Au printemps, pensez à la rosette de chicorée
Son nom est plus connu que la plante elle-même, généralement frôlée sans être vue. Ce n’est guère qu’à la fin de l’été qu’on la remarque, quand s’allument des étoiles bleues sur ce curieux chandelier végétal aux multiples vertus.
Comme tout le monde, je pense, j’ai appris à reconnaître la chicorée à ses jolies fleurs bleu pâle qui décorent de juillet à septembre ses tiges dégingandées. J’avais bien lu quelque part que l’on en consommait les feuilles, mais lorsque j’en observais les quelques fragments jaunis, je me demandais bien comment la chose pouvait être possible. C’est en voyageant en Grèce que j’ai compris. Au printemps, la chicorée produit une large rosette de feuilles semblables à celles du pissenlit, mais plus grandes, velues et rouges sur la nervure centrale. C’est à ce stade qu’il faut les récolter, ce qui se pratique encore de nos jours dans une grande partie du Bassin méditerranéen, de l’Espagne au Levant et en Afrique du Nord.
L’un de mes premiers essais fut une soupe de chicorée sauvage qui se révéla remarquablement amère, mais que mes convives, fort bien élevés, consommèrent sans trop de commentaires désobligeants. J’appris depuis qu’il est nettement préférable de faire bouillir les feuilles et d’en jeter l’eau si l’on est sensible à l’amertume. Une fois ébouillantées, les feuilles peuvent simplement être servies avec de l’huile d’olive, de l’ail et un filet de citron, ou préparées de diverses manières plus sophistiquées.
Pourtant, la saveur puissante de la plante, due à des lactones sesquiterpéniques, est l’indice de ses remarquables vertus médicinales. Plus encore que le pissenlit, si cela est possible, la chicorée est l’amie du foie. Comme de nombreuses plantes sauvages, la chicorée permet donc de mettre en pratique l’adage ancien d’Hippocrate de Cos, énoncé...
; voici deux millénaires et demi : « Que ton aliment soit ton médicament. »
Une autre façon d’éliminer l’amertume prononcée de la chicorée est de la blanchir par la culture, en la recouvrant de terre. Le principe est que, lorsque la plante pousse dans l’obscurité, elle ne développe pas de chlorophylle ni d’autres substances annexes – dont ces fameuses lactones. C’est ainsi qu’est née en Belgique, vers 1830, l’endive, cultivée en cave à partir de plantes sauvages. Curieusement, on a donné à cette création le nom d’une espèce voisine, Cichorium endivia, qui a de son côté donné la scarole, la frisée et la barbe-de-capucin. Les Belges wallons, plus précis que nous, parlent de « chicon », et leurs voisins flamands de witloof, ce qui signifie fort justement « feuille blanche ».
Souvent, quand on parle de « chicorée », en particulier dans le nord de la France, il ne s’agit pas de la plante elle-même, mais de la boisson que l’on prépare avec sa grosse racine pivotante. Coupée en « cossettes » et légèrement grillée, elle voit son amertume se doubler d’une agréable saveur caramélisée. C’est à la fin du XIXe siècle que sa consommation fut prônée comme une alternative au café, souvent d’ailleurs en mélange avec ce dernier, afin d’en diminuer le caractère excitant. Il m’arrive parfois de préparer ma propre concoction avec, outre les racines de chicorée ou de pissenlit, divers ingrédients qui parfument le mélange.
Puisque nous avons commencé par les fleurs, finissons par elles. En ce qui me concerne, leur utilité se borne à la décoration des salades ou l’agrémentation des tisanes. Mais elles forment aussi la base de l’élixir floral conçu par le docteur Edward Bach au début du XXe siècle, sous le nom de Chicory, pour améliorer l’état des personnes trop possessives qui ont besoin de contrôler leur entourage ou des enfants dont la demande d’attention est excessive.
Herbier
La chicorée intybe (Cichorium intybus) est une plante annuelle, bisannuelle ou vivace atteignant jusqu’à un mètre. Ses feuilles en rosette, d’aspect semblable à celles du pissenlit, sont profondément divisées en lobes écartés ou renversés. La tige dégingandée porte de maigres rameaux rigides formant avec la tige un angle obtus. Elle s’illumine à la fin de l’été d’élégants capitules composés de fleurs en languette, d’un tendre bleu pâle. La plante laisse s’écouler à la coupure un latex blanc très amer.
La chicorée intybe est extrêmement commune dans les prés, les lieux incultes et les bords des chemins. Elle est répandue dans tout l’hémisphère nord. On la cultive pour ses racines et la production de salades ou d’endives. D’autres espèces se rencontrent à l’état sauvage dans la région méditerranéenne, dont, en Crète, la chicorée épineuse (Cichorium spinosum), localement très appréciée.
Recette sauvage
Khortopita : feuilletés grecs de chicorée
Ingrédients
500 g de jeunes feuilles de chicorée • 1 oignon • 3 c. à soupe d’huile d’olive • sel • 2 gousses d’ail • 150 g de feta • 250 g de pâte feuilletée.
1. Hachez les feuilles de chicorée et l’oignon, puis faites-les revenir à la poêle dans l’huile d’olive.
2. Salez et ajoutez l’ail haché.
3. Retirez du feu quand la chicorée est cuite et mélangez-y la feta.
4. Étalez la pâte feuilletée et coupez-la en rectangles. Disposez-y la farce, repliez et soudez les bords. Faites cuire 20 minutes à four moyen.
Note Les végétaliens peuvent remplacer la feta par du tofu naturel.