Huiles essentielles, dans l’œil du cyclone européen
L’Europe impose de nouvelles règles à la filière des huiles essentielles. Au-delà des contraintes techniques et financières, c’est l’image et même l’avenir de cette production qui s’en trouvent bouleversés.
Cet été, en Provence, les champs de lavande et de lavandin se sont mouchetés de rouge, ponctués ça et là de pancartes au slogan contestataire : « La lavande n’est pas un produit chimique ». Le message est à lire au second degré, quoique… les cultivateurs dénoncent la législation européenne qui traite les huiles essentielles sur le même plan que les produits chimiques. Le règlement REACH – acronyme qui en français signifie « enregistrement, évaluation et autorisation des produits chimiques » – exige en effet le même type d’études toxicologiques et écotoxicologiques. Patrick Garnon, qui suit le dossier à FranceAgriMer, nous aide à lire entre les lignes de ce texte : « REACH exclut les produits naturels sauf s’ils présentent un caractère de danger, or les huiles essentielles peuvent se révéler irritantes pour les yeux et inflammables. » Nous l’avons déjà souligné dans nos pages, l’aromathérapie est une approche puissante et des essences telles que la cannelle de Ceylan ou les menthes sont à manier avec prudence car l’une contient des phénols et les autres des cétones, molécules potentiellement toxiques.
Cependant, les huiles essentielles sont bien plus complexes que la plupart des produits chimiques ! Imaginez : une huile essentielle de lavande peut contenir jusqu’à 600 molécules différentes, et leurs proportions varient selon un grand nombre de facteurs aléatoires tels le climat, le terroir ou encore les pratiques agricoles. « C’est cette multitude de petits ingrédients qui fait la richesse d’une huile essentielle », considère Bert Candaele, chargé de projet au Centre régionalisé interprofessionnel d’expérimentation en plantes à parfum, aromatiques et médicinales (CRIEPPAM). Il est très critique vis-à-vis de REACH : « La méthodologie qu’on nous impose conduit à étudier séparément les composants principaux, mais elle ne prend pas en compte les synergies et les annulations qui s’opèrent dans des produits naturels aussi complexes. Par exemple, le linalol est irritant pour la peau, or nous avons montré que l’huile essentielle de lavandin, qui en contient, ne l’est pas. »
Une loi inadaptée aux produits naturels
Les acteurs de la filière – cultivateurs, distillateurs et autres spécialistes regroupés au sein de PPAM de France, Union des professionnels des plantes à parfum, aromatiques et médicinales – voudraient donc que soient adaptés les tests exigés par REACH aux spécificités des huiles essentielles. « La loi part d’une bonne intention mais elle n’est pas prévue pour les produits naturels », résume Alain Aubanel, lavandiculteur et président de la Fédération des producteurs de plantes à parfum dans la Drôme et l’Ardèche.
Petit retour en arrière au début des années 2000… L’Union européenne décide enfin de légiférer sur les milliers de nouveaux produits chimiques qui arrivent sur le marché sans avoir fait l’objet de tests estimant les risques pour l’homme et la nature. Après un âpre combat opposant les lobbies industriels et les ONG spécialisées en santé environnementale, le règlement européen REACH est adopté en 2006. Il avait tout d’une bonne nouvelle pour les produits naturels : ce système législatif devait envoyer aux oubliettes les substances dangereuses et ouvrir ainsi la voix à des alternatives plus écologiques. Anne-Christine Macherey, directrice de l’unité Prévention du risque chimique au CNRS nous explique pourquoi REACH s’est focalisé sur les huiles essentielles : « Ce sont des produits allergisants, or ce règlement vise particulièrement à réduire les phénomènes de sensibilisation. » Rappelons que de nombreuses allergies surviennent lorsqu’une exposition préalable et répétée à un produit conduit au développement d’une réaction immunitaire à son égard.
Au même plan que le Destop
Dans la même veine que REACH, le règlement européen CLP (en anglais : Classification, Labelling, Packaging) impose des règles d’étiquetage indiquant les dangers pour la santé et l’environnement. « Nous avons simulé l’étiquetage prévu par le règlement CLP, relate le lavandiculteur Alain Aubanel : les pictogrammes figurant des bustes d’hommes radiants˝ ou des poissons morts sont effrayants pour le consommateur ; impossible de vendre nos produits qui se retrouvent alors au même plan que le Destop ou de l’eau de Javel. »
Par ailleurs, cet étiquetage ne prend pas en compte le caractère multi-usages d’une huile essentielle : en effet, celles qui sont bio sont exemptes de ce type de pictogramme, mais elles sont alors classées comme alimentaires et c’est le seul usage qu’on ait le droit de mentionner. « C’est aberrant : une même huile essentielle de lavande pourra être vendue à la fois dans un flacon indiquant un usage alimentaire et dans un autre – destiné à la cosmétique ou à un usage ménager – portant la mention 'Mortel en cas d’ingestion' : finalement, le consommateur est mal informé », dénonce Bert Candaele, du CRIEPPAM. « Si rien ne change, je m’attends à une chute de 50 % de mes ventes et donc de ma production, s’alarme Alain Aubanel. Les producteurs en plaine pourront cultiver autre chose à la place de la lavande, mais dans ma région du Diois [dans la Drôme, ndlr], rien d’autre ne pousse. »
À l’heure actuelle, plusieurs réglementations se superposent autour des huiles essentielles, qui servent dans de nombreux domaines tels la parfumerie (de luxe ou industrielle), la cosmétique, la médecine et l’alimentation. La Direction de la concurrence et de la répression des fraudes (DGCCRF) est en train d’échafauder un texte sur leur usage. Souvent, ces règlements sont inadaptés à ces produits agricoles et conduisent à l’inverse des effets recherchés : au lieu de protéger l’homme et la planète, ils pénalisent des produits naturels ! Dans plusieurs domaines, parfumerie, cosmétique, produits ménagers, de nombreuses sociétés ont déjà remplacé les ingrédients naturels par des substances chimiques.
Des précautions d’emploi nécessaires
Les huiles essentielles, désormais utilisées dans certains services hospitaliers, n’ont plus à faire la preuve de leur intérêt pour la santé. Mais s’il ne faut pas tomber dans les excès dénoncés dans cet article, il convient tout de même de les utiliser avec précaution.
- Tout d’abord, une extrême prudence est requise en ce qui concerne les enfants de moins de 6 ans et les femmes enceintes.
- Les personnes développant facilement un terrain allergique doivent les utiliser avec précaution lorsqu’elles en appliquent sur la peau : tester au préalable l’HE en appliquant une goutte diluée dans une cuillère d’huile végétale et attendre 30 minutes pour être sûr qu’aucune réaction n’apparaît.
- En cas de fragilité des voies digestives, attention à la voie orale.
- Si une intolérance cutanée ou digestive apparaît, l’application sur la peau ou la prise orale d’une huile végétale en quantité importante peut améliorer la situation.
- L’usage prolongé d’une même huile essentielle ne doit pas excéder 3 semaines et se faire 5 jours sur 7.
- Enfin, certaines huiles essentielles peuvent être photosensibilisantes (l’angélique par exemple). Évitez donc les expositions au soleil avant ou pendant.