La réglisse, un trésor à sauvegarder
La réglisse figure parmi nos plantes les plus populaires. Elle est aussi plébiscitée par la médecine traditionnelle chinoise qui l'intègre notamment dans des remèdes anti-Covid. Victime de son succès, l'espèce asiatique est d'ailleurs menacée d'extinction. Assurons-nous d'utiliser l'espèce européenne, cultivée, afin de continuer à bénéficier de son goût et de ses vertus.
Pour les fêtes, nous avons eu des bâtons de réglisse sous le sapin… Quelle idée ! Les enfants n’en ont pas vraiment apprécié le goût, pourtant sucré, ni les filaments coincés entre leurs dents ! J’ai donc récupéré les bâtons entamés et cela fait déjà une bonne semaine que je les mâchonne… Je sais pourtant qu’il ne faut pas en abuser pour ne pas faire grimper ma tension. Dans mes souvenirs d’enfance, le bâton de réglisse était pourtant dans toutes les bouches, y compris celle de mon grand-père qui le mâchouillait au lieu de fumer des cigarettes, et qui me proposait toujours du Zan… Pourquoi la réglisse est-elle devenue plus rare aujourd’hui ?
S’il existe une quinzaine d’espèces de réglisse, c’est Glycyrrhiza glabra, l’européenne, qui fournit en France le peu de commerces qui en vendent encore. Glycyrrhiza uralensis, l’espèce asiatique, est quant à elle exploitée depuis des siècles en médecine traditionnelle chinoise, tibétaine, mongole et japonaise, pour la composition de sirops et de préparations médicinales… Cette dernière a quasiment disparu en Asie, tant à l’état sauvage que cultivé, alors qu’elle pousse en tous sols et s’étend aussi facilement que la menthe : « La réglisse uralensis ne peut plus répondre aux besoins de la Chine et de l’industrie pharmaceutique et agroalimentaire mondiale, surtout depuis la pandémie et la publication, en 2020, d’un rapport montrant l’intérêt de cette plante en médecine traditionnelle chinoise – ainsi que d’autres plantes sauvages – dans la prévention du Covid‑19. Les réserves sont épuisées », prévient Aline Mercan, médecin phytothérapeute et auteure de Manuel de phytothérapie écoresponsable (éd. Terre vivante, 2021). Selon le label Fairwell, si la récolte de cette plante était réalisée dans de bonnes conditions, son exploitation ne serait pourtant pas incompatible avec sa régénération. Ainsi, le monde se tourne vers l’espèce européenne (Glycyrrhiza glabra), qui pousse principalement autour de la Méditerranée où elle est cultivée depuis le XIIIe siècle (en Italie, Turquie, Ouzbékistan, Kurdistan, et en France en très petite quantité…) Elle est même aujourd’hui importée par la Chine !
La glycyrrhizine, un puissant principe actif
Voici encore une plante bien polyvalente...
! Nommée Glycyrrhiza « racine sucrée » par les Grecs anciens, elle est utilisée en thérapeutique ainsi qu’en confiserie, appréciée (ou détestée) pour son goût anisé et sucré. Son principe actif appelé glycyrrhizine, cinquante fois plus sucré que le saccharose, convient à de multiples usages. Pour la fabrication des bonbons, les bâtons sont effilochés, pressés puis soumis à la vapeur d’eau en vue de l’extraction de leur jus qui, en s’oxydant, devient noir et sirupeux. Sa racine, idéalement prélevée à partir de trois ans, renferme de l’acide glycyrrhizique, qui participe aux effets thérapeutiques. En copeaux comme en poudre, la racine de réglisse est utilisée pour faire des tisanes ou des décoctions qui ont, depuis l’Antiquité, la réputation de soulager la toux en fluidifiant les sécrétions nasales et bronchiques, et de préserver le système gastro-intestinal en stimulant notamment la production de mucus protecteur au niveau de l’estomac. De plus, des études sont en cours afin de confirmer ses vertus antivirales et régulatrices du cholestérol. En médecine traditionnelle chinoise, on dit que la réglisse tonifie le qi – l’énergie vitale –, mais elle est en réalité beaucoup employée pour « harmoniser » les formules médicinales – en d’autres termes, pour compenser leur amertume.
En France, une réflexion sur la culture bio de la réglisse est menée depuis 2019. Il convient donc de privilégier la réglisse européenne, Glycyrrhiza glabra : « Mais il faudrait créer un label qui garantisse le fait qu’elle provient d’une culture et non d’une espèce sauvage, pour éviter que cette espèce ne subisse le même sort que l’asiatique ! », conclut Aline Mercan. S’assurer des origines du produit n’est pas toujours facile, reste la culture maison… Mais ce n’est pas en 2022 que vous en récolterez les fruits ! Enfin, les bâtons…
Recette de mère Nature
Un atout contre les inflammations, par le Dr Mercan
- Inflammations du système respiratoire
Diluer 2 à 5 g de poudre de racines de réglisse avec 1 c. à soupe d’eau, boire le mélange jusqu’à 20 minutes après chaque repas, pas plus de 3 fois par jour. Même dosage de morceaux de racines séchées (attention à ce qu’ils n’aient pas été éventés) pour une infusion ou une décoction.
- Eczéma, psoriasis et herpès
Vous pouvez tester les crèmes ou onguents à base de réglisse non déglycyrrhizinée (voir carnet d’adresses p. 72) en suivant les indications du fabricant. En plus de leurs effets anti-inflammatoires, elles sont réputées pour réguler la production de mélanine par la peau et protègent donc des taches d’hyperpigmentation. Elles sont aussi, paradoxalement, une bonne aide au bronzage.
- Syndrome prémenstruel et ovaires polykystiques
Prendre 30 gouttes de teinture- mère matin et soir en commençant 2 semaines avant les menstruations, et ce jusqu’à l’arrivée des règles.
- Inflammations intestinales, ulcères gastriques ou duodénaux
Prendre 25 gouttes de teinture- mère de réglisse 3 fois par jour, en cure de 2 à 3 semaines. Si vous ressentez trop de brûlures, préférez la tisane de racines en poudre ou en décocté séché, jusqu’à 3 fois par jour, en cure également.
- Aphte buccal et mauvaise haleine
Faire fondre 1 à 2 bonbons à la réglisse dans la bouche, 3 fois par jour. Le plus simple et le moins coûteux reste de mâchonner un bâton en travaillant ou en lisant, ce qui permet de bénéficier du totum du réglisse, à des doses raisonnables et pour un prix modique !
Contre-indications : La glycyrrhizine prise régulièrement a un effet dit « aldostérone-like », c’est-à-dire qu’elle augmente la tension par rétention d’eau et de sel, et fait perdre du potassium. Ainsi, à fortes doses, elle peut provoquer une arythmie cardiaque (y compris par la consommation de bonbons, pastis riche en réglisse…). En cas d’hypertension artérielle et de traitement hypokaliémiant (par diurétiques), préférez donc les formes déglycyrrhizinisées. Par ailleurs, la réglisse possédant des propriétés oestrogéniques, elle est contre-indiquée en cas de cancer hormonodépendant, quelle que soit sa forme (la prise occasionnelle reste cependant possible).
Cultivez aujourd’hui, récoltez dans trois ans
La réglisse pousse dans un climat tempéré et se cultive en plein soleil, sur un sol frais et sans cailloux. Si vous souhaitez l’élever en pot, vous devrez le choisir de couleur claire afin qu’il ne retienne pas trop la chaleur, mais aussi spacieux et profond. La plante se compose en effet, comme beaucoup de légumineuses, d’une racine verticale d’un mètre environ et de rhizomes cylindrés poussant à l’horizontale, formant comme un arbuste renversé. Il vous suffit d’un seul pied de réglisse pour commencer une culture, car cette plante est tentaculaire. Au printemps, mettez-le en terre avec un peu de compost autour, puis en été, paillez et arrosez-le. Observez la plante se parer de petites fleurs bleu-mauve en septembre, avant de rabattre les tiges sèches en hiver. Il faudra attendre trois ou quatre ans avant de pouvoir prélever les rejets autour de la souche-mère avec une bêche tranchante, à l’automne, au moment de la chute des feuilles. Une fois brossés, passés à l’eau et séchés, les bâtons de réglisse seront comestibles.