Accepter la part de végétal en nous
Notre cerveau est comme un jardin, sauf qu'en lieu et place des fleurs et des légumes, nous y faisons pousser des connexions synaptiques. Un grand jardin de 100 milliards de petites plantes, qui donnent lieu à des réseaux d'une grande complexité. […] Une question se pose alors : qui est le jardinier ? Comment s'opère le travail d'entretien des neurones en premier lieu ?
Seuls quelques chercheurs commencent à débroussailler la question. Voici le peu que l'on sait : certaines cellules ont un rôle actif au cours de l'élagage des neurones, notamment en digérant les débris des vieux axones. D'une manière imagée, celles-ci arrachent les mauvaises herbes, mais peuvent aussi tuer les insectes nuisibles ou ramasser les feuilles mortes.
On sait également qu'il n'y a nulle part un jardinier en chef qui contrôle l'ensemble des opérations. Autrement dit, tout se déroule de manière locale, auto-organisée, comme dans la nature sauvage. Le philosophe Gilles Deleuze en avait déjà l'intuition lorsqu'il parlait du cerveau : « Beaucoup de gens ont un arbre planté dans la tête, mais le cerveau lui-même est une herbe beaucoup plus qu'un arbre. »
Deleuze distinguait l'arbre, structure fondamentalement hiérarchisée, et l'herbe, structure anarchique qui évolue dans toutes les directions et dénuée de niveaux (comme le rhizome, donc). Pour illustrer ses propos, il citait les travaux du neurobiologiste américain Steven Rose. Ce dernier utilisait lui-même la métaphore du liseron s'enroulant autour d'une ronce pour expliquer la façon dont une dendrite s'enroule autour de l'axone dans l'objectif de créer de multiples synapses. Le développement des réseaux synaptiques ressemble beaucoup, en effet, à la pousse imprévisible de certaines plantes, dont les bourgeons se ramifient au hasard et en n'importe quel point.
Mais ces similarités entre la structure du cerveau peuvent-elles nous apprendre quelque chose sur le fonctionnement proprement dit de l'organe ? En premier lieu, cette proximité architecturale suggère que les mêmes lois d'organisation pourraient être à l'origine de leur croissance commune, qui est d'un niveau de complexité comparable. […]
Essayons d'élargir encore : selon Francis Hallé, l'un des traits qui caractérise la plante est sa sédentarité et sa conséquence directe : elle ne peut pas s'enfuir, ce qui signifie qu'elle a appris à affronter l'adversité, au lieu de la fuir comme les animaux. Pour ce faire, le végétal a su développer d'énormes capacités de résistance. Or l'une des forces du végétal est liée à la puissance de son enracinement. […] Dans la vie végétative, cet enracinement nécessite beaucoup de patience et d'obstination de la part de la plante.
À cet égard, ne pourrait-on pas y voir une formidable leçon ? La philosophe française Simone Weil définissait l'enracinement (humain) comme « le besoin le plus important et le plus méconnu de l'âme humaine ». […]
Comme une plante qui se fonde sur ses racines pour lentement consolider son ancrage et sa croissance, nous avons besoin de nous appuyer sur nos proches, sur un lieu familier et bien établi, mais aussi sur un espace naturel qui nous permet de nous ressourcer et de nous épanouir.
Extrait du livre Cerveau et Nature, éd. Flammarion, 272 pages, 20 €.