Lâcher nos certitudes
La planète tout entière est concernée. Nous sommes tous frappés de plein fouet par l'épidémie de Covid-19. Alors que nous bouclons ce numéro*, réalisé entièrement à distance, chacun étant chez soi en télétravail, nous n'avons pas vraiment de visibilité sur la sortie de cette crise sanitaire sans précédent. Mais, si la maîtrise du calendrier nous échappe, nous pouvons d'ores et déjà constater que ce virus a fait bouger des lignes. Parfois de façon étonnante. Qui aurait pu imaginer que le dogme de la médecine basée sur les preuves soit ainsi bousculé, par un médicament connu depuis soixante-dix ans, la chloroquine. Depuis que le professeur Raoult, infectiologue reconnu, a divulgué les résultats encourageants d'une première étude sur ce dérivé de la quinine, un alcaloïde végétal isolé en 1820, le débat est vif. Et il a pris une telle ampleur, que le feu vert a été donné rapidement pour des études cliniques sur un grand nombre de patients, quand ce ne sont pas des cliniciens qui, de leur propre chef, prescrivent le médicament, ou que l'on accepte de regarder du côté des essais réalisés en Chine et porteurs d'espoir.
Mais après la polémique et les décisions justifiées par la situation d'urgence, que restera-t-il ? Le dogme va-t-il redevenir la seule référence ? C'est bien à l'après-coronavirus, qu'il nous faut penser. Surtout si, comme semblent le dire les nombreuses voix qui s'élèvent, nous voulons que de ce mal sorte un bien.
Relocalisation, décroissance, médecine de terrain. De grands mots sont déjà lâchés. Il est question de nouvelles règles, que ce soit au niveau de notre système de santé bien sûr, mais aussi économiques, sociales, voire politiques. « Ce ne sont pas les transactions financières qui ont causé le coronavirus, mais elles font partie d'un système qu'on pourra décider de remettre en question », a ainsi déclaré Esther Duflo**, prix Nobel d'économie en 2019.
Mais envisager l'après, c'est aussi répondre à des questions simples. Pourquoi, alors que les spécialistes assuraient qu'il ne s'agissait pas de savoir si la pandémie aurait lieu, mais quand, nous n'avons pas cru bon de les croire et même de les entendre ? Doit-on se féliciter, que la pollution baisse de 30 % dans les grandes villes suite au confinement, mais ne pas questionner l'empreinte carbone des industries numériques pendant la même période ? Et puis, sur un plan personnel, comment ai-je vécu cette période de restriction de ma consommation ? N'y a-t-il pas des choses qui ont repris de la valeur à mes yeux avec cette obligation de consommer utile et parfois plus solidaire…
Enfin, reconnaissons-le, cette pandémie a été un véritable coup de massue sur notre tête. Alors, en pleine incertitude, l'heure est peut-être venue d'abandonner nos certitudes ; et de prendre conscience que nous sommes tout aussi vulnérables… que formidables.
* Plantes & Santé a été bouclé à la fin de la quatrième semaine de confinement.
** Coauteure avec Abhijit V. Banerjee d' Économie utile pour des temps difficiles, éd. du Seuil, 544 p., 25 euros.