L'art de la phytosociologie au Conservatoire botanique de Bailleul
Percer le secret de l'habitat des fleurs sauvages ou médicinales, comprendre comment les plantes interagissent est l'une des spécialités du Conservatoire botanique national de Bailleul. Niché dans un îlot de nature de 25 hectares, près de Lille, ce centre de ressources accueille 1 500 espèces de plantes, une ferme flamande, deux jardins, un écopâturage et même une bibliothèque de graines.
Le climat du Nord a bien changé depuis cinquante ans ! Cet hiver, aucune gelée n’est venue figer la nature et les premiers bourgeons sont apparus avec un mois d’avance… Ici, l’histoire des hommes qui étudient les végétaux a commencé en 1970, sous l’impulsion d’un couple de scientifiques visionnaires, les professeurs Jeanne Géhu Franck et Jean-Marie Géhu. Ils ont imaginé un écrin de verdure pour faire évoluer une nouvelle science : la phytosociologie. Cette discipline étudie les associations végétales dans les biotopes pour comprendre notamment la dynamique écologique. Dans le jardin historique, celui des plantes médicinales sert d’outil pédagogique : il est riche de 500 espèces de plantes médicinales. On y trouve la mauve sauvage (Malva sylvestris) adoucissante, laxative et anti-inflammatoire, la bourrache officinale (Borago officinalis) digestive, ou encore la pulmonaire officinale (Pulmonaria officinalis) pectorale et sudorifique. Dans le conservatoire, qui a pour mission la préservation de la flore sauvage et des habitats naturels, 50 salariés œuvrent, élargissant le champ d’investigation aux Hauts-de-France et à l’ancienne Haute-Normandie. Entre les 4 millions de données numériques, les herbiers historiques et les dizaines de milliers d’observations sur le terrain chaque année, la richesse, mais aussi la perte de la biodiversité sont scrutées. Ainsi, une espèce végétale disparaît par an dans les Hauts-de-France. C’est le cas notamment de l’œillet superbe (Dianthus superbus).
Avec le réchauffement climatique, certaines espèces migrent
Avec le dérèglement climatique, le travail des botanistes change. Thibault Pauwels, chef du service éducation, formation et écocitoyenneté, explique : « Cela fait plusieurs années que l’on constate des modifications. En général, nous avons ces dernières années trois semaines d’avance… Mais cette fois, c’est marqué par une chaleur persistante ! Sur la partie sud de ce territoire des Hauts-de-France et de la Haute-Normandie, on observe des espèces migrer au nord. C’est le cas de l’orchis pyramidal, une d’orchidée qui nous vient de Normandie. La cochléaire anglaise, que l’on trouvait dans l’estuaire de la Seine, s’est adaptée à l’estuaire du Pas-de-Calais depuis une dizaine d’années ». Dans le jardin des plantes sauvages, un espace paysager de 9 000 mètres carrés, les visiteurs observent les milieux naturels reconstitués comme le système dunaire, la prairie humide, la pelouse calcicole, la lande, la tourbière. Le tout sous forme de parcelles thématiques cultivées avec des espèces étiquetées : on admire la nielle des blés (Agrostemma githago), la digitale pourpre (Digitalis purpurea), la bruyère des marais (Erica tetralix), le géranium sanguin (Geranium sanguineum) et la violette de Rouen (Viola hispida).
Ronces, houx, aubépine et cassis font partie de l’écosystème de la région
Thibault Pauwels et ses collègues continuent à enquêter sur les réactions de la flore vis-à-vis du climat : « Nous voulons savoir comment nous pouvons anticiper les changements, conseiller le choix des plantations… En juin 2019, nous avons établi la liste rouge des espèces en danger dans le Nord. Résultat : 200 espèces sont à l’heure actuelle menacées sur 1 500, ce qui équivaut à 9 % de la flore. On trouve notamment l’Aconit ou casque de Jupiter (Aconitum napellus), classée vulnérable. Quant à l’Adonis d’automne (Adonis annua), il est classé en danger ».
On en connaît les causes : l’aménagement du territoire, l’artificialisation des sols, et l’agriculture intensive impliquant l’épandage de pesticides, d’engrais chimiques et le drainage. Les scientifiques constatent aussi les effets d’une certaine uniformisation des sols. En effet, l’agriculture intensive a tendance à transformer les sols pour aboutir au même type de milieu qui est un sol riche, drainé, favorisant certaines espèces. Or la biodiversité existe précisément car il y a une diversité des sols au départ avec des milieux humides, des milieux secs, des milieux pauvres et des milieux riches. Le site est, en tout cas, un vrai poumon vert sur douze hectares de prairies sauvages pâturées par la race bovine Bleue du Nord et les moutons boulonnais. Dans les cinq hectares de bois, les chênes, les peupliers, les hêtres, les bouleaux et les aulnes font office de protection. Et le long des cultures et des boisements, on découvre l’écosystème de la région avec ses ronces, ses houx, ses aubépines et ses cassis. Une dizaine de biotopes particuliers sont composés aussi bien de végétaux à usage condimentaire, thérapeutique et cosmétologique. Parmi les plantes à huiles essentielles, on observe la camomille, l’origan, la menthe poivrée, l’angélique, le persil et la carotte sauvage. On les retrouvera dans l’alambic, lors des week-ends de formation à l’École des plantes de Bailleul.
Ouverte à tous, elle propose une formation à la phytologie végétale pour apprendre la flore et ses usages. Cette année, un nouvel aspect de la botanique sera présenté pendant la journée porte ouverte de juin : les plantes comestibles seront à l’honneur pour faire écho à la mode des cueillettes sauvages, et en évoquer les bonnes règles. Des recettes seront expliquées par des chefs régionaux comme Florent Ladey, dont le restaurant Le Vert-Mont, à Boeschèpe, fait la part belle aux végétaux locaux. Voilà un lieu à suivre de près pour devenir botaniste en herbe et écologiste actif !
Grâce à la grainothèque, tout le monde sème !
Elle fonctionne comme une bibliothèque : on y emprunte des semences de fleurs sauvages locales, soit 18 espèces triées sur le volet dont le coquelicot, la marguerite et l’achillée. On les sème dans son jardin, on les cultive, on récolte les semences issues des graines prêtées pour les retourner à la grainothèque. Le choix s’est porté sur des espèces ordinaires, jolies, qui poussent bien, et qui n’ont pas d’impact si elles se trouvent dans la nature. La difficulté consiste à éviter de planter certaines espèces capables de créer une pollution génétique sur d’autres espèces sauvages. Par exemple, le bleuet n’est pas dans la liste car le bleuet sauvage est sensible à l’hybridation. En effet, si on met côte à côte un bleuet du sud de la région avec un autre du nord, ils sont génétiquement différents et la pollution sera inévitable. N’hésitez pas à vous faire conseiller.
Une espèce rare à préserver
La fritillaire pintade (Fritillaria meleagris) a été sauvée de justesse de la disparition. Grâce à des gestes écocitoyens, il a fallu quelques années, sans aucun intrant, pour que 2 000 pieds apparaissent ! Cette plante herbacée endémique du nord de l’Europe est localisée en France dans la plaine de la Lys, en aval d’Armentières. Au printemps, elle donne des fleurs pourpres qui retombent comme des clochettes. Cependant, attention à ses bulbes, car ils contiennent des alcaloïdes vénéneux.
Infos pratiques
- Comment y aller : De la gare de Bailleul, comptez 4 kilomètres à pied, ou en taxi, du centre-ville de Bailleul (à 1 kilomètre de la gare). Bailleul se situe à 25 minutes de Lille par l’autoroute A25 (sortie n° 10).
- Horaires : Visite libre des deux jardins toute l’année du lundi au vendredi, de 8 h 30 à 12 heures et 13 h 30 à 18 heures (17 heures le vendredi) et le week‑end sur réservation. www.cbnbl.org
- Visites guidées en semaine de 8 h 30 à 12 heures et de 13 h 30 à 18 heures, et le week-end sur réservation.
- La bibliothèque et la grainothèque sont ouvertes toute la semaine.
- Journée porte ouverte le 7 juin.
- Tarifs 4,50 € par personne. Gratuit pour les enfants de moins de 12 ans. 6,50 € par personne pour une visite guidée.
- Hébergement Belle Hôtel 3-étoiles, à Bailleul. À partir de 69 € la chambre. Tél. : 03 28 49 19 00.