L'ortie et le papillon
Irritante ortie qui griffe et horripile les jambes nues, qui envahit les prés laissés sauvages et dont les connexions rhizomiques souterraines font parfois penser à une société secrète… Faut-il se raisonner pour comprendre son utilité ? Elle draine les sols trop riches, elle les dépollue même, en plus d'abriter en son sein chenilles, coccinelles et autres insectes. Elle accumule les vertus curatives (diurétique, anti-inflammatoire) et aussi gustatives pourvu qu'on sache la cuisiner, avec son apport considérable en vitamines et en minéraux.
Traditionnellement, les homéopathes l'utilisent pour soulager certaines éruptions urticariantes, son nom savant n'est-il pas Urtica ? Sa version la plus brûlante, Urtica urens, vient à bout de lésions cutanées parfois chroniques, invalidantes. Ceci chez des patients qui, si on les interroge, évoquent le rôle de la fonction paternelle dans leur vie. La peau nous parle de l'âme des hommes. Celle des « ortillés » nous parle de la difficulté à redémarrer sa vie après la disparition du père (réel ou symbolique). Quel que soit son âge, l'orphelin de père va avoir la rude tâche de reprendre l'œuvre de ce dernier, de lui rendre hommage tout en se réalisant lui-même, pour ensuite laisser ses enfants libres de continuer à inventer et à perpétuer.
L'ortie paternelle abrite en particulier la larve d'un papillon parmi les plus beaux de nos contrées, le paon du jour, Inachis Io. Somptueux animal rouge, noir et bleu, quand il déploie ses ailes il ressemble à un masque japonais, effrayant et attractif à la fois, puis s'il les referme, il disparaît derrière la couleur noire du verso de celles-ci. Intimider ou se cacher sont ses alternatives pour affronter les dangers.
Pour les homéopathes, Inachis Io soigne des lésions cutanées fissurées, en particulier aux bouts des doigts, chez des patients à l'agitation juvénile et désordonnée (papillonnante), et dont le moteur intime serait de rechercher un soutien paternel. Quand nous fauchons les orties, nous fauchons l'abri protecteur parental du bel adolescent Inachis. Nous fauchons aussi l'obscur draineur des polluants du sol. Mais nous pouvons utiliser le produit de cette fauche pour fabriquer le fameux purin d'ortie, activateur de compost.
C'est tout le paradoxe du bouclier paternel, que l'on réclame puis dont on veut s'affranchir, jusqu'à ce qu'il nous manque trop. C'est la rugosité de l'amour paternel, pudique et protecteur qui permet aux couleurs du papillon adolescent de se déployer, librement, protégé, le temps de grandir, de comprendre, de transmettre. C'est un amour qui donne sans attendre de retour, car le retour sera pour les descendants de ce flambeau affectif qui perpétue le savoir et encourage les futures découvertes.
Affrontons jambes nues les bosquets d'orties où virevoltent les papillons, pour goûter l'âpre bonheur d'un environnement sauvage qui nous protège quand nous croyons décider seuls de notre avenir.