Herbularius, la naissance du jardin des simples
Le jardin de plantes qui soignent est né au tout début du Moyen Âge, avec le développement des ordres monastiques. Les Bénédictins édictent les règles de l'herbularius qui, au fil des siècles, va permettre d'enrichir la culture et la connaissance des plantes médicinales et inspirer les jardins de simples…
C'est avec l'apparition de la vie monastique, au tout début du Moyen Âge, que le jardin consacré à la culture des plantes médicinales prend naissance. Cette volonté de vivre en communauté et en retrait du monde nécessite indépendance et autonomie. Au mont Cassin, non loin de Naples, Saint Benoît de Nursie (480-547) est ainsi le premier à édicter par écrit les règles d'une vie monastique communautaire. Les moines sont aussi les héritiers des savoirs antiques. Les écrits des Grecs et des Romains, traduits en latin, sont conservés dans leurs bibliothèques. Les moines disposent ainsi de nombreux ouvrages sur les plantes médicinales, comme ceux de Pline l'Ancien (23-79), Historiae naturalis libri, ou le Materia medica de Dioscoride (20 ou 40-90), mais aussi les recueils agronomiques tel le De re rustica de Palladius (IVe siècle).
Soigner la communauté monastique
Forts de cet héritage intellectuel antique, les moines des communautés bénédictines imaginent et édifient leurs jardins de plantes médicinales. Il s'agit avant tout d'un jardin utilitaire qui permet de soigner la communauté monastique. Cassiodore (485-580), grand traducteur des écrits antiques et père d'une communauté de frères au sud de la Calabre, rappelait à ses moines l'importance de l'autonomie de soin : « Mais je m'adresse aussi à vous, frères estimables qui veillez à la santé du corps humain avec une fervente avidité de vous instruire (…) Apprenez (…) à mettre en œuvre, après scrupuleuse réflexion, les principes opérants des plantes officinales et la mixture des épices. »
L'archéologie n'a pu mettre au jour de vestiges des jardins de plantes médicinales, mais nous pouvons connaître leur structure et leur composition grâce à des documents de l'époque médiévale datant du IXe siècle. Entre 818 et 823, Heito, évêque de Bâle, envoie les plans d'une abbaye bénédictine à l'abbé de Saint-Gall, en Suisse. Si le plan n'est finalement respecté qu'en partie, il deviendra néanmoins un modèle destiné à l'installation d'abbayes nouvelles et une synthèse de l'organisation monastique bénédictine de cette période. Le plan...
comprend des jardins, au nombre de quatre : le cloître, un lieu essentiellement méditatif, l'hortus ou jardin potager, le viridarium, un verger qui fait aussi office de cimetière des moines, et enfin l'herbularius, parfois appelé hortus medicus, le jardin des plantes qui soignent. Au Moyen Âge, on parle latin dans les monastères. Aussi, on appelle les remèdes simplicis medicinae, et les plantes médicinales plus spécifiquement simplicis herbae. Le terme « jardin des simples » n'apparaîtra que bien plus tard, dans le monde laïc.
L'herbularius est situé à proximité de l'infirmerie et de l'apothicairerie. Il est orchestré par le moine apothicaire, qui est aussi le médecin de la communauté. Celui du plan de Saint-Gall forme un quadrilatère composé de huit planches latérales et de huit plates-bandes centrales. Les plans de Saint-Gall nous renseignent également sur la composition des jardins. Les moines y cultivaient seize plantes : cumin, fenouil, fenugrec, iris, livèche, lys, quatre ou cinq menthes, mongette, sisymbre, romarin, rose, rue, sauge et sarriette.
Le poème Liber de cultura hortorum, écrit en 842 par Walafrid Strabon, abbé du monastère de Reichenau, complète l'image de l'herbularius du Haut Moyen Âge. C'est un jardin simple, clos, composé de parterres délimités par des planches ou des plessis (clôtures tressées de branchages, souvent du noisetier ou de l'osier). Les planches de culture sont surélevées pour éviter le froid du sol. Le poème de Strabon cite dans ses 444 vers quelque 28 plantes, dont 4 arbres, enrichissant ainsi la liste de Saint-Gall. En plus de son rôle utilitaire, l'herbularius a pour mission de fleurir l'église, même si le jardin de fleurs décoratives ne verra pas le jour avant l'an 1000. La rose de Provins ou le lys, en plus de leurs qualités vulnéraires, permettent d'évoquer la virginité de la Vierge et la passion du Christ.
Adopté par le monde laïc
La culture des plantes médicinales se développe tout au long de la période médiévale. La Renaissance carolingienne participe à son essor et à la diffusion des savoirs. L'article 70 du capitulaire de Villis, promulgué par l'empereur Charlemagne en 812, recommande la culture de 94 plantes à des fins médicinales ou tinctoriales. Les monastères bénédictins, de plus en plus nombreux, échangent, comme ils le font encore aujourd'hui, leurs savoirs, leurs graines, leurs boutures et leurs productions. L'activité des moines copistes bat son plein et les ouvrages circulent, on réalise des plantaires, recueils mêlant botanique et considérations médicinales. Les herbularius se propagent aussi chez les Chartreux et les Cisterciens, des ordres monastiques créés aux XIe et XIIe siècles.
Le jardin médicinal se développe ensuite, et ce jusqu'au siècle des Lumières, dans les hôtels-dieu, où les communautés religieuses et parfois des laïcs dispensent des soins aux miséreux toujours plus nombreux. Les plantes locales ne nécessitant pas une préparation complexe y sont de plus en plus utilisées pour soigner les populations sans le sou. Petit à petit, sans doute à partir du XVe siècle, on fait le distinguo entre d'une part les remèdes végétaux populaires composés d'une seule plante, bientôt désignés par le terme « simples » en langue vernaculaire, et d'autre part les préparations médicinales complexes et onéreuses comme la thériaque ou les épices venues d'Orient. Les simples soignent les « simples gents » et le terme se popularise.
Parallèlement, le jardin de plantes médicinales est adopté par le monde laïc, notamment dans les écoles de médecine et universités où il devient l'outil indispensable de transmission des savoirs et de préparation des remèdes. Le jardin de Padoue en est un exemple. Créé en 1545, il porte pour la première fois la dénomination orto dei semplici, « jardin des simples »…
Un inventaire botanique historique
Le capitulaire de Villis, édicté par Charlemagne, énumère de nombreuses règles de gestion des domaines royaux. Son fameux « article 70 » indique toute une liste de plantes que les domaines doivent cultiver pour la nourriture, le soin et la réalisation de tissus. Au total, 94 plantes, dont 73 herbacées, 16 arbres, 3 plantes textiles et 2 tinctoriales y sont citées. La majorité des savoirs sur les plantes médicinales provenaient des auteurs gréco-romains comme Pline l'Ancien ou Dioscoride. Si l'article 70 n'était pas respecté dans sa globalité, il avait le mérite d'ouvrir le champ des possibles. Cet inventaire botanique est un document majeur pour la connaissance du monde carolingien.