Plantes et Santé Le magazine de la santé par les plantes

Alessandra Fottorino  « Avec la biodynamie, la viticulture s'adapte aux nouveaux défis »

Alessandra Fottorino

Alessandra Fottorino a été sommelière, caviste, directrice des ventes d'un grand réseau de caves. Engagée pour une viticulture plus responsable, elle nous invite à porter notre regard sur les défis que le monde viticole doit relever face au changement climatique et à la baisse de la consommation.

Plantes & Santé Pourquoi la viticulture est-elle particulièrement menacée par le réchauffement climatique ?

Alessandra Fottorino La vigne, pour s'épanouir, a besoin d'un fort ensoleillement, mais aussi d'un bon apport en eau. Pour produire une bouteille de vin, il faut 250 à 350 litres d'eau au cours du cycle végétatif. Or avec le réchauffement climatique, les vignes captent beaucoup trop de soleil et pas assez d'eau. Certaines régions, notamment au sud, comme le Bordelais ou le Languedoc, sont particulièrement touchées par ce phénomène qui pourrait conduire in fine à la disparition des cépages dans 30 à 50 ans. D'autant que la hausse des températures apporte dans son sillage des gelées printanières et des épisodes de grêle tardifs qui peuvent détruire jusqu'à 60 % des cultures.

P&S Quelles solutions sont évoquées pour pallier ce désastre annoncé ?

A. F. Les options envisagées consistent le plus souvent à s'adapter à la situation et non à imaginer des changements profonds dans la manière de produire du vin. Les Québécois, par exemple, font pousser les vignes sous serre afin de les protéger des intempéries. En France, 10 % de vignerons ont d'ores et déjà choisi l'irrigation pour pallier le manque d'eau. Mais pour combien de temps ? Or d'autres moyens d'agir existent : arrêter de faire « pisser la vigne », c'est-à-dire stopper la surproduction qui abîme les sols et assèche les nappes phréatiques, se tourner vers des cépages autochtones ou hybrides plus adaptés au terroir, optimiser les expositions, utiliser les sols les plus adaptés, développer les vignobles d'altitude, mais aussi encourager une viticulture plus responsable et respectueuse de l'environnement, comme la pratiquent déjà les vignerons en biodynamie ou en vin « nature ».

P&S Pourquoi la viticulture en biodynamie est-elle, selon vous, un modèle viable ?

A. F. La plupart des gens pensent que les personnes travaillant en biodynamie sont des illuminés qui croient au pouvoir magique de la Lune. Pourtant, produire du vin biodynamique, c'est avant tout respecter les cycles de la nature, le végétal, mais aussi les sols. Initiée par Rudolf Steiner dans les années 20, la biodynamie considère le terrain exploité comme un organisme vivant, autonome et diversifié. En suivant ses préceptes, il est possible de renforcer la vitalité des plants ainsi que leur résistance, notamment à la sécheresse, mais aussi de maintenir la biodiversité du vignoble et la vie organique des sols. Ainsi, ce mode de culture permet à la fois de réduire l'impact environnemental de la viticulture et de s'adapter aux enjeux du changement climatique. Pour moi, ce type de changement profond permettrait la survie du monde viticole.

Du bio à la biodynamie, et au naturel

© Gilles Deschamps / Le domaine Château Beauregard Mirouze, dans les Corbières (Aude), produit en biodynamie depuis 2018.11 609 hectares de vignes sont cultivés aujourd'hui, en France, en biodynamie. En plus d'être biologique, la viticulture biodynamique utilise des préparations à base de plantes médicinales pour stimuler la vie du sol et l'immunité des plantes. De grands domaines se sont d'ailleurs tournés vers cette viticulture il y a longtemps, comme celui de la Romanée- Conti depuis 2007. Également bio, les « vins nature » représenteraient un peu moins de 200 vignerons en France. Un seul label existe depuis 2020, « Vin méthode nature ». Sans aucun intrant, ayant recours à des méthodes comme les vendanges manuelles, ce type de viticulture prône un retour aux méthodes anciennes et le respect des cycles naturels, rejoignant ainsi certains principes de la biodynamie.

P&S Y a-t-il une prise de conscience des viticulteurs ?

A. F. Tous les viticulteurs sont aujourd'hui conscients du défi climatique, ils le vivent chaque jour, jusqu'à, pour la plupart, avoir développé une véritable éco­anxiété. Cependant, pour certains, particulièrement les plus anciens ou les gros producteurs, l'argent reste au centre de leurs intérêts. La nouvelle génération est au contraire plus favorable aux changements. Par exemple, les nouveaux vignobles qui se créent en Creuse, Normandie ou Bretagne et que je suis, choisissent de pratiquer d'emblée une viticulture biologique et biodynamique. On réhabilite également, dans certains vignobles, l'agroforesterie, qui consiste à associer arbres et cultures. Cela permet notamment d'apporter de l'ombre aux vignes, mais aussi d'éviter l'érosion et d'enrichir la biodiversité. Mais, alors qu'aujourd'hui 80 % du vin est toujours produit en conventionnel (c'est-à-dire non biologique, ni biodynamique, ni nature, ndlr), l'évolution de la viticulture risque d'être longue.

P&S Le monde viticole est traversé par une autre crise, celle de la baisse de la consommation. Pourquoi les Français boudent-ils le vin ?

A. F. Si la baisse n'est pas nouvelle, elle s'accélère depuis cinq ans, pour atteindre moins 10 % en 2022. Cette dégringolade s'explique entre autres par le développement du marché de la bière, mais aussi celui des boissons sans alcool particulièrement appréciées des jeunes. En effet, le vin, notamment le vin rouge, est aujourd'hui perçu comme un alcool à part entière à cause de l'augmentation de ses degrés d'alcool due à la hausse des températures. De plus en plus de vins atteignent les 14°. De quoi refroidir les consommateurs attentifs aux recommandations sanitaires. Par ailleurs, pour de plus en plus de gens, un vin de meilleure qualité est un vin plus respectueux de l'environnement et de la santé, donc sans pesticides.

P&S Pourtant, la viticulture consommerait 20 % des pesticides épandus en France pour seulement 3 % des terres cultivées. Là aussi, y a-t-il une réelle volonté de changement ?

A. F. Les viticulteurs n'ont pas vraiment le choix. Surtout après que de nombreux scandales sanitaires ont éclaté. Je pense particulièrement à celui de Preignac, où les produits phytosanitaires chimiques utilisés par les vignerons ont été associés à l'augmentation de la prévalence de cancers infantiles dans le village. Les langues se délient aussi quant à la toxicité du glyphosate, un des pesticides les plus utilisés en viticulture. Enfin, alors que la consommation de vin diminue, celle du vin biologique augmente. En 2018, elle avait bondi de 20 %, et a continué de progresser en 2022. La viticulture biologique représente 20 % de la surface viticole totale, contre 10 % en moyenne dans les autres filières. Dans la Loire, on atteint 28 % de surface agricole biologique.

P&S Outre les pesticides, le problème des sulfites semble préoccuper de nombreux consommateurs. Quelles réponses apportent les viticulteurs ?

A. F. C'est une question épineuse dans le milieu viticole. Utilisés depuis très longtemps, les sulfites servent de conservateurs et facilitent l'équilibre du vin. Cependant, ce sont aussi des allergènes et ils peuvent être source d'intolérances (céphalées, maux de ventre, voire gêne respiratoire). Aujourd'hui, seule la mention SAINS (« sans aucun intrant ni sulfite ») garantit un vin sans sulfites ajoutés. Les chartes des vins biologiques ou biodynamiques en autorisent toutefois une quantité moindre que dans les vins conventionnels. Alors, pour accompagner un bon repas, toujours avec modération, on a tout intérêt à choisir un vin bio, de préférence biodynamique, dont l'impact sur notre tête et sur l'environnement sera limité et qui permettra de faire perdurer la filière d'excellence du vin français.

Parcours

2007 : Cours préparatoire à l'école supérieure Ferrandi à Paris. Apprentissage chez Bernard Loiseau.

2011 : Diplôme de technicien supérieur agricole, vins et spiritueux et technicienne œnologue.

2009 à 2016 : Apprentie, puis responsable de cave puis cheffe des ventes d'un grand réseau de cavistes parisien.

2016 : Création de sa première entreprise, le bar à vin L'Accord parfait d'Aless et Dim, à Paris.

2021 : Autoentrepreneuse en tant que sommelière formatrice, consultante vins et événementiel œnologique.

2022 : Coauteure du roman graphique In vino femina (Hachette) avec Céline Pernot-Burlet.

2023 : Écriture d'un livre sur la saisonnalité, les accords mets et vins, le défi climatique et la viticulture. Sortie prévue en 2024.

En aucun cas les informations et conseils proposés sur le site Plantes & Santé ne sont susceptibles de se substituer à une consultation ou un diagnostic formulé par un médecin ou un professionnel de santé, seuls en mesure d’évaluer adéquatement votre état de santé.
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