Apothicairerie de
Baugé-en-Anjou :
Plongée dans l'époque épique de la pharmacopée
À Baugé-en-Anjou, près d'Angers, un ancien Hôtel-Dieu et son apothicairerie, riche d'une superbe collection de boîtes et pots à pharmacie, constituent un patrimoine remarquable. Ce lieu étonnant raconte le quotidien des malades au XVIIe siècle. Il met aussi en lumière le rôle de la religieuse hospitalière, savante et dévouée, soignant les malades corps et âme.
Dès 1650, indigents et malades sont accueillis à l’Hôtel-Dieu de Baugé – exception faite des femmes en couches, des enfants de moins de 7 ans et des incurables. Situé alors en marge de la ville, le lieu se compose de deux grands ensembles architecturaux de 7 000 m², l’hôpital et les bâtiments conventuels, érigés grâce à la détermination de deux bienfaitrices, Marthe de la Beausse et Anne de Melun, princesse d’Épinoy. À l’intérieur officiaient les sœurs hospitalières de Saint-Joseph, congrégation fondée par Jérôme Le Royer de La Dauversière. À la fin du XVIIIe siècle, l’établissement reçoit plus de 600 malades par an, pour une communauté forte d’une trentaine de religieuses.
Des soins du corps au soin de l’âme
Aujourd’hui, la visite nous conduit dans l’ancienne salle commune dédiée aux femmes. Elle accueille une exposition permanente autour d’une centaine d’objets, de mobiliers et de tableaux illustrant les thèmes de la pharmacopée, de la médecine, des traitements et plus largement de la vie dans un Hôtel-Dieu au XVIIe siècle. « Jusqu’au XIXe siècle, il était courant d’installer plusieurs malades dans un même lit », raconte Yohann Olivier, chargé d’animation et du patrimoine de la Ville. Chaque malade était revêtu d’une blouse, d’un bonnet, d’une robe de chambre et de chausses. Il disposait d’une chaise percée, d’une table de nuit, d’un nécessaire en étain ainsi que de linge propre. Dans les grands dortoirs hauts de plafond flottaient des effluves de romarin, d’hysope et d’hélichryse, censés masquer les miasmes et assainir les lieux. Au XVIIe siècle, les principaux traitements pratiqués sont les saignées et les lavements réalisés à l’aide d’un clystère, sorte de grande seringue en étain. Les religieuses hospitalières qui prodiguaient des soins aux corps fournissaient aussi aux malades un encadrement spirituel. Ainsi, pour le soin de l’âme, une chapelle baroque ouverte sur l’une des salles communes permettait d’assister aux offices quotidiens depuis son lit.
Des ingrédients surprenants
Pour réaliser ses remèdes, l’apothicaire puisait des ingrédients dans les trois règnes : végétal, minéral et animal. On trouve ainsi dans l’apothicairerie de Baugé des matières premières pour le moins étranges : de la poudre de cantharide (insecte coléoptère), qui permettait de faire murir un abcès ou un furoncle et de « casser » les calculs rénaux ; de la corne de cerf, utilisée pour fortifier l’estomac ou arrêter les diarrhées ; ou encore des « doigts de momie » (au XVIe siècle eut lieu un véritable trafic de momies, en particulier pour les vertus qu’on leur prêtait) censés fortifier, cicatriser ou protéger de la gangrène. Ce fut aussi l’heure de gloire de la thériaque, remède réunissant un mélange d’au moins 50 substances végétales, animales et minérales avec un sirop de sucre ou du miel.
Un écrin d’origine
L’apothicairerie, située à l’entrée de l’Hôtel-Dieu, est une petite pièce lambrissée de panneaux de chêne du sol au plafond. Son mobilier est composé de dressoirs à huit étages et de colonnettes torsadées en noyer de style Louis XIII. Cette pharmacie, aménagée et garnie vers 1675, renferme toujours plus de 600 récipients différents, en bois, en verre ou en faïence. Les matières premières sèches sont conservées dans des boîtes en châtaignier ; les préparations solides ou pâteuses comme les baumes, les onguents ou les emplâtres, dans des pots canon ; les sirops, les huiles et diverses préparations liquides, dans des chevrettes (le bec verseur ressemble à la corne du chevreau) ; et divers alcoolats à base de plantes, dans des bouteilles en verre soufflé.
Pendant près de trois cents ans, l’apothicairerie de Baugé, en activité jusque dans les années 1940, a été gérée par des sœurs de la communauté des hospitalières de Saint-Joseph – l’Hôtel-Dieu, lui, fonctionnera jusqu’en 2001. Les religieuses étaient notamment responsables de l’approvisionnement en matières premières provenant du monde entier, dont des plantes cueillies dans le jardin des simples – on en ignore l’emplacement précis d’origine, mais il a été recréé en 2011 dans la cour carrée de l’Hôtel-Dieu. Les sœurs s’occupaient de la fabrication des remèdes dans un laboratoire adjacent, en s’appuyant sur les ouvrages de référence de pharmaciens comme Nicolas Lemery et Moyse Charas. Elles administraient aussi ces médicaments aux malades. À Baugé, dans ce véritable joyau du patrimoine pharmaceutique que représente l’apothicairerie de l’Hôtel-Dieu, on pourrait croire que le temps s’est arrêté.
Infos pratiques
Comment y aller ? Depuis Paris, compter près de trois heures de route via l’A10 puis l’A11, ou bien une heure trente de TGV jusqu’à Angers puis quarante minutes de voiture. L’Hôtel-Dieu et l’apothicairerie sont situés au 1, place de l’Europe à Baugé-en-Anjou (Maine-et-Loire).
Tarifs et réservations : les bâtiments sont ouverts de février à novembre, des visites libres (adultes 7,50 €, enfants 3 €) ou théâtralisées (adultes 11,50 €, enfants 7-16 ans 6 €) sont proposées. Réservation obligatoire pour les visites théâtralisées au 02 41 84 00 74.
Où dormir ? Chambres d’hôtes au Chalet, à Sermaise (à 10 km de Baugé-en-Anjou), à partir de 70 € la nuit. Réservation sur www.chalet-49.com