Les Jardins secrets : un feu d'artifice floral

Une route étroite de campagne bordée de coquelicots. Dans ce paysage doucement vallonné, à Vaulx, petite commune rurale de Haute-Savoie, se cachent les Jardins secrets.

Nous sommes en 1980 lorsqu’Alain et Nicole Moumen posent leurs valises dans cette ferme au cœur du village. Tout en exerçant leur profession de restaurateurs de meubles, les époux rénovent le bâti et fleurissent leurs 7 000 m2 de terrain. « J’ai commencé en semant des cosmos, puis des aromatiques pour ma cuisine. On n’était pas des jardiniers », confie Nicole. Alain, lui, plante le décor. Il s’essaie au travail artisanal du bois, du mortier de chaux ou encore du cuivre. Sans préméditation ni plans, l’homme se laisse porter par son imaginaire débridé pour façonner portiques, arches, tourelles, balustrades et bassins. Quant à leurs trois filles, elles s’initient à la création de dalles, tuiles, vasques ornementées. Durant une dizaine d’années, ces deux générations s’attellent ainsi à façonner de leurs mains un univers singulier inspiré des lectures et pays de leur enfance, la Tunisie et le Maroc. « On était dans notre jardin secret, caché derrière un mur. Au fil du temps, les gens qui achetaient nos meubles souhaitaient le visiter. On a eu le sentiment que le jardin plaisait et on a décidé d’en ouvrir les portes », raconte Nicole Moumen. C’est ainsi qu’en 1994, ce qui n’était qu’un jardin familial intime se transforme peu à peu en un « Jardin remarquable », attirant chaque année près de 40 000 visiteurs.

Fouillis poétique écologique

Dès l’entrée, l’enchantement opère. Un chemin nous invite à déambuler sous la glycine violacée, mais déjà le regard est happé par les carrés végétalisés qui l’entourent. Les Jardins secrets forment des mosaïques d’espaces verts clos par des murs alliant bois, terre cuite et briques. Le tout est parsemé de bambous, d’hortensias, de palmiers et de petites lanternes. On perçoit alors que l’on ne se trouve qu’au début d’un puzzle géant, où l’itinéraire tracé semble difficile à suivre tant le foisonnement de fleurs, d’arcades et de patios remplit le champ de vision. « Ce fouillis poétique me correspond bien. Je n’aime pas les plantations sophistiquées, rangées, les collections botaniques. Je plante en suivant mon instinct, pas les modes » explique Nicole Moumen, toujours en charge du jardin.

À gauche, une ribambelle de rosiers, d’iris violets, de pivoines, de coquelourdes et de roses trémières donne sur le « Jardin délice » aux airs d’Orient. Encerclant la fontaine, les chaises et tables façonnées de zelliges invitent à contempler la végétation luxuriante bercée par les clapotis de l’eau. Avec le temps et une gestion des jardins sans intrants chimiques, une faune variée s’est développée. L’introduction de plantes mellifères a notamment permis d’attirer des insectes pollinisateurs et plusieurs espèces de papillons : paon-du-jour, petite tortue, citron, vulcain, moro-sphinx…

Une mosaïque de jardins

En poursuivant la balade, on vogue de jardin en jardin – vingt en tout, aux inspirations variées, cloisonnés et imbriqués les uns dans les autres. D’abord, la cour du grand marronnier où l’arbre centenaire, recouvert de lierre grimpant, s’impose au milieu des bancs. Derrière, un jardinet en espalier, celui de l’apothicaire, expose fièrement des aromatiques mais aussi de la tanaisie, de la rue, de l’origan ou du fenouil. Des médicinales que l’on retrouve un peu plus loin, dans le « Jardin du curé », à l’architecture moyenâgeuse, où s’épanouissent lavandes, pavots, grandes centaurées, rosiers, consoudes, marguerites et bourraches. C’est l’espace préféré de la propriétaire. « À l’origine, c’était un potager avec un côté monacal, donc j’y ai planté des médicinales que l’on trouvait dans les jardins de curés », explique-t-elle. Ce dernier borde les « Loges de la folie », ceintes de galeries à l’image d’un cloître, apportant de l’ombre aux fougères, aux iris sauvages blancs et jaunes, aux hostas et aux arums. En levant la tête, on découvre la bignone incandescente qui empanache avec fantaisie les tourelles.

Le cœur apaisé, les sens en éveil, l’exploration se poursuit dans le dédale métissé. Passé le patio, un écrin vert rappelant l’Alhambra nous attend : il s’agit du « Jardin andalou », dont les circuits d’eau se fondent à l’abondante végétation. Iris, marguerites, physalis, hémérocalles et grandes centaurées… Acanthes, valérianes et géranium Johnson’s Blue… Gigantesques hibiscus des marais, euphorbes et alchémille… Dans ce paysage un brin fou et sauvage, l’attention est portée à l’ambiance plutôt qu’au détail. Une bouffée d’air parfumé avant de plonger nos yeux dans le bleu azur d’une piscine entourée de géraniums roses, d’alcôves décorées de tapis et de vaisselle traditionnelle tunisienne. Le dépaysement est tel que l’on voudrait voyager des heures dans ces carrés singuliers. Alors, avant de retrouver le monde réel, faites un dernier arrêt au « Jardin délice » pour y déguster l’incontournable thé à la menthe. Quant au puzzle luxuriant, il n’a pas fini de grandir, révèle la propriétaire. « C’est un chantier éternel et transgénérationnel. Nos petits-enfants y prennent part avec des projets de maraîchage et de cabanes dans les arbres, pour valoriser un tourisme engagé et respectueux de la nature. »