Tout ceci n'est pas sérieux cher crocus
Le crocus de nos jardins, celui dont les pétales clairement colorés sont les premiers à éclairer nos pelouses encore hivernales, a un cousin cultivé, un cousin de haute extraction. Ce cousin oriental, méditerranéen, est si précieux et recherché, si rare et chéri qu’il en a perdu la capacité de se reproduire sans aide. Son pistil (son organe sexuel !) est soigneusement cueilli à la main, puis séché et conservé pour donner le safran.
Le véritable safran est un produit difficile à récolter, et si précieux qu’il se vend à des prix astronomiques. Il suscitait déjà la convoitise des pirates qui rançonnaient les bateaux vénitiens et génois.
En effet, ses propriétés curatives sont connues depuis le Moyen Âge. À l’époque, on l’utilisait pour soigner les infections respiratoires et les règles douloureuses. Les Perses et les Égyptiens avaient aussi remarqué ses propriétés aphrodisiaques… Les homéopathes savent que les patients que soigne le médicament Crocus Sativus sont en effet de joyeux drilles. Pour eux, tout est prétexte à s’amuser, à chanter dès que la moindre note de musique est entendue, à rire de tout, pour un rien, à danser et faire la fête. Faire la fête au risque de tout perdre, car rien n’est sérieux, rien ne surpasse l’urgence de s’amuser. Or, ce sont souvent des patients qui présentent des pathologies graves, et Crocus Sativus peut les aider face à des maladies auto-immunes, des hémorragies gynécologiques sévères et récurrentes, des fausses couches itératives ou certaines pathologies convulsives. Mais ils rient, ils chantent, se moquent de ce qui n’est pas amusement, jusqu’à s’y perdre.
Comme Krokos, ce si bel homme, fou amoureux de la nymphe Smilax, qui en jouant au disque avec Hermès fut blessé à la tête, blessure mortelle dont le sang fit éclore là où il tomba une jolie fleur mauve.
Où est l’urgence ? Est-elle d’absorber des bouillies saines incolores et sans saveur, ou plutôt de se régaler de mets safranés, colorés et aromatiques, au risque de périr trop vite ? C’est un questionnement qu’induit l’étude du crocus. C’est une alternative qui guide nombre de nos comportements, de nos alternances entre une sobriété fade et une excitation mortelle.
Et si nous options pour une sobriété excitante au détriment de la fadeur mortelle ? En refusant les amusements de pacotille des faux safrans, teintés artificiellement pour masquer de leurs couleurs criardes qu’ils n’ont d’autre fonction que de nous enfermer dans un faux choix. Ceci est très sérieux, mon cher crocus !