Merci aux Yanomami
Le beau visage d’un enfant émerge de l’eau qui l’entoure. Les yeux sont fermés, au coin de sa bouche comme de petites allumettes, les cheveux noirs et lissés… Cette photographie signée Claudia Andujar, est celle d’un jeune Indien Yanomami en train de prendre son bain dans un fleuve d’Amazonie. Elle dégage une intensité peu commune. Impression de plénitude, d’équilibre, d’abandon et de force, de communion. Artiste et militante brésilienne, Claudia Andujar a, pendant près de cinquante ans, photographié ce peuple amérindien, à la frontière entre le Brésil et le Venezuela. La Fondation Cartier à Paris consacre une rétrospective de ce travail foisonnant. Allez-y, elle vaut beaucoup plus qu’un voyage.
Il n’est pas facile d’accéder à ce monde des peuples racines, je ne parle même pas de le comprendre. Avec les siècles de rationalité qui coulent dans nos veines, comment imaginer cette cosmogonie complexe qui ouvre pourtant les portes d’une sagesse incroyable ! Dans ce monde où tout est vivant, les esprits chamaniques, xapiri chez les Yanomami, veillent sur les humains. C’est dans une terre forêt couverte de vastes miroirs qu’ils jouent et dansent. En véritables maîtres de la terre forêt, ils rafraîchissent la terre et éloignent les épidémies. Et, les jeunes chamans boivent la yakoana (une poudre hallucinogène) pour que les xapiri continuent de danser. On se croirait dans un conte… D’ailleurs les photos de Claudia Andujar ne font pas dans l’ethnologie documentaire, elles captent de façon saisissante cette société autre.
Tous les clichés, scènes de la vie quotidienne des Yanomami, donnent à sentir le souffle profond qui les habite. Certains peuvent être déstabilisants, mais en nous bousculant, l’importance de ce message millénaire, et dans lequel le lien à la Terre Mère est si fondamental, saute aux yeux. Heureusement que le peuple Yanomami est encore là, me suis-je dit en découvrant ces photos. Un profond sentiment de reconnaissance m’a envahi.
Car cette rétrospective est aussi l’occasion de raconter la lutte engagée afin de protéger le territoire et la culture de ce peuple. Dès 1977, Claudia Andujar a dénoncé les menaces qui pèsent sur les Yanomami alors que la dictature brésilienne lançait un programme d’exploitation de la région amazonienne. Et surtout, elle s’est attachée à défendre leurs droits et à les faire connaître dans le monde aux côtés de leur leader le chaman Davi Kopenawa. Ce combat a permis, en 1992, la reconnaissance du territoire Yanomami. Mais le nouveau président brésilien, Jair Bolsonaro, a menacé de revenir sur cette décision.
Il faut donc continuer à se mobiliser pour les Yanomami et pour tous les peuples premiers. Par cette fidélité à eux-mêmes qu’ils ont su préserver, ils ont beaucoup à nous apprendre, alors que nos sociétés avancées commencent à s’interroger sur la fuite en avant dans laquelle elles se sont engagées. Et puis, comme l’a dit l’anthropologue Jean Malaurie, « Ils sont la source même – et donc partie intégrante – de la vie de l’humanité qui se construit sur notre planète ». On sait ce qui se passe quand une source se tarit…
Exposition Claudia Andujar, La lutte yanomami, jusqu’au 10 mai à la Fondation Cartier pour l’art contemporain 75 014 Paris. Site : fondationcartier.com