Cueillette sauvage
Cueillir le fragon : un houx miniature
Ses baies globuleuses d'un rouge vif attirent l'œil. On le prend facilement pour un houx de petit format ou pour une asperge épineuse. Mais ce n'est ni l'un ni l'autre : c'est le fragon, une plante bien étrange, et parfois savoureuse.
Chaque fois que je donne un stage en Corse, au couvent Saint-François de Vico, j’arrive à l’avance pour profiter de la tranquillité du lieu. C’est un peu un pèlerinage : Keiko et moi descendons le long du Liamone, le « fleuve » aux eaux claires qui va se jeter dans la mer après avoir traversé d’impressionnantes gorges. Une superbe fougère, rare partout ailleurs en France, borde ses rives : l’osmonde royale, qui peut dépasser deux mètres de hauteur. Mais la plante que nous recherchons est plus modeste. Elle n’atteint guère que la moitié de cette taille et forme de grosses touffes serrées de tiges vertes striées portant un épais « feuillage » extrêmement piquant. Entre ces dernières apparaissent çà et là de curieuses pousses violacées, lisses et brillantes, terminées par un manchon d’écailles claires : les « asperges » de fragon.
Nous en cueillons de quoi préparer notre repas du soir – en en laissant suffisamment pour les faire découvrir à nos élèves. Je ne sais pourquoi, les rejets de fragons que nous récoltons ici sont bien meilleurs que ceux que j’ai l’habitude de trouver sur le continent, qui sont souvent amers. Il faut cuire ces derniers dans deux eaux avant de pouvoir les utiliser, tandis que nos pousses corses n’ont besoin que d’une seule ébullition pour être consommées, accompagnées d’une sauce que nous aimons à varier : mousseline ou gribiche, balsamique ou bachique… Nous nous contentons parfois de les arroser simplement d’un copieux filet d’huile d’olive locale et il nous arrive aussi d’en faire des omelettes. La saveur des pousses de fragon évoque celle de la réglisse, avec une amertume, un goût sucré et un arôme particulier. Elles se...
ramassent au printemps, du mois de mars au mois de mai et se cassent comme du verre entre les doigts.
Le fragon est également connu sous le nom de « petit houx ». En fait, la ressemblance entre ces deux plantes s’arrête aux « feuilles » coriaces et piquantes – elles le sont seulement au sommet chez le fragon, pas sur les bords – et aux fruits d’un rouge vif. Mais le fragon n’atteint jamais la taille du houx et ne risque pas d’être confondu avec cet arbuste. Ils n’ont d’ailleurs rien en commun d’un point de vue botanique.
Peut-être avez-vous remarqué les guillemets avec lesquels j’ai entouré le mot « feuilles » dans le paragraphe précédent. C’est que ce n’en sont pas. En effet, ce que l’on prend pour des feuilles persistantes sont, en réalité, des tiges courtes, larges et aplaties, que l’on nomme des cladodes. La preuve en est qu’elles portent en leur milieu de petites fleurs verdâtres et violacées suivies de gros fruits rouges globuleux, ce que ne font jamais de véritables feuilles.
Vanté par le médecin grec Dioscoride, le rhizome de fragon faisait partie des cinq « racines » apéritives et diurétiques. L’École de médecine de Montpellier, au XVIe siècle, ainsi que de nombreux médecins par la suite, le recommandait aux « goutteux ». On l’employait dans l’hydropisie, la gravelle, les maladies des voies urinaires, les engorgements viscéraux, l’ictère et la chlorose. L’action du fragon sur les crises hémorroïdaires a été jugée remarquable. On le commercialise parfois encore sous forme de suppositoires. C’est un excellent contracturant des muscles lisses de la veine. Il tonifie la paroi veineuse, évite les thromboses et son emploi peut être recommandé chaque fois qu’il existe un processus inflammatoire de ces vaisseaux. On le préconise pour traiter l’insuffisance veineuse qui se manifeste par des jambes lourdes, des crampes nocturnes du mollet, des démangeaisons et des gonflements.
Les jolis fruits rouges du fragon doivent être tenus pour toxiques du fait de leur forte teneur en saponines qui peut provoquer divers troubles digestifs suivis, à haute dose, de l’hémolyse, c’est-à-dire de la destruction des globules rouges. Le fragon est souvent planté pour l’ornementation, éclairant avec ses baies les endroits sombres.
Herbier
Le fragon (Ruscus aculeatus) est un sous-arbrisseau buissonnant vert, de 30 à 80 cm de hauteur. Ses tiges dressées, nues à la base, rameuse vers le haut, forment des touffes compactes. Ses « feuilles » sont en fait des rameaux aplatis vert foncé, coriaces et rigides, ovales, parcourus de stries parallèles et terminés en une pointe piquante. Les feuilles véritables sont réduites à des écailles membraneuses à peine visibles. De l’hiver au printemps, de petites fleurs verdâtres à six tépales naissent sur le cladode. Bientôt paraissent les fruits, de grosses baies globuleuses d’un rouge vif, d’environ 1,5 cm de diamètre, qui créent un effet décoratif sur le « feuillage » persistant. La plante possède un rhizome rampant garni de fines racines ligneuses. Les cicatrices laissées par la base des tiges forment sur le rhizome des anneaux frangés et rapprochés. Le fragon affectionne les bois secs et les haies. On le rencontre dans toute la France et dans le sud et l’est de l’Europe. Une autre espèce, le Ruscus hypoglossum, se trouve dans le Var, autour d’Hyères.
Recette sauvage de pousses de fragon à la sauce balsamique
Ingrédients 1 botte de pousses de fragon • ½ yaourt • 1 c. à soupe d’huile de carthame • 1 c. à soupe d’huile de colza • 1 c. à soupe de vinaigre balsamique • 1 c. à soupe de levure alimentaire. • Sel.
- Faites cuire les pousses de fragon à l’eau. Elles doivent rester tout juste croquantes.
- Mélangez le yaourt, les huiles, le vinaigre, la levure et le sel.
- Nappez les pousses de cette sauce au moment de servir.
Plus d'informations sur le site de l'auteur : https://couplan.com/