Renouer avec la politesse
Elle pèse à certains quand « il faut » l'appliquer, mais on regrette aussi qu'elle se perde. La politesse, ensemble de règles de savoir-vivre, est un code culturel source de malentendus. Et s'il fallait surtout lui redonner du sens, pour lui accorder une juste place dans notre vie ?
Désuète, la politesse ? Non, répondent les Français lorsqu’on les sonde sur l’importance de cette valeur. Ils se plaignent d’ailleurs de la recrudescence des incivilités, même si chacun s’empresse de les attribuer aux autres plus qu’à soi-même. Si certains codes restent, d’autres se perdent. Aujourd’hui, remercier celui qui vous tient la porte ou prévenir ses voisins qu’on organise une fête est un peu tombé dans les oubliettes. En revanche, consulter son smartphone tout en ignorant son interlocuteur est désormais taxé de phubbing (contraction de phone et de snubbing, snober). Une volte-face qui rappelle que la politesse, par les actes et les mots, constitue un code commun qui vise à témoigner de la considération à autrui. En retour, cela nourrit notre propre besoin de reconnaissance. Choisir un élixir floral quand l’impolitesse nous est reprochée ou que l’on ressent une gêne à être courtois peut aider à en prendre conscience et à changer d’attitude.
Revanche ou bienveillance ?
Ainsi, l’élixir de muguet invite à se défaire de l’image un peu coincée des « bonnes manières ». Si les clochettes de cette fleur sont alignées dans le même sens et inclinent la tête, son parfum puissant nous relie à notre liberté intérieure. L’élixir permet aux rebelles de se sentir assez en confiance pour accepter les conventions sociales spontanément.
Certaines personnes « oublient » de répondre à une invitation ou de remercier pour un service rendu. Bien qu’elles se justifient par un agenda surbooké, cette négligence peut révéler une tendance à considérer que tout leur est dû ou une gêne à entrer en relation avec autrui. Une telle attitude évoque la violette d’eau : flottant à la surface de l’onde, libre et sans racine, elle exprime son autosuffisance et son besoin d’espace. Son élixir, lui, rappelle l’aspect délicat de ses fleurs. Il permet de cultiver l’humilité et le sens du partage, afin de pouvoir énoncer un simple « merci ».
Qui ne s’est jamais dit « pourquoi me montrer aimable avec cette personne qui ne respecte pas les règles élémentaires du savoir-vivre ? » Cette réaction « œil pour œil, dent pour dent...
» peut être transformée en prenant l’élixir de houx, qui transmute les réactions d’agressivité, de colère et d’esprit de revanche en une attitude bienveillante. À l’image des feuilles de houx, bien moins piquantes au sommet de la plante, là où elles reçoivent davantage de lumière, cet élixir amène à comprendre qu’opter pour la courtoisie peut inciter un malotru à en faire preuve également.
Une marque de politesse devrait toujours être investie de chaleur. Or on a tendance à s’y conformer mécaniquement, sans réelle attention pour l’autre. L’élixir floral de tabac est tout indiqué dans ce cas où, au fond, nous sommes coupés de nos émotions et sentiments. En florithérapie, le tabac agit sur l’ouverture du cœur de celui qui fonctionne en pilotage automatique. Il incite à sortir de cette forme d’anesthésie, signe de vulnérabilité et d’angoisse sous-jacentes, et à manifester sa gratitude sans froideur ni tension.
Le bouleau, gracieux mais égoïste
Parfois, la négation de l’autre prend des allures désinvoltes, à la limite du mépris. Quand un merci ou un bonjour arrive à retardement (« Ah, au fait, merci ! »), par exemple. Cette attitude détachée, un peu juvénile, rappelle le geste du bouleau. Voilà un arbre gracieux au feuillage aérien, mais peu enraciné dans le sol. Un arbre égoïste, aussi : il n’accueille ni végétaux ni oiseaux et profite du sol tout en l’appauvrissant. L’élixir fabriqué à partir de ses fleurs encourage au contraire à prendre soin de ce qui nous entoure et, par là même, à ne plus considérer la politesse comme insignifiante.
Ne pas trop en faire
A contrario, témoigner de son respect pour autrui de façon très appuyée peut être déplacé, du moins prêter à interprétation. La politesse flirte parfois avec l’hypocrisie, voire l’obséquiosité, en vue d’obtenir un avantage. Les adeptes du donnant-donnant sont un peu comme les fleurs de chicorée : bleues ou roses selon le PH du sol, elles charment non sans un petit calcul. L’élixir invite à développer des relations sincères et désintéressées.
Certains ne cherchent aucun avantage, mais utilisent les marques de politesse avec une pointe de condescendance, que l’élixir de vigne peut rééquilibrer. Les personnalités auxquelles il s’adresse ont soif de dominer, tout comme l’homme qui cultive et taille la vigne. La plante, il est vrai, se révèle envahissante lorsqu’elle est laissée à l’abandon. Et si les fleurs sans pétales traduisent un manque de sensibilité, leur parfum suave signe la vertu principale de son élixir : l’empathie, le respect d’autrui. Il permet de se situer d’égal à égal avec l’autre.
La politesse, inscrite dans la réciprocité et dénuée de tout formalisme, contribue à dessiner les contours de notre identité afin que chacun trouve sa place dans la société.
Calendula, fleur de cordialité
Si cette Astéracée s’appelle aussi « souci du jardin », le mot souci, ici, ne renvoie pas à un problème : il provient du latin solsequia, qui signifie « qui suit le soleil ». Cette fleur jaune-orangé qui s’épanouit abondamment renvoie en fait à l’idée de prendre soin. Jadis réputée pour soulager des morsures de serpent, elle est encore très utilisée pour ses vertus calmantes et cicatrisantes. Ses qualités de douceur et sa capacité à apaiser les plaies confèrent à son élixir floral le pouvoir d’employer des mots plus cordiaux. Le calendula se développe avec peu de terre et transmet son humilité et sa réceptivité aux personnes irritantes, agressives ou injurieuses, et à celles qui écoutent superficiellement. Il restaure ainsi les bases d’un savoir-vivre en société. D’ailleurs, cette plante qui s’adapte à n’importe quel environnement n’est jamais sauvage.
Le monde de la bienséance
Quand on rencontre des étrangers, les règles de politesse prennent parfois un relief particulier. Ce qui se pratique chez soi peut devenir inconvenant ailleurs… On se rend compte que connaître ces codes est indispensable pour mieux se comprendre. Voici quelques exemples tirés du livre Parcourir le monde de la politesse (éd. Denoël).
• Les fleurs que l’on offre font l’objet de coutumes spécifiques. En Allemagne, on ne les emballe pas. On témoigne de sa considération avec un bouquet qui semble tout juste cueilli. En Inde, toucher ou humer les plantes vendues dans les rues, au marché ou en guirlande sur les tableaux de bord des voitures risque de les rendre impures.
• En matière d’hygiène et de santé, la bienséance veut qu’on ne se mouche pas en public au Brésil ou en Corée du Sud, où renifler et cracher n’est, en revanche, pas choquant ! À Hong Kong, on peut roter, mais pas éternuer. Et aller travailler enrhumé sans porter un masque couvrant la bouche et le nez dénote un grand manque de savoir-vivre.
• L’expression des émotions peut aussi poser problème. Il est mal venu de hausser le ton en Autriche ou au Brésil, de critiquer aux États-Unis, d’être franc en Angleterre (un plat moyen est « délicieux », et un « non » se transforme en « je crains de ne pas pouvoir »). En Espagne, la familiarité est un signe de confiance, et « parler à la française », le comble de l’impolitesse…