À quoi sommes-nous prêts à renoncer ?
Nous sommes nés dans une société d'abondance. Nous sommes habitués à obtenir tout ce que nous désirons, de plus en plus vite. Une faim subite ? Deux clics, et notre pizza est déposée au pied de la porte, fabriquée par des mains invisibles. La cafetière qui lâche ? Deux clics, emballée et livrée le lendemain, par des jambes invisibles.
Au supermarché, devant notre botte de radis : nous ne savons plus d'où elle vient, quelles mains l'ont fait pousser, quelles mains l'ont ramassée, quelles mains l'ont placée dans ce rayon. À vrai dire, nous ne nous posons pas la question. Voyons-nous même la caissière qui nous rend la monnaie ?
Le changement climatique et ses conséquences fracassent les schémas qui modèlent nos cadres de pensées depuis la naissance. Ce qui nous paraissait impensable il y a peu prend une autre coloration : des villages en France ont manqué d'eau potable au cours de l'été 2022, et encore en 2023. Nous avions oublié le mot « pénurie ». Nous nous (re)posons des questions auxquelles nos grands-parents répondaient intuitivement : d'où vient l'eau du robinet ?
Le changement climatique, provoqué par notre mode de vie et notre surconsommation, implique un bouleversement radical de nos comportements, d'abord alimentaires.
Antoine Chépy et Bianca Muller l'ont compris. Non, ils ne proposent pas d'entrecôte-frites dans leur restaurant associatif Arotzenia situé à Urrugne, dans le Pays basque. Car il n'est pas nécessaire de manger de la viande deux fois par jour, tous les jours. La seule viande parfois au menu, ce sont les abats dont personne ne veut. Antoine est l'un des derniers « artisans cuisiniers » (le couple refuse le mot « chef », c'est tout un imaginaire qui s'écroule pendant qu'un autre se crée) à transmettre ce savoir-faire et cette mémoire du goût.
Alors, des gens font bien sûr demi-tour. Mais les nombreux qui restent découvrent que oui, manger des artichauts et des épinards produits par des agricultrices et des agriculteurs soucieux de la terre, du vivant, et de qualité, c'est bon et c'est nourrissant.
« Merci, nous avons l'impression d'avoir mangé chez nos grands-parents ». Antoine et Bianca se nourrissent de ce compliment régulier. Car mettre en pratique ce changement culturel a des coûts. Économiques : hors des canons habituels, il leur faut réaliser suffisamment de couverts pour pérenniser leur expérimentation. Humains : Antoine et Bianca donnent énormément de leur personne, comme pléthore de productrices et producteurs partout sur le territoire. Antoine a 42 ans. Il ne peut plus effectuer deux services par jour, essoré physiquement. Il ne s'est pas versé de salaire pendant des années. Il s'est précarisé pour ses idées, comme il dit.
Mais cet engagement pionnier, comme il en existe plein dans l'Hexagone, impulse un mouvement. Qui, progressivement, nous fait refuser la voiture pour vivre un autre mode de transport, à pied ou à vélo. Qui nous fait délaisser l'avion pour réinventer le mot tourisme et le voyage près de chez soi. Qui nous fait refuser l'entrecôte-frites pour nous laisser emporter par des plats simples et goûteux, à base de légumineuses et de légumes anciens.
Et qui nous place face à nous-mêmes et nos contradictions. À quoi sommes-nous prêts à renoncer pour créer, pas à pas, un autre monde désirable ?
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Restaurant Arotzenia, 47, rue Jean-Fourcade 64122 Urrugne.