Dossier
Un nouveau regard sur les invasives (3/7)
Elles viennent d'ailleurs et dérangent notre conception de la biodiversité. Les plantes dites invasives prospèrent là où elles ne sont pas invitées et sont rebelles aux tentatives d'éradication. Une vitalité que l'on accuse de nuire aux plantes autochtones, à l'agriculture et même à la santé pour certaines. Et si, au lieu de les traiter en ennemies, on écoutait ce qu'elles ont à nous dire sur notre monde ?
La renouée du japon, bientôt dans des cosmétiques
L’origine de la renouée du Japon (Fallopia japonica) se trouve en Asie. Elle arrive en Europe au début du XIXe siècle dans les bagages d’un médecin hollandais qui rentre de Nagasaki avec cette plante ornementale, raconte l’herboriste Thierry Thévenin. Elle est à l’époque saluée pour ses qualités « fourragère, mellifère et fixatrice des sols instables ». En un siècle, elle va prospérer en Europe de façon exponentielle le long des berges aménagées des rivières, friches industrielles, routes, voies ferrées, décharges…
Aujourd’hui, la renouée est accusée de voler la place des plantes indigènes et de provoquer l’érosion des berges. Mais pour le botaniste Gérard Ducerf, on fait de la renouée un bouc émissaire alors que sa présence alerte en réalité sur une pollution : « La renouée affectionne les sols riches en métaux lourds comme le cadmium, le zinc, le plomb. Et le CNRS de Montpellier a démontré que ses rhizomes séchés agissaient comme filtres pour l’arsenic et les métaux lourds. Et ses tiges une fois fanées redonnent du carbone au sol ! » D’autres experts prennent la défense de la renouée en arguant qu’elle n’est pas la principale responsable du problème de dénaturation écologique de ces sites, surexploités par l’homme.
Enrichir le sol
Un sol dénitrifié nuit à la fertilité des terres. Des chercheurs des universités de Lyon 1 et Perpignan ont étudié la composition chimique des renouées asiatiques. Ils ont trouvé qu’un composant de leurs racines, la procyanidine, joue un rôle d’inhibition de la dénitrification. Un brevet a été déposé et des essais sur des salades ont montré une augmentation de la productivité, liée sans doute à la hausse de la teneur en azote.
Pour l’éliminer, des campagnes d’arrachage massives ont été menées, sans grand succès. Et pour cause, « la renouée se régénère avec un simple petit bout de rhizome », explique Grégory Chatel, enseignant-chercheur à l’université Savoie Mont Blanc qui travaille sur la valorisation des plantes invasives au sein du laboratoire Edytem. Ce dernier a notamment mis en évidence l’intérêt du resvératrol présent dans les renouées pour la dermocosmétique. Leur objectif : créer une filière locale pour les recycler tout en canalisant leur développement. Il faut dire que cette plante présente plus d’un atout médicinal. Thierry Thévenin rapporte qu’au Japon, un remède issu de sa racine soignerait les douleurs articulaires, les affections du foie, diverses inflammations bactériennes et mycologiques ainsi que des symptômes de la maladie de Lyme. Sans compter des propriétés antivirales, évaluées par des universitaires de Taiwan en 2015.
Côté alimentaire, les jeunes pousses de renouée sont comestibles, comme en témoigne le chef Jean-Marie Dumaine. Cependant, la question se pose de savoir si cette plante accumule ou non dans ses feuilles les métaux lourds. Les avis des experts divergent. Dans le doute, soyons vigilants lors de la cueillette et n’en mangeons pas trop souvent.
Un chef fan de renouée
Le chef gastronomique Jean-Marie Dumaine, qui officie en Allemagne, a une plante sauvage fétiche : la renouée du Japon, dont le « goût acidulé est proche de celui de la rhubarbe ». Voici sa recette simplifiée de renouée en manteau croustillant, tirée de Ma cuisine des plantes sauvages, éd. Le Courrier du livre.
Recette pour 4 personnes
Ingrédients : 8 pousses de renouée du Japon (cueillies début printemps) • 250 g de crème d’amande • 4 feuilles de brick • 20 g de beurre • 20 g de sucre glace • 1 c. à café de farine délayée avec un peu d’eau.
Méthode :
- Couper la renouée du Japon de façon que chaque tige ait un côté fermé. Remplir les tiges de crème d’amande à l’aide d’une poche à douille.
- Badigeonner les feuilles de brick de beurre fondu et saupoudrer avec un peu de sucre glace.
- Partager les feuilles de brick en deux, et y enrouler une tige farcie sur la partie basse de chaque feuille. Rabattre les côtés sous la renouée et continuer à rouler la pâte.
- Badigeonner la partie haute d’un peu de farine délayée et bien appuyer pour coller la pâte.
- Saupoudrer avec le reste de sucre glace et caraméliser au four à 180 °C pendant environ 12 minutes. à déguster avec une soupe de fraise ou un sorbet à la violette.