Menaces sur les huiles essentielles : où en est-on ?
Plusieurs pétitions récentes prétendent que les huiles essentielles pourraient prochainement être interdites à la vente libre. Or les arguments avancés ne correspondent pas à la réalité, et sont en décalage avec les réelles préoccupations des producteurs et des consommateurs. État des lieux.
Ces derniers mois, plusieurs pétitions ont circulé sur internet, nous alertant sur les risques d’interdiction des huiles essentielles à la vente libre. L’une d’elles, intitulée « Menace sur les huiles essentielles » a rassemblé plus de 200 000 signatures ! Elle rappelle qu’aujourd’hui 15 huiles essentielles (HE) présentant des risques de neurotoxicité sont réservées aux pharmaciens : rien de nouveau ici. Mais elle laisse également entendre que certaines autres, utilisées en automédication, pourraient à leur tour tomber dans le monopole pharmaceutique.Si cette « menace » est nettement exagérée, elle nous donne l’occasion de faire le point sur ces produits naturels dont le marché a explosé au cours des dernières années. Et auxquels les autorités s’intéressent de plus près.
Ainsi, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) a multiplié les réunions de travail sur la sécurité d’emploi des huiles essentielles depuis plusieurs mois. Le 16 novembre 2017, son groupe de travail « Médicaments à base de plantes et Médicaments homéopathiques » a notamment réalisé un état des lieux de l’utilisation des HE pharmaceutiques . L’ANSM a également lancé une campagne d’inspection des cosmétiques home made à base d’HE en 2017. À la suite de quoi, des injonctions ont été envoyées à plusieurs sociétés (librement consultables sur le site de l’agence), dont une aux laboratoires Hyteck, qui commercialisent la marque Aroma-Zone.
« Les autorités sont plus regardantes, et c’est logique étant donné la croissance du marché », commente Philippe Soguel, président du Syndicat des distilleries de la Drôme. Toutefois, les préoccupations des producteurs d’huiles essentielles ne sont pas celles dénoncées dans les pétitions. Philippe Soguel est même très critique envers certaines revendications énoncées, comme de « soustraire les huiles essentielles de l’application du règlement Reach ». Ce texte européen, qui vise à encadrer les risques liés aux ingrédients utilisés dans l’industrie, a en effet inclus les huiles essentielles. Or, les producteurs ont d’ores et déjà monté des dossiers pour être en règle avec cette réglementation. « C’est un combat du passé », estime Philippe Soguel, qui a contribué aux négociations pour assouplir le règlement Reach vis-à-vis des huiles essentielles. Il poursuit : « Il est illusoire de vouloir revenir en arrière. Il faudrait que les 27 États européens se mettent d’accord, ce qui est quasiment impossible ! »
La délicate information des consommateurs
Le Syndicat des Simples, qui rassemble une centaine de producteurs-cueilleurs, juge également ces pétitions en décalage avec la réalité. En outre, Jean-François Roussot, co-secrétaire général du syndicat, met en lumière une toute autre problématique : la complexité de la réglementation sur les huiles essentielles ne permet pas aux professionnels d’informer correctement les consommateurs sur le bon usage des produits. « Le caractère multi-usage des huiles essentielles n’étant pas reconnu, nous ne devons en présenter qu’un seul : cosmétique, arôme alimentaire, parfum d’ambiance… Résultat : l’étiquette ne correspond pas toujours à la réalité d’utilisation du produit, qui est polyvalente. »
Difficile, dans ces conditions, d’être totalement en règle avec la loi. D’autant que « chaque contrôleur, face à la complexité de la réglementation existante, aura sa propre lecture ». Un flou juridique qui pénalise les marques d’huiles essentielles. À la suite des visites de l’ANSM, les laboratoires Hyteck, qui ont développé la gamme Aroma-Zone, ont ainsi dû revoir la configuration de leur site de vente en ligne – l’agence ne souhaitant pas que les propriétés thérapeutiques figurent à côté des huiles essentielles vendues. La documentation commerciale de certains produits et recettes a également dû être clarifiée.
Reconnaissance de l’aromathérapie
La question de l’aromathérapie, c’est à dire de l’utilisation des huiles essentielles pour se soigner, est très mal abordée dans ces pétitions. « Il n’y a pas de complot de l’industrie pharmaceutique ou des autorités contre les huiles essentielles, comme on voudrait le faire croire », appuie le Dr Jean-Marc Giroux, expert toxicologue-pharmacologue, coordinateur du Consortium HE (sous l’égide de Cosmed) regroupant 9 entreprises françaises spécialisées dont Aroma-zone, Léa nature, Florame, etc. Il reconnaît cependant que les multiples réglementations auxquelles sont soumises les huiles essentielles entraînent une confusion chez les consommateurs qui veulent s’en servir pour se soigner. « Nous appelons donc à une reconnaissance de l’aromathérapie en tant que traitement non médicamenteux », ajoute-t-il. Et de rappeler que les huiles essentielles sont déjà utilisées dans des protocoles hospitaliers…
D’autres pistes d’action
Philippe Soguel comme Jean-François Roussot et d’autres n’ont pas attendu ces pétitions pour défendre leurs droits de produire et commercialiser les huiles essentielles. Le premier rappelle que les distillateurs ont déjà obtenu des aménagements dans le règlement Reach, et que malgré les défauts de ce dernier, il permet d’avoir un cadre réglementaire. « Il vaut mieux consacrer son énergie à apporter des preuves scientifiques sur les bienfaits des huiles essentielles, car les autorités sont aujourd’hui prêtes à les recevoir », ajoute-t-il, rejoignant ainsi le point de vue des entreprises du Consortium HE. Quant au Syndicat des Simples, il mène son combat à divers niveaux. Par exemple, les producteurs membres participent à des réunions interministérielles sur les problématiques de réglementation. Ils éditent des documents à l’intention des citoyens et organisent régulièrement des évènements médiatiques, telle la Fête des Simples, pour sensibiliser le grand public.
Ces pétitions ne doivent pas faire oublier les combats déjà menés, les avancées obtenues et les vrais enjeux de la filière de production des huiles essentielles. Si elles montrent que le public est prêt à se mobiliser pour les huiles essentielles, espérons que les signataires soient à nouveau prêts à s’impliquer pour défendre des réformes projetées, comme celle récemment engagée par les sénateurs sur les différents métiers de l’herboristerie.