plus connues est celle du roi mage Balthazar offrant de la myrrhe (une résine aromatique extraite de l’écorce d’un arbuste du désert, le balsamier) à l’enfant Jésus lors de l’Épiphanie. Aujourd’hui, dans la plupart des rituels de tradition chrétienne, l’encens utilisé pour les fumigations provient d’un mélange de myrrhe, de benjoin et d’oliban, brûlé sur du charbon ardent dans un encensoir. En ce sens, il répond bien à la définition latine de l’encens, incensum, signifiant « ce qui brûle », pouvant correspondre à différents mélanges de résines. Celle d’oliban provient des saignées faites sur l’arbre sacré, le Boswellia, originaire de régions arides, au Moyen-Orient et au Nord-Est de l’Afrique (Oman, Arabie saoudite, Yémen…). Une des variétés d’oliban s’appelle larmes de Somalie en référence aux gouttes d’exsudat qui coulent des côtes de l’arbuste.
Une résine à protéger
Dans l’Antiquité, la résine d’oliban était déjà brûlée pour honorer les dieux. Elle donne aujourd’hui son nom à différents produits, en parfumerie, en cosmétique et en phytothérapie… C’est à bien des égards la résine d’encens la plus précieuse. Utilisée en médecine ayurvédique et chinoise pour ses propriétés anti-inflammatoires...
, digestives et cicatrisantes, la poudre d’encens est réputée. L’huile essentielle d’oliban est fabriquée par distillation à la vapeur d’eau de la résine du même arbre mais il convient de rester raisonnable quand on y a recours. En effet, l’arbre Boswellia figure sur la liste rouge de l’UICN (Union internationale pour la conservation de la nature), c’est une espèce menacée.
Élisabeth de Feydeau, historienne du parfum, autrice de nombreux ouvrages et créatrice d’Arty Fragrance, nous avertit : « Qu’il s’agisse de l’oliban ou d’autres résines à brûler, s’ils sont d’origine synthétique, ils sont à proscrire, quelle que soit leur forme et leur vocation. Le plus juste reste de se procurer des résines pures via les sites des monastères qui les transforment eux-mêmes. Concernant l’oliban amalgamé en bâtonnets, sachez que s’il est naturel, il assainira l’air bien plus qu’il n’émettra de particules fines nocives, lors de sa combustion ».
Et il ne faut pas négliger son effet apaisant sur l’esprit (pour ne pas dire sur l’âme) et sur le corps. Lydia Bosson, autrice et conférencière spécialisée dans les hydrolats, a pu le constater dans sa pratique ayurvédique : « Lorsque l’on fait sentir une fragrance d’oliban à un panel de volontaires, on s’aperçoit que leur pouls s’équilibre. C’est un test intéressant car même les plus cartésiens ne peuvent alors nier son impact sur nous, ce que je trouve pourtant toujours magique ! ».
Une magie que j’expérimente moi-même bien souvent lorsque je travaille, puisque j’ai pour habitude de faire brûler des bâtons d’encens afin de stimuler ma concentration et mon imagination. Mais c’est non sans une certaine culpabilité que j’accomplissais ce rituel, craignant la nocivité potentielle d’un tel geste. Il me manquait les bonnes rencontres, la connaissance et le savoir-faire, que je partage ici avec vous comme un cadeau de Noël.
Un massage énergétique avec l’hydrolat
Lydia Bosson oriente volontiers vers l’hydrolat d’encens oliban qui demande moins de matière première que l’HE pour une efficacité étonnante : « Produit par distillation aussi, l’hydrolat contient l’information de la plante, avec des principes actifs dilués, efficaces en thérapeutique. En pulvérisation, il présente une alternative à l’olfaction de l’encens par combustion : une fois l’hydrolat sur vos mains, passez-les devant votre visage puis à quelques centimètres de votre corps, de manière à respirer sa douce fragrance en vous offrant un massage énergétique sans danger pour votre santé ! ». Si vous n’en trouvez pas issu du Boswellia sacra, prenez celui du Boswellia carterii, provenant d’Éthiopie ou de Somalie. L’hydrolat de l’encens originaire d’Inde, de l’arbre Boswellia Cerrata, est moins qualitatif.
Recette de mère Nature
Des idées de rituels olfactifs par Élisabeth de Feydeau
- Brûlez des résines pour un accueil à l’orientale
Les pâtes d’encens orientales (backours) élaborées à partir de copeaux de bois, benjoin, épices, HE de rose de jasmin… sont brûlées à l’entrée des maisons, en guise de bienvenue, sur des galets de charbon incandescents posés sur une assiette ou dans un encensoir. Vous pouvez aussi allumer à l’arrivée de vos convives de l’oliban résine, de la myrrhe ou du benjoin, accueil chaleureux assuré ! Attention aux cristaux vendus comme résines alors que ce sont des composites artificiels. Une résine naturelle peut être réduite en poudre dans un mortier et même brûlée ainsi !
- Faites s’envoler vos souhaits
Inspirées des traditions religieuses monothéistes, les fumigations sont des rituels de purification des lieux et de l’âme, symbolisant aussi le transport des prières vers le ciel. Pourquoi ne pas tenter l’expérience à l’occasion des fêtes, en y associant vos souhaits ? Optez pour des résines aux fragrances qui vous parlent, ou des feuilles de sauge, et faites-les brûler sur un support adapté. Accompagnez ce temps de vos vœux les plus chers. Si vous préférez vous recueillir, expérimentez les bâtons au thé vert ou la fumigation des feuilles de thé, comme dans les cérémonies asiatiques.
- Comme au Japon, trouvez le bâton d’encens qui vous parle
La cérémonie millénaire du Ko-Do est un jeu de société de cour qui perdure au Japon. Cette joute olfactive propose d’ « écouter » les parfums en faisant tourner des bâtonnets d’encens entre les participants. Vous aussi, offrez-vous un moment pour humer 2 ou 3 bâtons d’encens différents et trouvez les fragrances qui vous correspondent. Choisissez des bâtons d’origine japonaise, fabriqués à partir de matières et d’arômes naturels comme des feuilles de cèdre, de santal, d’agar ou d’aloe vera séchées et enroulées. Pour évaluer la qualité d’autres bâtonnets : ils doivent contenir des feuilles ou de la poudre de bois naturels amalgamés et des HE à hauteur de 1 à 4 %.
Conservation : Pas de date de péremption pour l’oliban et les autres résines, bien que leur parfum s’affadisse avec le temps, surtout s’ils sont de qualité moyenne. Gardez-les à l’abri de la lumière et de la chaleur.
À lire : Deux ouvrages d’Élisabeth de Feydeau : Le dictionnaire amoureux du parfum, 2021, Plon, et La grande histoire du parfum, 2019, Larousse.