Algue verte : Une algue de mauvais augure
Tandis que dans la douceur trompeuse de notre hiver, nous nous sommes repus de charcuteries industrielles et de légumes poussés sous serre, une verte envahisseuse se repaissait de son côté des infiltrations nitrées déversées en mer par les trop-pleins d’engrais azotés et les débordements des lisiers porcins.
Elle a progressé inexorablement le long des golfes et des dunes, de la Bretagne à la Vendée, les colorant de son vert chlorophyllien intense au mépris de la flore et de la faune préexistantes qui n’ont eu d’autre choix que de périr étouffées sous son couvercle touffu.
L’algue verte (Ulva lactuca) est une plante dinosaure, une usine à chlorophylle sommaire et terriblement efficace, un vestige des premiers balbutiements de la vie végétale terrestre. Ses ancêtres ont contribué à créer la couronne atmosphérique qui protège notre fragile planète des bombardements d’objets célestes ou des rayonnements ultraviolets. Elle est apparue sur terre après la grande crise écologique nommée La Grande Oxydation, il y a deux milliards d’années: l’oxydation importante de l’atmosphère par les émissions des algues bleues-vertes fut toxique pour les organismes de l’époque ; les seuls survivants furent ceux qui résistèrent aux effets de l’oxygène. La « soupe primordiale » vit sa température baisser lentement avant de laisser apparaître ensuite de nouveaux êtres vivants. Cette situation de destruction massive a permis de reconstruire un nouveau monde, peuplé d’espèces respirantes dont nous sommes les héritiers. L’arrivée des algues vertes se situe au début de cette ère de reconstruction et de création, bâtissant sur les reliefs du monde d’avant celui de demain, plus riche et plus complexe.
Pourquoi ce végétal antique, dernier survivant d’une époque de construction intensive réapparait-il aujourd’hui ? Quelle est sa nouvelle fonction? Pour les Bretons qui la recueillent en quantité sur leurs rivages, l’algue verte pourrait servir d’engrais du fait de sa teneur en nitrates, mais ils souffrent en premier de ses exhalations pestilentielles et mortelles. Certains laboratoires vantent sa richesse en minéraux et en font un produit «anti-âge»... Quelle ironie quand on connaît le sien ! Elle fut une vulgaire salade pendant des périodes de disette, mais peu savoureuse, elle a été remplacée avantageusement par des légumes plus élaborés dès que ce fut possible. Une expérimentation homéopathique a levé un coin de voile sur le message inclus dans cette algue. En homéopathie, elle serait ainsi utilisée pour guérir les pertes de contrôle des fonctions organiques telles que la continence urinaire ou le sommeil. Elle agirait sur des personnes se sentant étouffées par leur entourage perçu comme une masse invasive, indistincte et non individualisée. Autant dire qu’elle pointe du doigt les dérives consuméristes de notre époque, où l’homme devenant machine, ayant perdu le contrôle de ses propres fonctions, est envahi par la masse des personnes avec qui il cohabite et qui le dérangent.
Comme une parabole de notre développement, une algue qui permit à notre monde d’être ce qu’il est et qui revient comme pour le détruire doit bien avoir un sens et une sagesse à délivrer. Elle devrait nous faire comprendre que la simplicité aveugle de son fonctionnement ne laisse pas de place aux demi-solutions. Seul un changement profond de comportement pourra arrêter la destruction de l’environnement qui est en œuvre.