Le tamier, L'herbe aux femmes battues
C’est dans le Sud-Ouest, et plus particulièrement dans le département du Tarn, que cette plante s’est fait une solide réputation. Antirhumatismale, elle soigne ples ecchymoses, d’où son surnom... Les locaux, eux, l’appellent respounchous, et aiment aussi l’accommoder dans l’assiette.
Peu après les célèbres évènements de 1968, l'un de mes plus proches amis décida de laisser tomber ses études et de partir vivre à la compagne, quelque part au fin fond du sud-Ouest. Les plantes étaient en train de devenir pour moi une véritable passion et lorsqu’il me mentionna que l’on cueillait là-bas d’étranges plantes nommées respounchous, ma curiosité fut éveillée. C’était au printemps, me disait-il, que les Tarnais de tous âges et de toutes catégories sociales se précipitaient dans la nature pour battre les haies et les lisières, à la recherche effrénée des jeunes pousses d’une curieuse liane aux grandes feuilles en cœur. En revanche, cette cueillette collective ne semblait guère intéresser les habitants des départements voisins.
Les choses en restèrent là jusqu'à ce qu'à mon retour des États-Unis, quelque années plus tard, je me mis à fréquenter assidûment les salons bio. J'y rencontrais régulièrement un exposant prolixe, assis sur un tabouret derrière une montagne de racines brunâtres dont il vantait éloquemment les vertus contre les rhumatismes. C’était l’« herbe aux femmes battues», le tamier, qui possédait une double action fort appréciée en médecine populaire. D’une part, et la plante devait son nom à cette propriété, elle permettait de faire disparaître les ecchymoses en frottant dessus la racine fraîche – il s’agissait en fait d’un rhizome, une tige souterraine. Le...
même principe lui valait son action antirhumatismale, vantée par notre camelot. Mais ce qu’il ajouta au cours de notre discussion m’intéressa au plus au point: de son accent chantant, dénotant sans ambiguïté son origine géographique, il m’affirma que les pousses de cette plante, officiellement connue sous le nom de tamier, n’étaient autres que les fameux respounchous dont m’avait parlé mon ami.
Restait à dénicher la plante dans la nature. La Flore de Costes, ma bible botanique, indiquait que le tamier poussait dans toute la France, y compris dans les pays limitrophes. Je ne tardai pas à en trouver, ici et là, et les jeunes pousses de tamier devinrent l’une de mes « asperges sauvages » favorites au printemps. J’en aime la saveur marquée, facilement amère, c’est vrai, et je l’apprécie particulièrement, comme il est habituel dans le Sud- Ouest, sous forme d’omelette. J’ai été surpris de rencontrer en Crète des femmes qui récoltaient dans la montagne des pousses de tamier dont elles emplissaient leurs amples tabliers. Elles les nommaient avroniès et les servaient bouillies avec une large rasade d’huile d’olive, un jus de citron et une pincée de sel. C’est la façon la plus naturelle de goûter la plante.
Une mise en garde s’impose : à part les jeunes pousses, tout dans le tamier est toxique. Les rhizomes renferment de minuscules cristaux (des «raphides») d’oxalate de calcium qui irritent mécaniquement les tissus. Ils éliminent la stase sanguine des ecchymoses, mais provoquent des rougeurs sur la peau. Les fruits, riches en saponines, peuvent provoquer l’hémolyse : leur ingestion en quantité entraîne des troubles digestifs et respiratoires, parfois graves.
Herbier
Le tamier commun (Dioscorea communis) est une plante vivace naissant d’une grosse souche noire épaisse et allongée. Sa tige herbacée, grêle, atteint une longueur d’1 à 3 mètres et grimpe comme celle d’un liseron sur la végétation avoisinante. Elle porte de larges feuilles d’un vert luisant en forme de cœur, longuement pointues au sommet, glabres et parcourues de nervures parallèles. Les petites fleurs d’un vert jaunâtre sont réunies en grappes grêles et lâches. Les pieds femelles donnent des baies ovoïdes rouges et luisantes. La plante se rencontre dans les haies, les buissons et les bois clairs de presque toutes nos régions. Appartenant à la famille des Dioscoréacées, son genre, Tamus, a récemment été regroupé avec celui des Dioscorea qui comporte quelque six cents espèces, pour la plupart tropicales.
Recette sauvage - Omelette de respounchous
Ingrédients
• 200g de pousses de respounchous
•1L d’eau, sel
•2 c à s. d’huile d’olive
• 3 œufs
1. Cueillez les extrémités des pousses de respounchous lorsqu’elles sont jeunes et très tendres : elles se cassent facilement entre les doigts.
2. Coupez-les en tronçons de 5 cm environ et faites-les blanchir 3 minutes à l’eau bouillante salée, passez-les à l’eau glacée, puis égouttez-les soigneusement.
3. Battez les œufs en omelette et ajoutez-y les pousses.
4. Faites chauffer l’huile d’olive dans une poêle et ajoutez-y les œufs avec les pousses.
5. Faites cuire selon votre goût, baveux ou plus sec.