Les hortillonnages d'Amiens Un pont entre art et nature
Des œuvres artistiques et paysagères installées sur des îlots qui semblent flotter entre étangs et petits canaux creusés dans la Somme… Ce décor atypique sert d'écrin à un festival Art et Jardins enchanteur. Découverte…
Le Festival international des jardins d'Amiens fête cette année ses 15 ans. Une manifestation unique sur un site magique, celui des hortillonnages d'Amiens. Les ciels changeants du Nord se reflètent dans les eaux calmes des étangs et petites voies navigables. Les lignes courbes des parcelles émergées sont arborées de saules, d'aulnes et de sureaux. Sur leurs berges, une flore des milieux humides s'épanouit : iris et fenouils d'eau, cirses des rivières, joncs, roseaux et nymphéas entre lesquels évoluent les cygnes, colverts, hérons cendrés et poules d'eau… Ce lieu bucolique respire le calme et invite à une itinérance douce. Pourtant, il se situe à quelques encablures seulement du centre d'Amiens, capitale historique de la Picardie…
La « Venise des légumes »
Il y a quinze ans, Gilbert Fillinger, directeur de l'association Art et Jardins, fait le pari d'installer des œuvres d'art et des jardins paysagers sur certains îlots au sein de cet espace naturel de 300 hectares. Cette année, le festival permettra de découvrir 50 créations contemporaines, sur 22 parcelles, à travers deux parcours : l'un s'effectue en barque électrique depuis le Port à fumier de Camon, sur l'étang de Clermont, et l'autre à pied sur l'île aux Fagots d'Amiens.
Ce festival représente un nouveau tournant dans la riche histoire du site. Façonnés par la main de l'homme il y a plus de 2 000 ans, les hortillonnages tirent leur nom du latin hortus, « jardin ». À l'origine, des étangs et des rieux, petites voies navigables irriguées par la Somme, ont été creusés pour en dégager de la tourbe qui servait alors de combustible aux citoyens. De petits îlots émergent, qui se révèlent très fertiles. Des maraîchers, les hortillons, s'y installent et acheminent leur production par barque jusqu'au cœur de la cité et au-delà, faisant la fortune de la ville. Au Moyen Âge, Amiens devient la « Venise des légumes » et prospère, cette richesse permettant de construire en un temps record l'une des plus grandes cathédrales gothiques de France...
Du déclin au renouveau
Cette manne économique perdure jusqu'au début du XXe siècle. À son apogée, le site s'étend sur plus de 1 500 hectares et fait vivre près de 50 hortillons, qui se transmettent leurs jardins flottants de père en fils… Mais l'industrialisation de l'agriculture sonne le glas du lieu, trop enclavé et quasi inaccessible par la route. Aujourd'hui, seuls huit hortillons continuent de cultiver leurs parcelles. Certaines deviennent des jardins d'agrément ou des sites de pêche et de chasse aux canards… Mais bon nombre d'îlots sont laissés à l'abandon. En 1975, un projet de rocade autoroutière menace même de détruire intégralement le lieu, sauvé in extremis par l'Association pour la protection et la sauvegarde du site et de l'environnement des hortillonnages. L'arrivée du Festival international des jardins ouvre à son tour une nouvelle dynamique.
« Pour installer nos œuvres, nous louons les parcelles à la Ville ou à des particuliers », explique Nathalie Vallée, responsable de la production du festival. « Certaines avaient été abandonnées de longue date et servaient même de décharge sauvage… Nous y sommes allés à la pelleteuse pour les dégager. L'une des premières œuvres paysagères faisait la part belle à des plantes dépolluantes, pour remettre les sols en état », note la responsable. Au gré des réhabilitations, une maison typique d'hortillon est redécouverte, complètement envahie par les ronces, les orties et autres herbes folles… Aujourd'hui, elle permet de mieux comprendre le patrimoine des hortillonnages et sert de cadre à des installations artistiques.
De nouvelles créations réenchantent le lieu à chaque festival
Chaque année, les artistes et paysagistes sont invités à réfléchir à l'écosystème du lieu avant de proposer leur projet. Certains s'interrogent notamment sur la préservation des berges et axent leur travail sur cette problématique. « Si elles ne sont pas entretenues ou fixées avec des rondins de bois et des planches, les berges s'érodent et les îlots sont menacés de disparition. Certaines parcelles ne tiennent plus que par les racines des arbres », pointe Nathalie Vallée. D'autres artistes choisissent de valoriser les traditions locales, en travaillant avec des toiles de jute, en mettant à l'honneur les plantes tinctoriales ou celles qui sont comestibles comme la cirse…
Bon nombre d'œuvres sensibilisent à l'écologie et questionnent les liens entre nature, culture, agriculture et patrimoine. Certaines sont pérennes et font désormais partie intégrante du site. D'autres sont démontées d'une année sur l'autre afin de laisser la place pour 14 nouvelles créations à chaque festival. Les parcelles et œuvres paysagères sont entretenues par un chantier d'insertion et les fruits et légumes récoltés sur les potagers donnés à des associations, dans l'idée de créer une dynamique vertueuse. Tout au long du festival, des ateliers et propositions de médiation tous publics sensibilisent à l'art, à la faune et la flore et à la préservation des hortillonnages. Ce magnifique joyau vert retrouve son éclat grâce au travail collectif…Sophie Pensa
La waide, un passé tinctorial
Également appelée guède, Isatis tinctoria est une plante tinctoriale cultivée dans la Somme dès 1105, permettant d'obtenir un pigment bleu très recherché. Elle fait la fortune des négociants waidiers amiénois lorsque le roi Louis XI décide de faire de cette couleur l'emblème du royaume de France. Très active jusqu'au XVIe siècle, la culture de la waide permet le développement d'une industrie textile florissante. Elle est cependant supplantée par l'indigo, venue des Amériques et moins chère à produire. L'œuvre des paysagistes anglais Andrew Fisher Tomlin et Dan Bowyer, Remnant (« Vestige » en français), installée sur l'île au Fagot, rend hommage à cette tradition tinctoriale et textile.
Deux œuvres qui questionnent
• Terram Revertis (d'Orlando Clarke et Baptiste Miremont, ci-dessous). Par endroits, les berges des îlots s'érodent et s'affaissent, menaçant certaines parcelles de disparition. L'œuvre des deux paysagistes concepteurs français propose de remédier, par l'art, à l'effacement du paysage, grâce aux plantes et à des modules en terre cuite façonnés à la main. Iris, graminées et jeunes saules arriment leurs racines dans les interstices, favorisant la tenue de l'ensemble. Les modules forment ainsi un maillage pour un ancrage contre le ravinement.
• Extractions (de Sarah Ritter, ci-dessous). L'œuvre de la plasticienne française attire l'œil, installée, bleue au milieu du feuillage vert et des troncs argentés d'une petite forêt de bouleaux. L'artiste y sensibilise sur l'extraction du sable dans les hauts-fonds marins, dragués et déversés sur terre pour y élever des immeubles.
Infos pratiques
- Comment y aller 1 heure en TER direct de Paris à Amiens.
- Horaires et tarifs Le festival est ouvert de fin mai au 13 octobre. Il se visite à pied sur l'île aux Fagots à Amiens. Accès gratuit du mercredi au dimanche de 12 h 30 à 19 h (mai à juin et sept. à oct.) et du mardi au dimanche de 12 h 30 à 19 h (juillet et août). L'autre partie se visite en barque depuis le Port à fumier de Camon. Location de barque de 23 € (1 à 2 personnes) à 40 € (5 à 6 personnes). Ouvert de 13 h à 19 h du mercredi au vendredi, de 10 h à 19 h le week-end.
- À noter Visites guidées à l'occasion des Journées européennes du patrimoine (20 et 21 septembre).
- Pour plus d'information Artetjardins-hdf.com
- Se loger Chambres d'hôtes sur Aujardinsurleau.com, 100 € petit déjeuner compris.