Nous voulons des herboristes !
À la suite du rapport sénatorial sur l'herboristerie, des professionnels de la filière ont décidé de prendre la parole pour la reconnaissance du métier d'herboriste. Leur tribune est aussi un appel à une mobilisation citoyenne.
L’initiative lancée en avril 2018 par le sénateur Joël Labbé pour le développement de l’herboristerie et des plantes médicinales est l’occasion de valoriser des filières et métiers d’avenir depuis la cueillette jusqu’au conseil, en donnant une place à tous : pharmaciens-herboristes, herboristes de comptoir, paysans-herboristes, enseignants, producteurs, médecins, etc…
Or, depuis la disparition du diplôme d’herboriste en 1941, les pouvoirs publics ont jusqu’à ce jour toujours catégoriquement refusé de permettre le retour des herboristes en France, avec comme argument récurrent que le réseau pharmaceutique serait suffisant pour répondre aux besoins de la population. Soyons clairs, le réseau des officines ne peut pas répondre seul aux attentes du public actuel.
Même si les pharmaciens d’officine sont effectivement formés à la phytothérapie et à l’aromathérapie et que beaucoup suivent des enseignements complémentaires, force est de constater que l’offre en matière de plantes et de conseils en pharmacie est généralement limitée, malheureusement trop souvent fondée sur une logique économique et concurrentielle plutôt que scientifique et sanitaire.
Là où on invoque une sécurité et une qualité meilleures pour ce secteur, en dehors d’une quarantaine de médicaments de phytothérapie on y trouve principalement les mêmes compléments alimentaires qu’en dehors de l’officine, le monopole pharmaceutique s’étant presque totalement dissout avec la réglementation européenne sur ces produits.
Depuis 20 ans, le public s’est largement orienté vers une approche de santé « naturelle », comme le démontrent des enquêtes européennes ou françaises. Il faut souligner que le recours à la flore médicinale usuelle ne comporte souvent que des risques faibles, dans des conditions traditionnelles d’emploi. Cette moindre iatrogénie est d’ailleurs validée par l’Agence européenne du médicament dans sa reconnaissance d’emplois traditionnels en automédication. Les données des vigilances en France ne mettent en évidence qu’un nombre limité d’accidents pour la phytothérapie usuelle, au regard de l’iatrogénie d’autres produits d’automédication.
De très nombreux herboristes existent depuis des décennies, à la ville comme à la campagne ; on ne peut ni les ignorer ni les empêcher d’exister. La majorité d’entre eux ne revendique pas les prérogatives des pharmaciens, Ils réclament simplement des moyens légaux pour un accompagnement légitime et rationnel de leur clientèle, car s’ils donnent aujourd’hui le moindre usage traditionnel, même notoire, ils sont dans l’illégalité.
Le marché est pendant ce temps inondé de produits « naturels » venus du monde entier, aux promesses multiples et variées, ne bénéficiant bien souvent que d’une traçabilité médiocre en matière de conditions de travail des cueilleurs, des transformateurs et du respect des ressources naturelles, ou faisant montre d’une qualité défaillante en termes de transformation ou de distribution, ainsi qu’a pu le montrer la DGCCRF.
Les écoles d’herboristerie, réunies en Fédération, des centres de formation agricoles et des universitaires des facultés de pharmacie œuvrent actuellement pour un rapprochement visant à organiser les formations, basées sur un socle commun de connaissances, de professionnels sûrs et responsables, afin de favoriser le développement de circuits courts pour des plantes de qualité, tout en assurant la sécurisation de la distribution des plantes.
Refuser de légiférer dans ce sens favoriserait les risques pour le public, en encourageant des pratiques inadéquates ou dangereuses. La position de refus systématique sur la reconnaissance de l’herboristerie adoptée par les ordres des pharmaciens et des médecins est en contradiction avec les buts que devraient poursuivre ces organisations. On comprend mal pourquoi elles se retranchent ainsi dans un déni de réalité des attentes sociétales et des pratiques existantes, qu’elles devraient au contraire accompagner.
La recherche de bien-être ou même de plus d’autonomie de santé à l’aide des plantes médicinales, est sans doute un acte politique majeur à un moment du monde où notre humanité semble être sur le point de céder le pas aux promesses extravagantes de l’intelligence artificielle et du transhumanisme, au moment où c’est tout le rapport à notre corps et à notre santé qui est peu à peu déshumanisé.
La “liberté de disposer de son corps” ne vaut pas seulement dans l’acception féministe. Plus largement, c’est de la personne humaine qu’il s’agit. Toute démarche non idéologique qui la conforte est bienvenue, comme celle de la population qui se (re)tourne en masse vers les herboristes et les plantes médicinales.
Par ailleurs, vouloir des herboristes pour accompagner l’hygiène de vie et la prévention de la santé des Français, peut générer une économie très importante dans le budget de la Santé. Quand l’économie, s’associe à plus de liberté, il y a donc lieu de s’interroger sur les raisons du discrédit où l’on s’efforce de tenir l’herboristerie.
Nous en appelons donc à tous les citoyens qui se sentent concernés par l’avenir de l’herboristerie et des plantes médicinales, professionnels ou usagers à interpeller et sensibiliser leurs élus afin que le bon sens, la pluralité, la complémentarité et le respect mutuel soient de mise dans le débat en cours pour la reconnaissance des métiers de l’herboristerie.
SIGNATAIRES :
Sabrina BOUTEFNOUCHET, Docteure en pharmacie, maître de conférences en pharmacognosie à l’Université Paris René Descartes, coresponsable du diplôme interuniversitaire « Phytothérapie, aromathérapie : données actuelles, limites » et membre du groupe de travail « Plantes » de l’Anses.
Carole BROUSSE, Docteure en ethnologie, spécialistes de l’herboristerie
Pierre CHAMPY, Docteur en pharmacie, Professeur de pharmacognosie à l’Université Paris-Sud ; coresponsable du diplôme interuniversitaire « Phytothérapie, aromathérapie : données actuelles, limites » et membre du groupe de travail « Plantes » de l’Anses.
Jean Baptiste GALLE, Docteur en pharmacie, pharmacognosiste
Pierre LIEUTAGHI, auteur, ethnobotaniste attaché au Museum d’Histoire Naturelle de Paris
Jean-Michel MOREL, Jean-Michel MOREL, médecin généraliste, co-créateur du diplôme Universitaire de Phyto-aromathérapie de la Faculté de Médecine et de Pharmacie de Besançon
Thierry THEVENIN, président de la fédération des paysans-herboristes, auteur du « Plaidoyer pour l’herboristerie » éditions Actes Sud