Dossier
Menaces sur la flore médicinale sauvage (3/3)
Dans un contexte de destruction des milieux et du changement climatique, la surexploitation des médicinales et des aromatiques sauvages n'est pas sans poser des problèmes. L'occasion de s'intéresser de plus près au rôle joué par la cueillette, une activité qui implique des opérateurs d'horizons divers. Certains s'engagent pour faire avancer les choses et préserver la ressource. Non sans difficultés.
Les alternatives existantes pour préserver les plantes médicinales
Il n'est pas rare que les fabricants de produits finis intégrant des plantes sauvages, se retrouvent confrontés à un manque de ressource végétale. D'autant que ce marché répond à des effets de mode. Par ailleurs, les consommateurs font preuve d'une vigilance accrue. Aussi, se rapprocher du terrain, mieux maîtriser les filières d'approvisionnement et l'origine des plantes devient une préoccupation pour certains fabricants.
Ainsi, les laboratoires Ladrôme sont en mesure – et ils nous les ont fourni de bon gré – de préciser le pays d'origine, les volumes utilisés chaque année pour fabriquer huile végétale, huile essentielle… et la proportion issue de la cueillette et de la culture pour cinq plantes (arnica, gentiane jaune, hélichryse, argan et reine-des-prés). Par exemple, pour fabriquer macérats huileux et extraits de plantes fraîches d'arnica, l'entreprise utilise chaque année 500 à 800 kg de plante fleurie d'arnica, dont 60 % issus de la cueillette, et la totalité du quart sud-est de la France. Elle utilise également 50 à 75 kg d'hélichryse ou immortelle italienne « majoritairement cultivée en Bosnie ». La marque insiste sur son adaptation à la ressource et à la mise en place de liens avec les producteurs locaux. « Si l'un d'entre eux nous alerte sur une plante (maladie ou autre), on n'insistera pas pour l'avoir à tout prix », argue Joël Deslandes au service marketing. Chez Weleda, la directrice des approvisionnements internationaux Annette Piperedis communique surtout sur le label UEBT (Union for ethical biotrade) qui certifie les produits Weleda depuis 2018. Ce label a été créé par une association dont Weleda est membre (parmi une soixantaine dont Yves Rocher) et dont les principes sont « la conservation de la biodiversité et l'utilisation durable de cette dernière ». Concernant l'arnica, Weleda explique sur son site Internet avoir mis au point, dans les Carpates roumaines, « un mode de cueillette et d'entretien fiable sur des pâturages exclusivement destinés à l'élevage extensif, sans apport d'engrais ».
Il faut dire qu'en France, l'arnica du Markstein, dans les Vosges (où se fournit aussi Weleda), a connu en 2019 un effondrement des volumes cueillis. En cause ? « Un faible enneigement et des printemps secs depuis quatre ou cinq ans, défavorables à la floraison et vraisemblablement dus au réchauffement climatique », décrit Fabien Dupont, chargé de mission Natura 2 000 au parc naturel régional des Ballons des Vosges. Pour faire face à la demande, celui-ci encourage « la production d'arnica dans les fermes locales, ce qui marche assez bien ». Depuis 2018 des réintroductions d'arnica sauvage sont également testées.
L’arnica, cueillette encadrée et réchauffement climatique
Réputée pour ses propriétés anti-hématome et antidouleur, l’Arnica montana sauvage français est cueillie à 90 % dans le Markstein, zone Natura 2 000 dans les Vosges. Sensible à la fumure animale, la plante est un indicateur de l’état des hautes chaumes. Depuis 2007, elle fait l’objet d’une convention entre le parc naturel régional des Ballons des Vosges, le département, les élus locaux, cueilleurs, agriculteurs, laboratoires (Boiron, Weleda, Wala…), petits transformateurs locaux, gardes champêtres et même les remontées mécaniques. Malgré cela, en 2020 les volumes cueillis sont tombés à 50 kg, au lieu des 7 tonnes habituelles ! Le changement climatique est probablement en cause. Certaines entreprises se tournent vers l’Europe de l’Est, mais la population est en diminution dans toute l’Europe, estime l’UICN.
La culture de l'immortelle d'Italie, protégée en région Provence Alpes Côte d'Azur et dont la cueillette en Corse est réglementée, ressemble de ce point de vue à une success story. Suite à l'engouement pour son huile essentielle, la plante a fait l'objet d'une charte de cueillette (avec vingt-deux autres plantes) lancée dès 2003 par le Conservatoire botanique national de Corse (CBNC) avec les cueilleurs. En parallèle, sa culture s'est développée. Même en métropole où, par exemple, les laboratoires Pierre Fabre cultivent pour leur marque Naturactive douze hectares d'immortelles italiennes bio dans le Tarn, « représentant aujourd'hui 25 % des besoins de la marque en huile essentielle bio » – les trois quarts restants étant cueillis ou cultivés en bio ailleurs en Europe. En Corse, la part de la cueillette était estimée à 35 % de la production en 2017, selon FranceAgriMer. Une réussite que Laëtitia Hugot, directrice du CBNC, relativise : « Les champs d'immortelles ont l'avantage de sécuriser les grosses firmes de cosmétiques, mais la culture n'est pas une solution miracle pour sauver le sauvage. La cueillette redonne aussi de la valeur au maquis, milieu qui n'est pas perçu très positivement ».
L'immortelle, sa culture ne suffit pas
Cette plante à l'odeur de curry pousse dans le bassin méditerranéen, et surtout en Corse, dans les Balkans et en Italie. L'huile essentielle est utilisée contre le vieillissement de la peau et pour ses propriétés anti-hématome. Sa culture est en développement bien que ses fleurs produisent moins d'huile essentielle du fait de la mécanisation. Les populations européennes d'immortelle sont en diminution selon l'UICN, organisme de conservation de la nature.
Par ailleurs, domestiquer une plante sauvage est compliqué. La directrice du Conservatoire national des plantes à parfum, médicinales et aromatiques (CNPMAI) qui a travaillé sur plusieurs essais, dont l'arnica, en sait quelque chose. « Quand la ressource existe en sauvage, la cueillette coûtera a priori moins cher, explique Agnès Le Men. Pour l'arnica, il faut par exemple attendre deux à trois ans de travail avant la récolte : c'est une grosse prise de risque pour le producteur. Les plants sont extrêmement chers et de qualité variable. Il faut trouver les bonnes variétés et les terroirs adaptés, tenir compte du changement climatique, etc. » Autant de barrières qui font que la mise en place de telles filières demande du temps.
Dans cette histoire de cueillette des plantes sauvages, un troisième acteur a son mot à dire : le consommateur. Par ses achats, il peut influer, voire faire pression pour des produits plus respectueux de la ressource. Comme premier repère, il a à disposition les labels bio et UEBT. Citons aussi le label Fairwild, qui obtient des résultats à l'étranger. Ainsi la cueillette responsable de l'haritaki (Terminalia chebula) et du bibhitaki (Terminalia bellirica), deux médicinales tibétaines, aurait contribué à préserver deux espèces de calaos nichant dans ces arbres. En l'absence de label, les étiquettes peuvent aussi apporter des informations : les fabricants donnant parfois des indications sur la provenance des ingrédients. Choisir des produits élaborés avec des matières premières locales et vendus en circuit court, permet par ailleurs de s'assurer d'une bonne traçabilité.
Un label ambitieux
Méconnue en France, la fondation Fairwild vise depuis 2010 à fournir un cadre mondial afin de garantir une gestion durable des ressources végétales sauvages. Pour cela, a été créée une norme garantissant la survie à long terme des espèces récoltées dans la nature, mais aussi les huiles essentielles ou grasses. Même les herboristes peuvent en faire partie.
Vient également la question de nos modes et usages avec leurs conséquences. « Un marché terrible pour les plantes, ce sont les huiles essentielles, lance Jean-Paul Lescure, écologue à l'IRD. Les gens ne se rendent pas compte des quantités considérables de plantes nécessaires ». Et toutes les plantes utilisées ne proviennent pas de cultures locales comme la lavande.
La protection des plantes médicinales sauvages passe par une véritable prise de conscience. La cueillette est une activité ancestrale, mais elle ne doit plus être considérée comme marginale et négligeable. Aux entreprises, aux pouvoirs publics, aux consommateurs de prendre leurs responsabilités… Car ce geste du cueilleur doit porter aussi avec lui toute la considération attachée à cette ressource précieuse que nous prenons trop souvent pour acquise.