La baie rose : faux poivre, vrai condiment
Sous le vocable de poivre se cachent plusieurs produits végétaux sans lien botanique les uns avec les autres. Remontons ainsi la piste des mini-fruits que ses qualités gustatives ont propulsé en cuisine.
J'avais dix-huit ans lorsque je me mis à explorer sérieusement les plantes de la Côte d'Azur, où je n'avais fait jusqu'alors que d'épisodiques séjours, car mes parents avaient acheté un minuscule studio – face à la mer… – au Lavandou. J'y découvris une flore particulière, composée en grande partie de plantes indigènes caractéristiques de la région méditerranéenne et complétée par d'ornementales exotiques originaires des quatre coins du monde. J'admirai les gracieux palmiers des Canaries aux larges frondes, les étranges agaves d'Amérique centrale, dont l'inflorescence élevée évoquait de curieux poteaux téléphoniques, et les épineux cactus mexicains dont je me délectai des fruits… une fois que j'eus trouvé le moyen d'en éliminer – plus ou moins parfaitement – les fines aiguilles barbelées.
Herbier
Le « faux poivrier » (Schinus molle) est un petit arbre à port retombant pouvant atteindre une quinzaine de mètres. Ses feuilles persistantes sont finement divisées. Lorsqu'on les froisse, elles dégagent une forte odeur aromatique. Les petites fleurs blanc crème, réunies en grappes, apparaissent au printemps. Elles sont suivies en automne de mini-fruits globuleux d'un rose plus ou moins vif, constitués d'une enveloppe sèche renfermant un noyau entouré d'une pulpe résineuse, collante et parfumée. C'est un arbre dioïque : les pieds sont soit mâles, soit femelles – et donc seuls ces derniers portent des fruits.
Une espèce voisine originaire du Brésil (S. terebinthifolius), qui se distingue par des folioles moins nombreuses et plus grandes, est également plantée pour l'ornementation dans la région méditerranéenne. Ses baies roses sont également comestibles.
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L'un des arbres les plus élégants était planté en bord de mer et dans les nombreux parcs qui émaillent la côte. Il se distinguait par son fût élevé et son élégant feuillage. Ses feuilles allongées rappelaient des plumes d'oiseau avec leurs fines découpes. Parsemées le long des branches pendaient d'étroites grappes de petites boules roses qui, souvent, s'accumulaient au pied du végétal – ce qui ne manquait pas de faire râler les employés municipaux dont la tâche consistait à les faire disparaître des trottoirs. Je les goûtai, bien sûr, et leur trouvai une agréable saveur sucrée et résineuse qui invitait à l'expérimentation. Mais il fallait tout de même savoir de quoi il s'agissait, afin de ne pas compromettre outre mesure l'état de ma santé.
L'arbre, je l'appris facilement, répondait au doux nom de Schinus molle et provenait d'Amérique du Sud, du Pérou à l'Argentine et au Chili. Il appartient à une famille plutôt tropicale qui comprend le manguier, l'anacarde qui fournit la noix de cajou et les divers pistachiers cultivés ou sauvages. La famille des anacardiacées se caractérise par des résines odorantes, mais parfois caustiques : ainsi en est-il de la laque qui exsude du tronc d'un de ses membres asiatiques, Rhus verniciflua, et plus encore du « sumac empoisonné » (poison ivy) nord-américain dont les randonneurs à l'est des États-Unis apprennent vite à se méfier… Rien de tel, avec notre Schinus, jadis couramment employé en condiment dans les Andes du Sud.
Il fallait m'y rendre, ce que je fis bien plus tard, pour y rencontrer mon ami in situ et apprendre les manières dont le mettait à profit la gastronomie locale. Je l'observai sous forme d'arbustes épars dans l'aridité des montagnes, dans un habitat bien différent de celui où je l'avais connu. En attendant ce voyage andin, était venue la mode des baies roses et des poivres de toutes natures. Je fus bien amusé de me rendre compte que l'on vendait à prix d'or, le plus souvent sous forme de mélanges d'épices, importées je ne sais d'où, ces aromatiques globules qu'il serait pourtant bien simple de récolter à profusion, gratuitement, pour peu que l'on se rende sur les bords de la Méditerranée.
Recette sauvage
Ceviche de filets de daurade au poivre rose
Ingrédients :
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600 g de filets de daurade
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2 oignons rouges
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1 c. à s. de poivre rose
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2 citrons verts
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3 c. à s. d'huile d'olive
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sel
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Couper les filets de daurade en morceaux d'environ 1 cm
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Émincer finement les oignons et les parsemer sur le poisson.
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Concasser les baies roses et les ajouter.
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Saler.
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Presser les citrons verts et verser le jus.
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Laisser « cuire » environ une heure.
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Recouvrir l'ensemble d'huile d'olive et laisser macérer au frais une heure de plus.
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Servir en entrée.
Comme j'aime la précision, je voudrais noter que l'appellation de « poivre rose » pour désigner ce condiment n'a de juste que l'épithète – sa couleur varie du rose pâle au corail soutenu. Il ne s'agit pas d'un poivre, produit par quelques espèces du vaste genre Piper (pas plus d'ailleurs que les poivres de Sechuan ou du Timur, cousins des agrumes). Ces fruits ne sont pas non plus des baies, mais plutôt des drupes, un peu comme de cerises dont la chair serait réduite à sa plus simple expression. Quoi qu'il en soit, je les apprécie pour relever de nombreux plats, le plus souvent en mélange avec des fruits de berce et des galbules de genévrier, combinaison propre à redonner vie aux préparations les plus fades.