Le maté, une infusion unique au monde

S'il y a bien une alternative au café que j'avais classée sans suite, c'était le maté, goûté le jour de sa « fête nationale », le 30 novembre dernier. Son amertume m'avait laissé un goût âpre en bouche. Mais de récentes rencontres me l'ont fait apprécier d'une tout autre manière…

Des racines guaranies

La yerba mate, nom traditionnel donné à la plante, pousserait depuis plus de 3 000 ans dans la région centrale d'Amérique du Sud peuplée par les autochtones guaranis. Découverte au XIXe siècle par l'explorateur français Auguste de Saint-Hilaire, qui lui donna le nom botanique Ilex paraguariensis, elle est donc classée dans la famille du houx et principalement cultivée au sud du Brésil, au Paraguay et en Argentine, premier producteur mondial. L'Uruguay, plus gros consommateur de maté par habitant au monde, n'en produit pas.

Menacée à l'état sauvage par la déforestation, la yerba mate est préservée par ses cultures, qui requièrent tout de même des conditions spécifiques : des sols argileux largement arrosés par des chutes d'eau, une altitude de 1 500 à 2 000 mètres et un climat tropical. « L'arbuste, qui peut faire jusqu'à 20 mètres, doit être coupé en dessous de 10 mètres, nous informe Inès Penaranda, experte en maté et cofondatrice du projet culturel Travel Maté avec le Dr. E. Daiann Sosa Carrizo, sommelier argentin de yerba mate. Une fois les feuilles récoltées et séchées, elles sont broyées afin de récupérer à la fois des morceaux de feuilles, sa poudre et les bâtonnets de la tige ». Alexis Simon, cofondateur d'Yvy Maté, société dédiée à la vente de maté en France, ajoute à cela l'importance du terroir dans l'empreinte gustative de cette plante. L'agriculture conventionnelle en plein soleil lui donne par exemple un goût plus grossier, voire amer, que celle en agroforesterie.

Inès m'a apporté une calebasse sculptée dans une courge séchée et sertie de métal pour me faire déguster du maté au plus proche des règles traditionnelles. La boisson bénéficiera donc des tanins des matés précédemment préparés dans la calebasse et des notes végétales typiques de la courge. Après avoir versé de l'eau chaude sur une yerba mate grand cru (récoltée à deux ans de maturité et uniquement composée de feuilles) apportée par Alexis, et approuvé la boisson en la goûtant, elle me tend le maté en ajoutant : « C'est à vous ! »

Une infusion à partager

Nous allons donc devoir boire à la même paille ! Si c'est la tradition… En effet, le maté transporte avec lui l'esprit du partage, à l'initiative de la personne qui le prépare, qui boira toujours en premier. En cercle, elle servira tout le monde dans la même calebasse, en commençant par sa droite et en tournant dans le sens inverse des aiguilles d'une montre, remettant de l'eau chaude dès que nécessaire. « Ce rituel impose trois temps – servir, passer, attendre – pour un moment de qualité, de parole et d'écoute », se réjouit notre spécialiste.

En Amérique latine, si le maté ne se consomme pas dans les bars, on remplira volontiers votre thermos d'eau chaude, pour que vous puissiez infuser votre maté à loisir. On peut d'ailleurs voir dans la rue des pailles aux becs de buveurs solitaires. Car au-delà de ses vertus sociales et spirituelles, le maté présente des qualités pour la santé, connues depuis l'époque précolombienne où les guaranis mâchaient les feuilles de la plante. Riche en minéraux – potassium, manganèse, magnésium, fer et calcium –, il est bon pour les os, et ses vitamines C, E, B1, B2, B30 contribuent à booster le système immunitaire. Et si de récentes études ont montré qu'il possède des molécules neuroprotectrices intéressantes pour prévenir des maladies comme Alzheimer ou Parkinson, c'est aussi un bon anti-inflammatoire contenant deux fois plus d'antioxydants que le thé vert. « Mais en Occident, on le conseille surtout comme stimulant du fait de sa teneur en caféine, théine et théobromine. Reste la question du goût, à s'approprier », m'encourage Alexis. Et Inès d'ajouter : « En Argentine, les enfants peuvent commencer à boire le maté vers l'âge de 6-7 ans. On dit qu'ils sont devenus grands le jour où ils décident de boire du maté seuls. »

Après avoir aspiré une gorgée de maté, j'ose à peine admettre que j'ai sûrement encore un bout de chemin à parcourir avant d'atteindre… l'âge adulte ! Il me faudra un peu de sucre pour arriver à l'avaler avec plaisir et profiter activement de la fin de ma journée.