Plantes et insectes, une collaboration au jardin
Plantes et insectes sont l'exemple même de la complémentarité. Les uns ne sauraient être sans les autres. De ce duo, dont nous oublions parfois l'importance, dépend l'équilibre de nos écosystèmes et jusqu'à la survie de l'humanité. Ces échanges favorables à la faune comme à la flore nous plongent dans un microcosme fascinant.
De leur croissance à leur reproduction, les plantes ont pratiquement toutes besoin des insectes. Avec une belle réciprocité, la plupart de ces derniers se nourrissent de pollen, de nectar ou d’organes végétaux ; ils ne peuvent survivre sans ces ressources. Ce mutualisme est un phénomène ancien, datant probablement du Crétacé, c’est-à-dire âgé d’environ 130 millions d’années. Cela correspond à l’apparition présumée des premières angiospermes (plantes à fleurs), dont la diversification serait concomitante à celle des insectes. Une telle histoire explique la richesse et la complexité de leur collaboration, qu’il s’agisse de se nourrir ou de se reproduire. Dans un délire d’expressions chimiques, olfactives et visuelles, chacune des parties rivalise de surprenants stratagèmes pour obtenir satisfaction.
Techniques de séduction
Les plantes n’hésitent pas à produire des fleurs riches en nectar et substances odorantes, énergivore, mais appétentes pour leurs pollinisateurs – une caractéristique essentielle pour les espèces à floraison nocturne, comme le jasmin ou la belle-de-nuit. Les pétales peuvent aussi porter des taches ultraviolettes formant un dessin spiralé que seuls les insectes perçoivent : ces « guides à nectar » leur indiquent la présence de nourriture et les incitent à butiner. Les orchidées sauvages, en particulier les Ophrys (Ophrys apifera, scolopax ou fuciflora), vont encore plus loin : la forme de leurs fleurs imite celle des abeilles sauvages femelles afin d’attirer les mâles. D’autres plantes utilisent les phéromones comme pièges pour retenir les insectes dans les fleurs.
Adaptation et spécialisation
Au fil du temps, plantes et insectes se sont adaptés les uns aux autres, développant une série de signaux-réponses de plus en plus spécifiques. De nombreux insectes sont devenus spécialistes d’une famille, voire d’une espèce de plantes, ce qui se révèle beaucoup plus avantageux. En effet, butiner une fleur n’est pas aussi facile qu’il y paraît, cela demande un certain apprentissage, coûteux en temps et en énergie. Un pollinisateur...
à la physionomie adaptée butinera plus vite et plus intensément. De son côté, il s’assure ainsi de récolter un maximum de ressources en évitant la concurrence. Dans certains cas, l’adaptation évolutive réciproque d’une plante et d’un insecte a été si intense que certains sont devenus dépendants. Les guêpes Agaonidés et les figuiers en sont un fameux exemple. Il faut savoir que la figue n’est pas un fruit, mais un réceptacle contenant les fleurs de la plante. La morphologie si particulière des Agaonidés en fait les seules capables d’accéder aux fleurs en pénétrant la figue sans l’abîmer – celle-ci constitue ici un abri nourricier. Le figuier disparaîtrait sans l’insecte, et inversement.
Cette spécialisation peut encore s’appliquer à d’autres comportements. Les papillons, par exemple, pondent sur une « plante-hôte » particulière, nécessaire au développement de leurs chenilles, qui s’en nourrissent. Ainsi, l’aurore ne peut se passer de la cardamine, tandis que les orties accueillent la plusie de l’ortie, le vulcain ou le paon-de-jour. Les abeilles sauvages apprécient de dormir dans les fleurs et certaines, comme la rare osmie du coquelicot (Osmia papaveris), d’en récolter les pétales pour faire leur nid.
Une priorité du jardin
C’est la cohérence de ce réseau relationel qui détermine le risque d’effondrement des populations de plantes et d’insectes, déjà bien avancé par endroits. Face à l’urgence écologique que représente la disparition des insectes, nous pouvons réagir, chacun à notre échelle, pour les soutenir, notamment au jardin. Y compris ces insupportables phytophages dévoreurs de salades ! Car dans la réalité d’un écosystème, ces « nuisibles » régulent la croissance des végétaux et les rendent plus résistants par la pression de sélection qu’ils exercent.
Soulignons aussi que certaines de ces jeunes larves deviendront plus tard d’importants pollinisateurs, à l’instar des chenilles. Les larves de coléoptères, comme les taupins ou les hannetons, sont donc bénéfiques ; les éliminer entraînerait la perte de toute la microfaune du sol, dont certains asticots, ces rejetons mal-aimés des infernales mouches. Ils nous répugnent, mais sans ces insectes, le paysage n’aurait pas fière allure, jonché de détritus, de cadavres et… de matières fécales ! En outre, ils entretiennent la fertilité du sol en rendant la matière organique bio-disponible pour les plantes, sous forme de minéraux. Si on les détruit, on prend le risque de rompre l’équilibre fondamental, ce qui nuira au jardin. Or, lorsque celui-ci est sain, il n’y a pas de pullulations délétères pour les cultures.
Les « auxiliaires » se chargent naturellement des problèmes. Certains sauront ainsi débarrasser vos plantes de leurs parasites, comme la coccinelle à 22 points qui se nourrit d’oïdium (maladie causée par des champignons). Vous pouvez d’ailleurs leur aménager un espace accueillant, à condition de respecter le principe de la réduction des interventions (ce dont nous n’avons pas l’habitude). Ne cherchez pas à obtenir un endroit trop propre, car feuilles mortes et brindilles abriteront coccinelles et chrysopes, friandes de pucerons. Préservez des zones de friche, laissez pousser l’herbe et les fleurs autochtones, cela favorisera les pollinisateurs et les prédateurs comme les guêpes parasites, dévoreuses de chenilles. Enfin, variez les essences et les offres d’habitats. La diversité à tous les niveaux est la clé du succès !
Une langue bien pendue
La forme de la langue est un indice de choix pour déterminer les ressources des butineurs : si les papillons envahissent les fleurs du buddleia (Buddleja davidii), c’est qu’avec leur long proboscis (trompe), ils récupèrent le nectar au fond des corolles. C’est aussi le cas du bourdon terrestre (Bombus terrestris), un généraliste ayant été observé sur pas moins de 309 espèces différentes ! Toutefois, la plupart des abeilles sauvages (collètes, halictes ou andrènes) ont la langue courte, et butinent donc des fleurs planes comme les Astéracées (pissenlit, pâquerette) ou les Apiacées (carotte et panais sauvages, berce spondyle). Idem pour les syrphes, petites mouches pollinisatrices à l’allure de guêpes. Elles sont précieuses pour le jardinier, car les larves de certaines se gavent de pucerons.