Histoire des plantes
Le lippia, souvenir d'une expédition tragique
Au début du XVIIIe siècle, alors que de nouvelles plantes ont été identifiées lors d'expéditions, les botanistes aiment les nommer en tirant une personnalité de l'oubli. C'est ainsi que les lippies, plantes d'origine mexicaine, portent le nom d'un jeune médecin féru de botanique.
Les lippias, « lippies » en français, sont des plantes arbustives de la famille des verbénacées, présentes un peu partout dans les régions tropicales, en particulier en Amérique, mais aussi en Afrique. Très aromatiques, ils sont souvent utilisés comme condiment et dans les pharmacopées locales, comme le Lippia alba du Mexique, le zumbani du Zimbabwe (Lippia javanica), ou encore le koseret d'Éthiopie (Lippia abyssinica), qui est à la fois une épice indispensable de la cuisine africaine, une tisane et un remède employé contre diverses affections. On rangeait encore naguère dans ce genre un édulcorant naturel, Lippia dulcis, mais celle-ci a changé de genre (elle se nomme désormais Phyla dulcis).
Les lippias doivent leur nom à un botaniste et voyageur français d'origine italienne, Augustin Lippi (1678-1705). Ce dernier, jeune médecin passionné de botanique et avide de voyages, sut se faire apprécier de Guy-Crescent Fagon (1638-1718), surintendant du Jardin du Roi (actuel Muséum national d'histoire naturelle), qui cherchait justement à envoyer des naturalistes étudier la faune et la flore de pays lointains.
C'est donc sur la recommandation de Fagon que Lippi fut choisi pour participer à l'ambassade envoyée par Louis XIV au négus d'Éthiopie et menée par François Janus Le Noir Du Roule (1665-1705), vice-consul en Égypte. À cette époque, la France menait une activité diplomatique intense à destination de pays lointains comme la Perse, le Siam ou l'Éthiopie. Cette dernière, royaume chrétien entouré de pays musulmans, suscitait un grand intérêt de la part des puissances européennes, désireuses d'établir des alliances face à l'Empire ottoman.
Un hommage à un martyr de la science : Augustin Lippi
Lippi s'embarqua ainsi pour l'Égypte avec Le Noir Du Roule. Au printemps 1704, le petit groupe partit d'Alexandrie, remontant le Nil en direction de l'Éthiopie. Régulièrement, Lippi envoyait en France des lettres, des descriptions de plantes et des échantillons, dont une partie se trouve toujours aujourd'hui au Muséum national d'histoire naturelle. Mais une fois parvenue à Sennar (aujourd'hui au Soudan), alors capitale d'un sultanat indépendant situé entre l'Égypte et l'Éthiopie, la troupe, en butte à l'hostilité des autorités et de la population, fut massacrée.
Cette tragique ambassade serait tombée dans l'oubli s'il n'en était resté la précieuse documentation transmise par Lippi, qui put être en partie exploitée. Quelques décennies plus tard, le botaniste et voyageur britannique William Houstoun (1695?-1733), voulant honorer la mémoire de son prédécesseur mort en martyr de la science, donna son nom à une plante qu'il avait trouvée aux environs de Veracruz, au Mexique, même si celle-ci n'eut aucun rapport particulier avec Lippi. Houstoun mourut peu après sans avoir publié ses travaux, mais ceux-ci furent transmis au naturaliste suédois Linné qui reprit ce nom de genre, Lippia, d'abord dans sa Critica botanica (1737), puis dans le Species plantarum (1753), le faisant ainsi entrer dans la nomenclature officielle.