Handicap, les bienfaits
du travail au vert
La Vie en herbes est une entreprise de tisanes bio produites et conditionnées par des personnes en situation de handicap. Un environnement très nature et un encadrement bienveillant contribuent à ce que chaque travailleur développe une meilleure estime de soi. Reportage.
C’est de juin à septembre que l’activité est la plus intense à La Vie en herbes. On plante, on cueille, on sèche et on met en sachet des plantes médicinales. Jusque-là, rien de plus banal pour une structure qui commercialise des tisanes. Mais ces opérations sont réalisées par 80 personnes en situation de handicap mental ou psychique, encadrées par une vingtaine de salariés.
Certaines, déficientes intellectuelles, ne savent ni lire ni écrire. D’autres, souffrant de troubles psychotiques (bipolarité, autisme, tendance paranoïaque, etc.), n’ont pas supporté le milieu de travail « ordinaire » dans lequel elles ont commencé leur carrière. Dans cet Établissement et service d’aide par le travail (Ésat) situé à Marcoussis, à une trentaine de kilomètres au sud-ouest de Paris, toutes ont l’air d’avoir déniché un petit havre de paix professionnel.
Le bio, la terre et la bienveillance
« Le cadre est agréable, on est mieux à travailler à la campagne qu’en ville », témoigne Sophie, 38 ans, responsable de l’accueil. Embauchée par La Vie en herbes en 2014, elle est fière de faire partie des huit travailleurs en situation de handicap choisis pour tenir, à tour de rôle, le standard téléphonique et le magasin de l’entreprise.
Sophie opérait auparavant en maraîchage dans le réseau Cocagne, mais elle trouvait cet emploi « trop physique ». Ici, elle apprécie la douceur des activités liées à la culture et à la transformation des plantes médicinales. « Et en plus, ça sent bon ! », nous dit-elle, les yeux pétillants, désignant sur un présentoir un sachet de menthe poivrée, son infusion préférée.
Nous rencontrons ensuite Christophe Godin, le chef de service qui orchestre les opérations proposées aux travailleurs : d’une part, celles liées à la production agricole, qui s’étend sur dix hectares et permet de cultiver une vingtaine de plantes médicinales différentes ; de l’autre, celles liées au conditionnement : séchage, stockage et préparation des commandes – près de 20 tonnes de plantes sèches sont vendues par an ; enfin, les activités d’entretien d’espaces verts d’après des techniques naturelles.
« Dans chacun de ces trois domaines, nous sommes attachés aux valeurs du bio, de la terre et de la bienveillance », tient à préciser Christophe Godin. Une formule qui semble fonctionner, puisque l’établissement enregistre une croissance annuelle à deux chiffres.
Quatre activités différentes par jour
En ce jour de fin juin, le gros des troupes est posté dans un champ de cassissiers pour la récolte des feuilles aux propriétés anti-inflammatoires. Les sacs se remplissent dans la joie et la bonne humeur. « Ça colle aux mains », s’amuse Sarah, 26 ans, arrivée cette année. « La plante t’aime, alors elle reste collée », blague une autre travailleuse.
Tandis que certains sont absorbés par la cueillette, d’autres, très bavards, sont recadrés avec humour par Bruno Hirschy, l’un des moniteurs de l’atelier. « Lui, mieux vaut l’avoir en photo », plaisante-t-il au sujet d’un jeune homme particulièrement volubile. Si ces personnes souffrent de handicaps très différents, une même tâche les réunit, invitant à la solidarité plutôt qu’au conflit.
Un peu plus loin, un groupe de trois travailleurs cueille du bouillon blanc, plante qui se prend en infusion contre la toux. « Ils préfèrent rester à l’écart, car ils ont besoin de pouvoir se concentrer », explique Caroline Mouton, monitrice principale de l’atelier conditionnement.
Des travailleurs passionnés
Denis, 55 ans, en poste depuis trois ans, a travaillé auparavant dans un Ésat dédié au jardinage. « J’adore les plantes. Ma préférée c’est la guimauve, car on fait des bonbons avec », confie-t-il. À ses côtés, David, 35 ans, a intégré La Vie en herbes il y a dix ans : « On est bien ici, car on est en plein air. »
Philippe, 47 ans, passionné de plantes, a déménagé pour s’installer près de cet Ésat : « Je les ai connues à cause de mes problèmes de santé : lavande, passiflore, j’aime les plantes calmantes. »
Georges, 49 ans, grand amateur d’infusion d’hysope, n’est pas non plus là par hasard. On le rencontre à l’atelier conditionnement, où il assemble les boîtes en carton. À d’autres moments, il tient le standard téléphonique : « On fait tout ici, et c’est bio, sans aucun produit chimique. Je participe aussi aux salons comme Marjolaine ». Georges est en effet sollicité pour représenter la marque et a donc l’opportunité d’expliquer au public comment il contribue, malgré son handicap, à la fabrication d’un sachet de tisane de A à Z…
Troubles musculo-squelettiques
À La Vie en herbes, quatre opérations différentes sont proposées aux travailleurs chaque jour. « Un roulement qui prévient les troubles musculo-squelettiques », souligne Charline Chevalier, en charge de l’accompagnement social. Très dynamique, tant sur le plan économique que social, La Vie en herbes ne s’assoit pas pour autant sur ses lauriers. Cet Ésat est en constante évolution, notamment pour ce qui est du travail de la terre.
Armand Leray, moniteur de l’atelier production, est force de proposition pour introduire des innovations agroécologiques dans la conduite des cultures. « Nous testons le couvert permanent du sol dans certaines parcelles », déclare-t-il, debout entre deux rangs de bourrache, les pieds enfouis dans l’herbe qu’on laisse ici pousser. Et de nous apprendre que cette couverture végétale, bien qu’elle entre en concurrence avec les cultures pour l’eau et les nutriments, est bien adaptée aux plantes médicinales qui ne nécessitent pas de « courir après le rendement ».
Sortir de sa zone de confort
Les parcelles qu’Armand Leray nous montre ne sont jamais bien loin des bâtiments, car il faut pouvoir s’y réfugier rapidement si l’un des travailleurs rencontre un problème. « On cultive des plantes, mais on est avant tout là pour accompagner les humains », indique le moniteur. Il encourage ses collègues handicapés à dépasser leurs peurs, par exemple en leur apprenant à conduire les tracteurs. « Ils sont nombreux à n’avoir pas confiance en eux, mais se sentent valorisés lorsqu’ils y arrivent », constate-t-il.
Salarié de La Vie en herbes depuis 2016, Armand Leray est d’autant plus investi qu’il s’est formé, en plus de son BTS d’horticulture, à l’herboristerie avec l’École lyonnaise des plantes médicinales. Après le tour de l’exploitation et la visite du séchoir solaire où sont soigneusement mises à sécher les plantes cueillies, il nous invite à découvrir le petit potager collectif : tous les lundis après-midi, Armand s’y rend avec une douzaine d’employés, chacun ayant son petit lopin de terre. « C’est un plus de pouvoir manger des légumes qu’on a cultivés nous-mêmes ».
Projets individualisés
Outre cet atelier potager hebdomadaire, de nombreuses activités sont régulièrement proposées au sein de l’établissement : théâtre, sophrologie, yoga ou encore informatique… autant de façons de gagner en confiance et en compétence. Chaque travailleur est d’ailleurs amené à définir un « projet personnel individualisé ».
Ceux qui aspirent à rejoindre le milieu ordinaire après leur passage à La Vie en herbes sont aidés par Sandrine Deblauwe, en charge de l’insertion. « J’accompagne surtout des personnes qui ont un handicap psychique et du mal à trouver leurs repères dans le monde du travail », témoigne-t-elle. Respecter des horaires, œuvrer en équipe, etc. : ces travailleurs s’approprient le b.a.-ba de l’environnement professionnel dans le cadre protégé de L’Ésat.
« Je vois beaucoup d’entraide entre les travailleurs handicapés », nous confie Charline Chevalier, la chargée d’accompagnement social, avant que nous ne repartions. Elle s’apprête alors à recevoir un jeune homme arrivé à l’improviste, qui souhaite réaliser un stage de dix jours à l’Ésat pour en découvrir les différents aspects, et voir si le travail au vert peut l’aider à gérer ses difficultés. Très attentive au bien-être de ses 80 travailleurs handicapés, La Vie en herbes reste aussi ouverte sur l’extérieur.
Une passerelle avec le milieu de travail « ordinaire »
C’est la Fondation des amis de l’atelier, reconnue d’utilité publique en 2011, qui a créé La Vie en herbes en 1990. « En 2005, la loi “Handicap” a reconnu les troubles psychiques [bipolarité, schizophrénie…, NDLR] comme des handicaps. Nous avons donc tout naturellement élargi notre accueil à ces personnes aux aspirations différentes – en particulier de jeunes adultes ayant connu une vie “ordinaire” avant les troubles », explique Philippe Ferrer, directeur de l’Ésat.
C’est aussi la raison pour laquelle, depuis une dizaine d’années, une orientation a été impulsée dans son établissement du secteur de travail protégé afin de permettre aux travailleurs en situation de handicap qui le peuvent et qui le souhaitent d’intégrer le milieu professionnel classique.
Reportage photo : Jeanne Frank