Renouée du Japon, la bonne invasive

Je l'avais rencontrée il y a bien longtemps, avant d'avoir entendu toutes les méchancetés qui se disent sur son compte. Aussi n'avais-je pas de préjugés, mais cela n'aurait pas changé grand-chose, je pense, à mon appréciation de cette plante malfamée. Je l'ai toujours trouvée élégante avec ses tiges ponctuées de stries rougeâtres, ses grandes feuilles en triangle et ses curieuses panicules ébouriffées. Ses impressionnantes colonies qui bordaient les chemins m'impressionnaient, certes, mais ne me paraissaient guère menaçantes. Je n'imaginais pas alors qu'il s'agissait là du « péril jaune végétal », d'une envahisseuse venue de l'Est extrême pour égorger nos plantes et nos fleurs !

Non, je n'y voyais alors aucun mal. Au contraire, même, j'appris à apprécier ses jeunes pousses. Au début du printemps, les volumineuses parties souterraines de la renouée du Japon présentent à leur sommet des excroissances charnues qui se transforment rapidement en jeunes pousses tendres, puis en tiges épaisses, parfaitement lisses et creuses, qui s'allongent démesurément. Je les cueille dès qu'elles sont encore souples et cèdent facilement sous la pression de mes doigts – plus tard, elles durciront et deviendront dures comme du bois. Leur saison est brève – en gros de mars à mai.

Dans leur jeunesse, les tiges de renouée sont très savoureuses, avec un goût acidulé typique de cette famille des polygonacées, dont font également partie la rhubarbe et l'oseille, caractéristiquement acides. Tout comme la rhubarbe, d'ailleurs, la renouée se prête à la confection de tartes, de confitures et de compotes savoureuses. Il faut délicatement les peler au couteau, afin d'en retirer la mince pellicule fibreuse, puis les couper en morceaux et les cuire avec un peu de sucre. On peut aussi les faire bouillir brièvement à l'eau pour les manger avec une sauce légère à base d'huile de sésame et de sauce de soja ou avec des flocons de bonite fermentée, katsuobushi en japonais. Je les apprécie particulièrement lorsqu'elles ont commencé à se développer et forment des tubes de quelques centimètres de diamètre. Je les farcis alors d'un appareil sucré ou salé, avant de les passer quelques minutes au four.

D'avril à juin, les jeunes feuilles sont assez tendres pour être consommées. Mais elles sont astringentes et il peut être souhaitable de les blanchir à l'eau bouillante. Traditionnellement, les Japonais les faisaient lactofermenter en les conservant au sel dans un récipient, pressées sous une lourde pierre. En Roumanie, il arrive que l'on prépare avec les feuilles des boulettes farcies de viande et de riz semblables aux sarmales à base de feuilles de chou.

Tout comme ses cousines l'oseille et la rhubarbe, ainsi que d'autres plantes voisines tels les chénopodes, les épinards, la blette ou les amaranthes, la renouée du Japon renferme des oxalates qui précipitent avec le calcium pour donner de l'oxalate de calcium. Si la réaction se produit dans l'organisme, ces précipités peuvent s'accumuler dans les reins ou les articulations. Aussi faut-il éviter d'abuser de ces légumes, ou les cuire à l'eau au préalable pour éliminer les substances potentiellement nocives. Les personnes atteintes de problèmes rénaux ou de rhumatismes s'abstiendront de faire des excès de ces divers végétaux.

Par ailleurs, on recommande de se méfier de la renouée du Japon du fait de sa propension à absorber les métaux lourds et à coloniser les lieux pollués par ces derniers. La chose est fort possible, car j'ai vu la plante dans son habitat naturel au Japon : sur les pentes du volcan Aso, sur l'île de Kyushu, elle était pratiquement la seule plante à pousser, à perte de vue, sur un sol minéral dans un environnement lunaire. Impressionnant ! Mais les individus étaient petits et plutôt malingres. Il semble que ce soit des mutations qui aient fait grandir l'espèce et lui aient conféré les capacités d'envahissement qui la caractérisent aujourd'hui là où elle fut introduite.

Au début du xixe siècle, un officier de la Compagnie néerlandaise des Indes orientales en poste à Nagasaki la rapporta et la cultiva dans son jardin de Leyde, aux Pays-Bas. La renouée fut rapidement appréciée comme ornementale, mellifère et fourragère et commença à se naturaliser vers la fin du siècle.

Mais il y a une soixantaine d'années, elle se mit à se disséminer d'une façon exponentielle, au point de susciter de nombreuses craintes et d'entraîner de virulentes campagnes d'éradication mettant en œuvre arrachage et pesticides. La réaction est généralement plus émotionnelle que rationnelle, comme l'est globalement le sujet des plantes invasives dans nos régions.

Et cette information permettra peut-être de réhabiliter notre plante : la renouée du Japon passe pour être le végétal le plus riche en resvératrol, un puissant antioxydant, également présent dans le raisin et le vin rouge. En Chine, son rhizome est à la base d'une nouvelle industrie visant à préparer des compléments alimentaires riches en cette molécule certainement fort utile à l'humanité !