Jardiner son jardin et son esprit
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Je mesure maintenant la profondeur des processus existentiels qui entrent en jeu dans la création et l’entretien d’un jardin, si bien que je me demande comment le jardinage nous affecte, comment il nous aide à trouver notre place dans le monde ou à la retrouver quand nous pensons l’avoir perdue. Aujourd’hui, pour notre XXIe siècle qui connaît des niveaux toujours plus élevés de dépression, d’anxiété, de troubles psychiatriques et des modes de vie de plus en plus urbanisés et tributaires de la technologie, il est peut-être plus important que jamais de comprendre les multiples modes d’interaction entre l’esprit et le jardin.
Les pouvoirs reconstituants de ce dernier sont reconnus depuis l’Antiquité. Aujourd’hui, le jardinage figure systématiquement parmi les dix loisirs préférés dans bon nombre de pays. L’entretien d’un jardin est une activité enrichissante par excellence, pour beaucoup de gens une des plus importantes de leur vie, à côté de la famille et des enfants. Il en est, bien sûr, pour qui jardiner est une corvée et qui préfèrent s’occuper à tout autre chose, mais l’association de l’exercice en plein air et de l’activité absorbante a fait ses preuves chez de nombreuses personnes à qui elle permet de retrouver des forces et de la tranquillité. Même si d’autres formes d’exercice au sein de la nature et d’autres occupations créatives peuvent apporter les mêmes bienfaits, la relation intime qui se joue avec les plantes et la terre est spécifique au jardinage. Le contact étroit avec la nature nous affecte de différentes manières. Parfois il nous mobilise entièrement, nous permet d’être pleinement présents et conscients de ses effets, mais il travaille aussi lentement sur notre inconscient, ce qui peut être particulièrement indiqué chez ceux qui traversent de lourdes épreuves ou souffrent de traumatismes et de maladie. […]
Comme un temps suspendu, l’espace protégé du jardin permet à notre monde intérieur et au monde extérieur de coexister, libérés des pressions du quotidien. En ce sens, les jardins nous offrent un entre-deux, espace de rencontre possible entre notre être le plus intime, le plus imprégné de rêves, et le monde physique réel. Ce brouillage des limites correspond à ce que le psychanalyste Donald Winnicott a qualifié d’« espace transitionnel ». (…) Le jardin incarne l’espace transitionnel en se trouvant précisément entre la maison et le paysage qui l’environne. La nature sauvage et la nature cultivée s’y mélangent et le jardinier qui gratte la terre n’est pas aux antipodes du paradis qui vit dans nos rêves ou des idéaux civilisés de raffinement et de beauté. Le jardin est un lieu où ces polarités coexistent, et peut-être le seul où elles peuvent coexister en toute liberté.
Texte extrait de L’Équilibre du jardinier, renouer avec la nature dans le monde moderne, de Sue Stuart-Smith, éd. Albin Michel.