Dossier
Menaces sur la flore médicinale sauvage (2/3)
Dans un contexte de destruction des milieux et du changement climatique, la surexploitation des médicinales et des aromatiques sauvages n'est pas sans poser des problèmes. L'occasion de s'intéresser de plus près au rôle joué par la cueillette, une activité qui implique des opérateurs d'horizons divers. Certains s'engagent pour faire avancer les choses et préserver la ressource. Non sans difficultés.
L’engagement des cueilleurs dans le développement durable
En France métropolitaine, on cueille 728 espèces de plantes sauvages, soit 10 % de la flore. C’est la conclusion à laquelle sont parvenus des scientifiques et cueilleurs professionnels dans une publication du Monde des plantes en 2017. Parmi elles, peu sont strictement protégées et la plupart ne sont pas sur la liste rouge de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). Cela ne veut pas dire qu’on peut les cueillir sans limites ! «Tout dépend de la plante, précise Jean-Paul Les- cure, écologue à l’IRD et auteur de l’étude. Certaines, très rares comme la rhodiole, suscitent une forte demande. Si des indélicats allaient la cueillir, elle serait vraiment en danger ».
Avoir des chiffres aiderait à y voir plus clair : combien de cueilleurs arpentent notre territoire ? Quels volumes sont ramassés ? Pour qui ? Sauf que des données, il n’y en a pas. « Même celles qu’on peut obtenir restent des estimations grossières, pas forcément fiables », estime Stéphanie Flahaut, animatrice de l’association interprofessionnelle Gentiana lutea. Selon Thomas Échantillac, président de l’Association française des cueilleurs (AFC), on estime à une centaine le nombre d’entreprises travaillant en France avec des plantes sauvages. Et à « quelques centaines » celui de cueilleurs professionnels. L’activité économique se déploie. Labos pharmaceutiques, cosmétiques ou de compléments alimentaires, industrie agroalimentaire, herbo- risteries et marchés locaux : nombreux sont les opérateurs qui pèsent sur le destin de ces plantes, sans qu’on dispose d’informations précises et centralisées.
Ce flou artistique prend ses racines dans une absence totale de statut pour le métier de cueilleur. Mais heureusement, depuis quelques années, la profession s’organise, autour de l’Association française des cueilleurs (AFC), née en 2011. Partant du constat qu’ils étaient de plus en plus nombreux et que la demande, augmentait avec l’essor de la tendance « verte » dans de nombreux produits, les cueilleurs professionnels ont compris qu’ils étaient « tous assis sur la même branche ! » . « Bien mal en point, précise Raphaële Garreta, ethnologue au Conservatoire botanique national des Pyrénées et Midi-Pyrénées (CBNPMP), puisqu’il n’y a pas de politique d’encadrement de la cueillette ». L’ethnologue a donc participé à la construction de l’AFC avec le Conservatoire national des plantes à parfum, médicinales et aromatiques (CNPMAI), entre autres. L’idée : faire recon-naître le métier en interpellant les pouvoirs publics, et en diffusant une charte et des bonnes pratiques de cueillette. Un Observatoire économique des cueillettes avec FranceAgriMer, est en projet et devrait permettre d’obtenir les fameuses données.
Êtes-vous un bon cueilleur ?
Ce n'est pas la cueillette familiale qui présente le plus de menace, pour autant il est important de respecter des règles pour ne pas abîmer le milieu.
- Attention à laisser sur un plan quelques fleurs et feuilles.
- Si c'est la racine que vous récoltez, espacez les lieux de prélèvement.
- Lorsque vous partez en cueillette, renseignez-vous sur les espèces protégées sur le site www.tela-botanica.org Ces informations devront être recoupées avec les listes disponibles sur le site du Conservatoire national des plantes à parfum, médicinales et aromatiques (CNPMAI) : www.cnpmai.net/fr
3 questions à Raphaële Garreta
Raphaële Garreta est chargée de mission à l’ethnologie au Conservatoire botanique national des Pyrénées et Midi‑Pyrénées (CBNPMP). Elle est spécialiste du monde des plantes et de ceux et celles qui les cueillent.
Quel est le problème avec la cueillette ?
RG. D’abord, une méconnaissance de la problématique, en particulier par les pouvoirs publics, mais aussi par le grand public. Deuxièmement, la question de la responsabilité ; celle‑ ci pèse surtout sur les cueilleurs alors que ce sont les entreprises qui mènent la danse. En effet, ce sont leurs demandes qui génèrent les cueillettes, sauf si les cueilleurs s’autorégulent en en refusant certaines. Enfin, troisièmement, la surmarchandisation de la nature qui se traduit par une surconsommation de plantes sous toutes ses formes. Une grosse partie des consommateurs se donnent bonne conscience en consommant des produits de la nature, sans se poser de questions sur l’effet que ça a sur elle.
Constate-t-on des abus côté cueilleurs ?
RG. Dans les Pyrénées, violences, dérives et exactions autour de la gentiane ne sont pas rares. On en est au stade où c’est la profession elle‑même qui demande des contrôles ! Des équipes de collecte, concurrentes entre elles, tentent de corrompre les propriétaires de terrain (souvent des communes), pots‑de‑vin à l’appui. Il y a des vols, des atteintes au matériel (voitures brûlées), des violences verbales et sur le milieu. La police de l’environnement fait son possible, mais il faudrait une réglementation contrôlable, ce qui n’est pas le cas.
Comment avancer ?
RG. Il faut sensibiliser les industriels. Certains font des efforts, mais la majorité travaillent avec une série d’intermédiaires invisibles et ne savent pas ce qui se passe sur le terrain. Et il y a des plans de gestion à construire. Dans les Pyrénées, le CBNPMP peaufine un protocole expérimental pour la gentiane, qui permettra d’estimer la ressource et de gérer la collecte. L’idée est de faire en sorte que les territoires se l’approprient en impliquant au maximum les propriétaires. Dans un premier temps, la tenue d’un registre de collecte permettra de connaître la réalité de terrain et de faire des préconisations, comme le temps de repos que l’on doit respecter entre deux cueillettes.
Car tout le monde ne cueille pas de la même façon. Entre les occasionnels et les employés à temps plein ; ceux qui parcourent de grandes distances et les producteurs-cueilleurs à deux pas de leur exploitation ; ceux qui se regroupent en coopérative et les indépendants, artisans de type Simples ou saisonniers au service de collecteurs pour grossistes achalandant eux-mêmes les entreprises… Autant de nuances qui impactent la façon de ramasser les plantes sur le terrain. « Les pratiques sont souvent fonction des tarifs, explique Thomas Échantillac, président de l’AFC. Quand une plante n’est pas bien payée, il y aura une tendance à en ramasser plus », poursuit Laure Barthomeuf, cueilleuse et productrice agricole dans le Puy-de-Dôme et adhérente à la coopérative Sicarappam. Elle s’inquiète des pratiques d’une main d’œuvre saisonnière étrangère employée par certaines entreprises. À moindre coût ? « On ne voit pas d’impact sur la ressource, mais ça nous embête : quand on arrive sur un site à 8 heures, ils sont déjà là. Et quand on repart le soir, ils cueillent encore.»
La grande gentiane, connue pour ses chantiers d’arrachage impressionnants, fait partie des espèces suscitant le plus d’inquiétude.Violences, dérives et exactions ne sont pas rares au sein de la filière. Depuis 2010, l’association interprofes- sionnelle Gentiana lutea œuvre sur une gestion durable de la ressource. Elle a lancé en 2020 la marque « Gentiane développement durable », démarche à laquelle participent onze opérateurs. Parmi leurs engagements : arracher 60 à 80 % de plantes matures avec une rotation de vingt ans et payer la plante à un prix correct.
La gentiane jaune mise à mal
Utilisée en apéritif et pour ses propriétés digestives, cette plante de montagne dont la France est le plus gros producteur d'Europe (environ 1 800 tonnes par an) est emblématique du Massif central. Des collecteurs ou gentianaires emploient des arracheurs qui extraient la racine à l'aide d'une fourche ou d'une mini-pelle de trois tonnes quand la plante a de 20 à 30 ans – sachant qu'elle peut vivre jusqu'à 60 ans ! Celle-ci subit des pressions multiples : évolution du climat (moins de jours de neige) et des pratiques agricoles, ajoutées à une multiplication des arracheurs indépendants, brouillant la mémoire des chantiers passés. « Si on fait n'importe quoi, il est possible qu'il n'y en ait plus pour longtemps » prévient Stéphanie Flahaut, animatrice de l'association Gentiana lutea.
Mais de tels accords impliquant les « industriels » sont rares et, de l’avis de tous, ces derniers sont peu diserts quand il s’agit de partager les données. L’entreprise Weleda ne communique pas sur les volumes de plantes prove- nant de cueillette. « Il y a un peu une culture du secret » témoigne Stéphanie Flahaut, à propos de la gentiane jaune. Et si les acteurs identifiés sont les fabricants de liqueurs, « de nombreux laboratoires utilisant la gentiane et travaillant potentiellement pour plein de clients, pour les- quels la plante est un ingrédient mineur, sont mal connus », poursuit l’animatrice.
Résultat : c’est aux cueilleurs de prendre position. « À la coop, on refuse de ramasser cer- taines plantes protégées, comme l’anémone pul- satille, même si des labos nous en demandent et peuvent toujours obtenir des dérogations », indique Laure Barthomeuf. Mais ce n’est pas toujours facile de résister à des commandes quand on a un statut souvent précaire.