Les plantes ont déjà inventé notre avenir
Pour échapper à leurs prédateurs, les végétaux ont suivi, au fil de leur évolution, une voie unique et insolite ; ils ont élaboré des techniques si éloignées de celles des animaux qu’ils sont désormais, pour nous, l’exemple par excellence de la diversité. Leurs organismes sont tellement différents des nôtres qu’ils pourraient presque apparaître comme des extraterrestres, et ils ont adopté des comportements souvent aux antipodes de ceux qui ont été privilégiés par la faune : les animaux se déplacent, les plantes sont immobiles ; les animaux sont rapides, les plantes sont lentes ; les animaux consomment, les plantes produisent ; les animaux génèrent du CO2, les plantes le fixent, etc. On pourrait continuer ainsi presque à l’infini cette liste d’opposition ; mais la plus importante, qui est aussi la moins connue, tient en deux mots : diffusion et concentration. Toutes les fonctions confiées, chez les animaux, à des organes spécialisés sont distribuées chez les plantes sur la totalité de leur corps. Il s’agit là d’une différence essentielle, dont il est difficile de mesurer pleinement les conséquences.
[…] Malgré l’absence de tout organe assimilable à un cerveau central, les plantes perçoivent leur environnement avec une sensibilité bien supérieure à celle des animaux ; elles rivalisent activement pour l’obtention des ressources limitées disponibles dans le sol et dans l’atmosphère ; elles procèdent à une évaluation précise des circonstances ; elles se livrent à des analyses sophistiquées des coûts et des bénéfices de toute opération ; enfin, elles définissent et entreprennent des actions appropriées aux stimuli venus de leur milieu. Elles nous proposent ainsi des solutions nouvelles à nos problèmes dont il serait judicieux de nous inspirer, surtout à une époque où la perception du changement et la capacité à innover ont acquis une importance fondamentale.
[…] Les plantes incarnent un modèle beaucoup plus résistant et novateur que le modèle animal ; elles apportent la preuve vivante d’une conjugaison possible de la solidarité et de la souplesse. Leur construction modulaire est la quintessence même de la modernité : coopérative, distribuée et affranchie d’un quelconque centre de commandement, elle peut opposer une parfaite résistance à des événements catastrophiques répétés sans pour autant perdre sa fonctionnalité, et leur assurer une adaptation rapide à des modifications même considérables de leur environnement.
L’organisation anatomique complexe des plantes et leurs principales fonctions requièrent un appareil sensoriel bien développé, garantissant à l’organisme une exploration efficace de son milieu et une réaction rapide à des événements porteurs de risques graves. Ainsi, pour exploiter les ressources à leur portée, les végétaux se prévalent, entre autres, d’un réseau racinaire raffiné, formé d’apex en croissance constante qui permettent une exploration active du sol. Et ce n’est pas un hasard si Internet, le symbole par excellence de la modernité, est structuré de la même manière qu’un tel réseau.
Quand il est question de robustesse et d’innovation, rien n’égale les plantes. Leur évolution les a conduites à des inventions souvent opposées à celles des animaux et ce sont, de ce point de vue, des organismes bien plus modernes. Il serait bon d’en tenir compte dans notre façon d’envisager notre avenir.
Extrait du livre La révolution des plantes, comment les plantes ont déjà inventé notre avenir, Stefano Manusco, éd. Albin Michel, 2019.
À propos de l’auteur : Stefano Mancuso est professeur à l’université de Florence et directeur du Laboratoire international de neurobiologie végétale.