Dossier
Lin, ortie et chanvre, l’avenir leur appartient (4/4)
Dans le textile ou l’alimentaire, pour la papeterie, les matériaux de construction ou encore la médecine, le lin, le chanvre et l’ortie présentent de multiples vertus et potentiels d’utilisation. La production de ces plantes prometteuses nécessite cependant de s’intégrer à un environnement agricole, économique et sociétal complexe. On vous plante le décor.
Le chanvre, une plante hallucinante
Fleurs, tiges, feuilles, fibres, poussières… Avec le chanvre, Cannabis sativa L., rien ne se perd, tout se transforme. Cette plante annuelle de la famille des Cannabacées peut atteindre 5 m de haut. La production française représente aujourd’hui près de la moitié du chanvre européen.Correctement semé, il a la capacité de résister aux attaques fongiques et se passe aisément d’herbicides. Nathalie Fichaux, directrice de l’organisation InterChanvre qui fédère les acteurs de la filière, confie : « On sème en avril-mai, et on n’intervient pas avant septembre. »
Quelle différence entre le chanvre et le cannabis ?
Le Cannabis sativa L. est le nom latin du chanvre cultivé ou chanvre fibre (photo, plan mâle à gauche et femelle à droite). En langage courant, le cannabis désigne une autre variété du chanvre, dite « récréative », car elle contient un taux supérieur de THC, molécule psychotrope présente dans les fleurs et les feuilles de la plante, interdite de consommation en France. Le chanvre cultivé est une variété autorisée en France si sa teneur en THC reste inférieure ou égale à 0,2 % (état de trace). Elle est monoïque (fleurs mâles et femelles sur le même pied). Autre point de différenciation : le cannabis pousse en petit buisson touffu, alors que le chanvre est longiligne et peut dépasser 5 m de haut.
Par ailleurs, le chanvre structure le sol. Sa racine pivot s’enfonce profondément et casse les mottes de terre. Puis, après la récolte, ses racines fissurent, aèrent et favorisent la régénération du sol. « Il faut (re)démocratiser cette plante, car cette culture demande très peu d’irrigation par rapport à celle du maïs ou du soja », explique Aurélien Delecroix, fondateur de la marque Hello Joya, qui développe des produits alimentaires à base de chanvre. « Elle ne produit aucun déchet, toutes les parties de la plante sont utilisées, en plus d’avoir un bilan carbone négatif », poursuit-il.
Des tissus et des papiers qui vieillissent bien
Côté textile, la fibre connaît aujourd’hui un renouveau sur le marché du bio éthique. Très résistante, elle donne des tissus qui vieillissent bien, en plus d’absorber jusqu’à 30 % d’humidité et de retenir 95 % des rayons UV. Un atout qui rendrait les vêtements plus frais en été et plus chaud l’hiver ! « Le textile à base de chanvre est en train de renaître », confie Nathalie Fichaux. Ainsi, l’association Lin et chanvre bio a sorti ses premiers échantillons, et la marque de linge Couleur chanvre produit du 100 % français dans son atelier de Saint-Jean-de-Luz.
L’industrie papetière continue, de son côté, à utiliser le chanvre pour fabriquer des papiers spéciaux. Les longues fibres sont utilisées pour des livres ou du papier à cigarette, tandis que les courtes servent aux journaux ou emballages. Naturellement blanc, solide et avec un rendement quatre fois supérieur au papier de bois, le chanvre représente une alternative écologique responsable.
Le béton de chanvre, matériau des JO
En construction, c’est la chènevotte (partie intérieure rigide de la tige) qui est utile. Associée à de la chaux, elle forme un béton de chaux-chanvre (BCC) à la fois solide, moins lourd et plus flexible que le béton normal. « Nous travaillons avec l’État et la Société de livraison des équipements olympiques et paralympiques pour utiliser le chanvre sur les futurs bâtiments du village des JO de Paris 2024, et réduire de 30 % l’impact environnemental des Jeux », confie Nathalie Fichaux.
« Aujourd’hui, on étudie les capacités possibles de protection du chanvre contre les ondes électromagnétiques », ajoute Alexandre Céalis, de l’association Chanvriers en circuits courts. Enfin, la chènevotte est utilisée comme couvre-sol – afin d’imperméabiliser ou de protéger les plantes du froid –, comme litière pour animaux ou matériau pour toilettes sèches.
Des innovations voient le jour, comme le fait d’ajouter du chanvre à des plastiques dans des matériaux composites. Les fabricants automobiles BMW, Chrysler, Ford et Honda utilisent désormais des plastiques de chanvre pour leurs panneaux de portières, capot de coffre ou pare-chocs.
Le secteur de l’alimentation se tourne, lui, vers la graine, nommée chènevis, qui contient 25 % de protéines. Consommée décortiquée, en poudre, en farine ou sous forme d’huile, elle apporte également une large gamme de fibres, des minéraux et de vitamines. « Un steak équivaut à 50 g de chènevis », précise Nathalie Fichaux. « Elle est très intéressante pour le sportif, car elle permet une meilleure récupération ainsi qu’un apport nutritif bénéfique, sans gluten », complète Aurélien Delacroix, d’Hello Joya.
De l’huile pour nourrir sa peau, ses animaux et… sa voiture !
De son côté, l’American Chemical Society a publié une étude sur l’action anti-inflammatoire et neuroprotectrice de la graine. Quant à son huile, elle est, avec ses 90 % d’acides gras polyinsaturés (dont un ratio oméga-6/oméga-3 équilibré), aussi bonne à consommer qu’à appliquer sur la peau.
Sa composition la rend adaptée comme base de peintures naturelles et de vernis, ou encore pour produire du biodiesel, un carburant du futur écologique et renouvelable. Le tourteau, résidu de l’extraction de l’huile tout autant riche en protéine, nourrit quant à lui les vaches laitières, les chevaux et les volailles.
De l’huile de chanvre enrichie au CBD
Certaines entreprises misent sur les vertus relaxantes et anti-inflammatoires du cannabidiol (CBD) présent dans les feuilles et les fleurs du chanvre. C’est le cas de Fyllde, lancée par Reynald Fasciaux. Parce que la législation française interdit l’utilisation de ces parties de la plante, il a développé une huile (issue de la graine) qu’il enrichit en CBD (5 %) en dehors de la France. Produite à partir de chanvre biologique européen et garantie zéro THC, elle se consomme quotidiennement comme complément alimentaire, ou s’utilise en massage cutané. « Des laboratoires européens extraient du CBD pur des fleurs de la plante afin de réaliser des compléments alimentaires. C’est ce que nous faisons avec l’huile Fyllde, en y réinjectant du CBD. »
Le CBD sur le devant de la scène juridique et médicale
Ces derniers temps, c’est pour ses propriétés médicinales que le chanvre revient sur le devant de la scène. De ses inflorescences on peut extraire des cannabinoïdes comme le THC, un psychotrope, ou le CBD, jugé « non dangereux, sans risque d’effets secondaires ni d’addiction » par l’Organisation mondiale de la santé. Cette dernière molécule permettrait aux personnes atteintes d’épilepsie, de sclérose en plaques et de certains cancers de soulager leurs douleurs.
De nombreux pays ont franchi le pas pour légaliser le cannabis thérapeutique. En France, le débat est ouvert. L’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) doit rendre son avis sur la façon de mettre à disposition les nombreuses propriétés de la plante avant la fin 2019. On espère trouver bientôt le Sativex, premier médicament utilisant deux cannabinoïdes (THC et CBD), en pharmacie.
Valorisations des différents éléments du chanvre
Fleur
- Médicament
- Produit psychoactif récréatif
Graine (chènevis)
- Huile alimentaire et cosmétique
- Aliment hautement protéiné et riche en acides gras polyinsaturés
- Farine
- Base pour des peintures naturelles et des vernis
- Biodiesel
Feuille
-
Litière, paille
Tige (Chènevotte)
- Matériau isolant (bâtiment)
- Rouleau de laine
- Béton de chanvre (mixé à de la chaux ou de la terre)
- Textile, corde
- Fibre pour matériau composite
- Papier, carton, emballage