À Madagascar, des huiles essentielles au cœur de l’humanitaire
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© Cœur de forêt
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© Olivier Behra
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© Aromathérapie Sans frontières
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© Association ASAM Provence
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© Association ASAM Provence
Plusieurs associations s’appuient sur la richesse aromatique de l’île pour aider au développement sanitaire, économique et écologique. Grâce au savoir de ces bénévoles, les plantes endémiques deviennent bien plus que de simples sources de revenus, et la formation des praticiens locaux à l’aromathérapie ouvre des perspectives pour la population malgache.
Ylang-ylang, herbe du tigre, eucalyptus citronné, poivre noir, ravensare, bois de rose… Madagascar est d’une richesse aromatique et médicinale rare. Dotée d’écosystèmes très variés entre ses lagons de la côte orientale, ses hauts plateaux parsemés de montagnes et creusés de canyons et ses pics volcaniques (le Maromokotro culmine à 2 876 m), cette immense île de l’Océan Indien accueille une biodiversité de près de 12 000 plantes différentes.
Malheureusement, ce patrimoine naturel sans égal est mis en danger par la déforestation. Les habitants sont en effet si pauvres qu’ils coupent massivement les arbres pour pratiquer la culture sur tavy, une technique qui consiste à brûler la végétation pour cultiver et agrandir les prairies à zébus, ou pour la transformer en charbon de bois et faire vivre la famille. Mais cette voie est sans issue : aujourd’hui, alors que Madagascar ne possède plus que 9 % de sa forêt originelle, le pays s’enfonce dans la misère ; 92 % des Malgaches vivent en dessous du seuil de pauvreté et 120 enfants meurent chaque jour faute de soins médicaux suffisants.
Patrimoine exceptionnel
C’est dans ce contexte d’extrême précarité que plusieurs associations humanitaires ont entrepris de mettre les huiles essentielles au cœur de leurs actions. En effet, elles voient dans ces essences aromatiques rares un levier idéal pour agir, aussi bien sur les conditions de vie des Malgaches que sur leur santé et la protection de leur environnement.
Faire en sorte que les habitants de l’île considèrent autrement leur patrimoine naturel est une des motivations de ces associations. « Les forêts malgaches partent en fumée parce que les gens ne se rendent pas compte de leur importance. En les valorisant par la production d’huiles essentielles, nous développons une alternative économique à la déforestation pour les producteurs de la région du Vakinankaratra », explique ainsi l’association Cœur de forêt.
Créée en 2005 et installée dans le parc national de Masoala et à Antsirabé, la structure accompagne les habitants dans la valorisation des plantes et arbustes sauvages de la forêt. Concrètement, elle aide les producteurs locaux à diversifier leurs cultures en y incluant notamment des aromatiques. Elle les forme ensuite à la production d’huiles essentielles et végétales.
La vente d’huiles essentielle finance la replantation d’arbres
Régulièrement, des ingénieurs et d’autres membres de l’association séjournent sur place pour améliorer les techniques de culture et de transformation, donc la productivité, tout en préservant la forêt. Et c’est une réussite : en 2017, 17 kg d’huile essentielle de longoza (Aframomum angustifolium) et 2 kg d’huile essentielle de curcuma sont sortis des alambics. Au premier semestre 2018, la production d’huile essentielle de géranium atteint déjà les 20 kilos. Grâce aux fonds récoltés par la vente de ces produits en Europe, Cœur de forêt replante des arbres à Madagascar.
De son côté, avec son association Aromathérapie sans frontières, Pierre Franchomme vient en aide à une population souvent touchée par des épidémies. Il a créé le Centre de médecine naturelle d’Antsirabé au sein de l’école primaire du village, offrant aux écoliers un accès aux soins. Environ 3 000 d’entre eux y sont suivis par une équipe de huit personnes – deux médecins, des infirmières et aides-soignantes, un anthropologue et un préparateur en pharmacie pour créer suppositoires, baumes et gélules avec les huiles essentielles locales. Un jardinet approvisionne le centre en plantes et sensibilise les habitants à leur emploi. Un dispensaire a été ouvert dans l’école des aveugles. Pierre Franchomme se félicite : « Il me paraît indispensable que la population locale puisse profiter de cette richesse aromatique pour se soigner. »
Savoir-faire ancestraux réhabilités
Les Malgaches se sont toujours servis de leur richesse endémique pour se soigner. Un savoir traditionnel ancestral, transmis de génération en génération, qui doit être protégé. Dans cette optique, l’État malgache l’a intégré à son système national de santé depuis les années 2010, créant un diplôme officiel et une Association nationale de tradipraticiens malgaches.
Depuis 1993, l’association L’Homme et l’environnement œuvre également à la préservation de ce savoir. « Les bénéfices liés à la connaissance ancestrale des plantes doivent retourner au pays », estime Olivier Behra, son fondateur. L’association a soutenu l’édition d’un guide rassemblant les connaissances des tradipraticiens, pour que ce savoir leur soit attribué. Elle les aide à se rendre à Antananarivo pour passer leur diplôme. Elle travaille également avec les médecins locaux pour réhabiliter les savoir-faire ancestraux et la phytothérapie.
Mais l’approche médicale de l’aromathérapie reste nouvelle à Madagascar. En outre, « si la phytothérapie est une médecine traditionnelle, ce n’est pas le cas de l’aromathérapie », explique le Dr Michel Pidoux, membre de l’association Anjou-Madagascar. Dès 2013, celle-ci s’est investie dans la formation des praticiens locaux aux huiles essentielles, avec l’autorisation du ministère de la Santé. « Bien qu’ayant régulièrement recours aux plantes aromatiques, leurs huiles essentielles correspondantes n’étaient quasiment pas utilisées. Sur ce plan, un gros travail reste à faire ».
Des tradipraticiens bien formés
Changer les usages de la population, souvent réticente, passe indéniablement par la formation des médecins à cette médecine douce. S’il manque encore un cadre légal global, Michel Pidoux soulique que « la directrice générale de la Santé actuelle est convaincue de l’intérêt de ces formations, aussi bien pour l’intérêt thérapeutique des huiles essentielles que de leur intérêt économique. »
Dans le cadre de l’association des Médecins aux pieds nus, Pierre Franchomme a également formé une cinquantaine de médecins aux essences aromatiques. Il retourne à Madagascar trois à quatre fois par an pour encadrer des « tradipraticiens », les former aux infections tropicales rencontrées sur l’île. Un appui utile car, bénéficiant depuis 2007 d’une reconnaissance officielle, ils travaillent de plus en plus avec les médecins.
Venant de l’île voisine de La Réunion, l’association Tsykirun a aussi vocation à instruire le personnel dans les hôpitaux malgaches (et le convaincre de l’intérêt de l’aromathérapie). Elle intervient dans la prise en charge d’enfants nés avec un bec-de-lièvre : le protocole des différentes opérations intègre des huiles essentielles pour faciliter la cicatrisation.
Une activité génératrice de revenus
D’autres associations voient plus dans les huiles essentielles un levier de développement économique. La demande mondiale est forte et cette production peut devenir une source directe de revenus. Ainsi, depuis vingt-sept ans, l’association malgache ASA (Ankohonana Sahirana Arenina) aide chaque année une vingtaine de familles de paysans sans terre à se réinsérer. Elle les forme pendant trois ans à des techniques agricoles durables comme la permaculture et à l’élevage, avant de leur confier trois hectares de terres vierges et deux zébus pour tracter la charrue.
Premier objectif : que les familles deviennent autosuffisantes sur le plan alimentaire, en cultivant par exemple du manioc. Second but : les aider à générer un revenu par les huiles essentielles. Pour cela, ASA forme les habitants à la culture de plantes aromatiques et à parfum comme le ravintsara, l’eucalyptus citronnée, la citronnelle, le romarin à cinéol ou encore
la baie rose, aux propriétés antibactériennes, anti-inflammatoires et tonifiantes.
Les plantes sont distillées au sein du domaine géré par l’association, où intervient un responsable agronome malgache avec son alambic. Les huiles essentielles, notamment celle de baie rose, sont ensuite revendues en France, sur les marchés, par des bénévoles. L’intégralité des bénéfices revient à ASA, qui s’en sert pour financer de nouvelles opérations locales. Trois écoles primaires, deux collèges et un lycée ont déjà vu le jour sur cette zone de réinsertion des hauts plateaux de la région du Bongolave. Et trois dispensaires ont ouvert, où des soins en aromathérapie sont proposés à des villageois, encore quelque peu hésitants.
Moteur économique
D’autres associations, enfin, ont décidé de valoriser de A à Z et entièrement localement la richesse végétale de Madagascar. Leur idée : mettre en place une véritable filière, et œuvrer pour que toute la plus-value des plantes utilisées revienne au pays dont elles sont originaires. La structure L’Homme et l’Environnement va ainsi lancer une gamme de cosmétiques aux notes aromatiques de l’île.
Par petites touches, et certes à des échelles très locales, toutes ces structures tentent de mettre en place des cercles vertueux dans lesquels les huiles essentielles sont synonymes d’une autre façon de se soigner, d’autonomie, d’apprentissage de nouveaux modes de culture, d’amélioration du quotidien et de protection de la biodiversité. Une véritable logique de développement durable s’expérimente sur ces territoires, que l’on espère voir se développer dans les années à venir.
Soutenir les associations dans leurs actions
- Pour aider l’association Cœur de forêt à lutter contre la déforestation en valorisant les produits forestiers non ligneux à Madagascar, vous pouvez parrainer un arbre, faire un don à l’association ou encore y adhérer via le site Internet : www.coeurdeforet.com
- Pour favoriser le développement de centres de santé à Madagascar, faites un don à Aromathérapie sans frontières sur son site Internet, www.aromatherapiesansfrontieres.org
- Pour préserver les savoirs ancestraux, aidez l’association L’Homme et l’environnement sur www.madagascar-environnement.org
- Pour développer la création de jardins produisant des plantes aromatiques et médicinales, faites un don à l’association Anjou-Madagascar sur leur site, http://anjoumadagascar.free.fr
- Pour soutenir l’association ASA, achetez de l’huile essentielle solidaire, éthique et durable de baie rose (8 € les 10 ml). Contactez Véronique Douillet sur asamprovence@gmail.com ou via asa-madagascar.org