Trois soignantes mettent l'hôpital au parfum
À l'hôpital, ce sont souvent des infirmières, des aides-soignantes ou des sages-femmes qui ont recours aux huiles essentielles pour compléter les traitements médicamenteux. Comment ces soignantes se forment-elles, dans quelles conditions utilisent-elles les huiles essentielles, quelle dynamique parviennent-elles à impulser… Nous avons rencontré trois d'entre elles.
L'aromathérapie à l'hôpital a longtemps rimé avec soins palliatifs en France : on tolérait cette approche naturelle, mais seulement pour accompagner des patients en fin de vie. Ce n'est plus le cas aujourd'hui comme en témoigne Alexia Blondel, spécialiste en huiles essentielles, qui collabore régulièrement avec les équipes des centres hospitaliers de la Nouvelle-Aquitaine : « Au début, les mallettes aroma n'étaient employées qu'en soins palliatifs et en service de cancérologie, mais aujourd'hui, elles sont dupliquées en traumatologie, en radiologie et même aux urgences ». Le CHU de Poitiers a même inscrit l'aromathérapie dans la liste des formations qu'il propose à ses employés.
L'aroma pour tous !
En parallèle aux enseignements universitaires longs en aromathérapie, il existe des formations courtes à l'instar de celle proposée par Aroma-Ethik, organisme de formation créé par Alexia Blondel : sur deux jours, soit quatorze heures, elle apprend à accompagner les patients sur le plan émotionnel grâce aux huiles essentielles. Environ 400 professionnels de santé l'ont déjà suivi. Or ce cursus court a obtenu la certification « Qualiopi », un label de qualité qui sera nécessaire à partir du 1er janvier 2022 pour qu'une formation puisse être financée via des fonds publics ou mutualisés.
La majorité des personnels hospitaliers qui s'intéressent aux huiles essentielles sont des infirmières et des aides-soignantes : « Cela répond à des besoins concrets dans leur activité », justifie Alexia Blondel. En effet, ce sont elles qui sont le plus en contact avec les patients et il arrive souvent que les traitements conventionnels montrent des limites : ces soignantes cherchent alors d'autres solutions pour répondre à des situations problématiques qu'il s'agisse de troubles du comportement, de douleurs ou encore d'infections.
« L'aromathérapie est devenue une pratique qui génère des compétences complémentaires au métier d'infirmière », estime Alexia Blondel.
Une synergie pour les douleurs abdominales
Pour de multiples raisons, un séjour à l'hôpital peut entraîner des douleurs abdominales. « Je prépare un mélange qui permet aux patients de se soulager eux-mêmes tout en agissant au plan psychoémotionnel pour se détendre et se sentir réconforté », confie Isabelle El Khiari. Pour cela, elle mélange :
- 20 gouttes d'HE de gingembre,
- 55 gouttes d'HE de petit grain de bigaradier
- et complète un flacon de 30 ml avec de l'huile végétale de noisette.
Elle montre le bon geste au patient : « Appliquez quelques gouttes sur la région abdominale en massant dans le sens des aiguilles d'une montre ». Cette synergie peut être employée 2 à 6 fois par jour 5 jours sur 7 en cas de douleur abdominale aiguë, et 21 jours sur 28, à renouveler si la douleur se chronicise.
C'est souvent la motivation de quelques personnes qui constitue le point de départ de l'emploi d'huiles essentielles dans un établissement. Les femmes dont nous dressons le portrait dans cet article le montrent bien : les trois soignantes présentées ont obtenu le diplôme d'université (DU) intitulé « Aromathérapie scientifique à visée clinique ». Or il nécessite de suivre 62 heures d'enseignement sur une année universitaire et de rédiger un mémoire ! Et même si leurs directions acceptent de leur dégager du temps pour qu'elles déploient l'aromathérapie dans leur établissement, il leur faut sans cesse prouver que la démarche est efficace au travers de laborieuses évaluations.
Ces professionnelles de santé proposent désormais, en gériatrie, en soins de suite et même en maternité, des synergies d'huiles essentielles pour traiter des problèmes très variés tels que les angoisses, les plaies ou encore les nausées de la grossesse.
Une synergie pour les plus inquiètes
Il n'est pas rare de ressentir des inquiétudes pendant une grossesse. Pour apaiser cet état émotionnel à partir du troisième mois, Claire Saunier a recours à des huiles essentielles calmantes du système nerveux (camomille noble, ylang-ylang, lavande fine…). Elle précise : « Si l'olfaction n'est pas suffisante, j'emploie ce mélange, dilué, sur la peau au niveau des poignets ».
Dans le respect de la médecine conventionnelle, ces soignantes apportent une nouvelle dimension à leur activité mais aussi à l'aromathérapie qui s'inscrit, grâce à elles, dans une démarche à la fois très protocolaire et très humaniste.
Isabelle El Khiari, la pionnière
Isabelle El Khiari est une figure de proue dans la mise en œuvre de méthodes non médicamenteuses à l'hôpital. En effet, au sein de l'AP-HP (Assistance Publique - Hôpitaux de Paris), elle occupe depuis 2017 un poste pionnier intitulé « infirmière clinicienne consultante spécialisée dans les approches complémentaires en soin ». Elle peut consacrer une grande partie de son temps à l'aromathérapie, en application locale, en inhalation et même par voie interne. Elle utilise aussi la sophrologie, les massages ainsi que les fleurs de Bach. Dans les deux hôpitaux gériatriques où elle travaille, les patients sont informés qu'ils peuvent bénéficier d'une consultation avec Isabelle El Khiari.
Si cette soignante s'est formée à diverses approches complémentaires, c'est parce qu'elle s'est régulièrement retrouvée face à des personnes pour lesquelles les médicaments n'apportaient pas satisfaction. « La chimie reste indispensable dans mon quotidien, mais que faire quand elle ne soulage plus », questionne la soignante. Elle raconte le cas d'une patiente de 88 ans en proie à de fortes douleurs, des angoisses et des problèmes de sommeil. Cette personne, ayant perdu confiance dans les équipes soignantes, elle refuse un temps de prendre des médicaments. « Quand on m'indique un patient anxieux à examiner, j'emporte toujours avec moi, dans les poches de ma blouse, quelques flacons d'huiles essentielles ». Amatrice de parfums et de fleurs, la patiente accepte de sentir les parfums proposés par l'infirmière : lavande fine, marjolaine à coquille, camomille noble et petit grain Bigarade. C'est ce dernier qu'elle préfère et Isabelle El Khiari lui prépare un stick inhalateur qu'elle peut sentir dès que nécessaire et à volonté. « L'olfactothérapie a cet avantage qu'on peut en user et en abuser lors d'accès d'angoisse ou quand le sommeil est trop long à venir, sans craindre d'effet secondaire ». À la surprise des autres soignants, l'état de la patiente s'améliore rapidement. « Les approches que je propose permettent aussi au patient de redevenir acteur de son traitement et de sa santé », ajoute la soignante.
Petit à petit, les collègues d'Isabelle El Khiari, infirmières, aides-soignantes ou médecins, ont compris qu'ils pouvaient faire appel à elle dès qu'ils se retrouvent dans des impasses thérapeutiques. Or en gériatrie, avec des patients polypathologiques, les possibilités de problématiques compliquées à résoudre sont nombreuses ! Malgré l'éventail de méthodes complémentaires qu'elle maîtrise, Isabelle El Khiari n'hésite pas, si besoin, à orienter le patient vers un psychologue, un psychiatre, un ergothérapeute, etc. Cette infirmière, pleine de dynamisme et d'enthousiasme, a d'autres projets en tête ; elle aimerait notamment ouvrir une consultation dédiée aux soignants eux-mêmes. « Ma démarche s'inscrit dans un mouvement vaste qui cherche à donner du sens à la médecine pour qu'elle soit plus intégrative », conclut-elle.
Claire Saunier, l'accompagnatrice
Sage-femme passionnée par son métier, Claire Saunier est arrivée à l'aromathérapie de manière détournée. D'abord formée à l'homéopathie, afin de pouvoir prescrire des remèdes à ses patientes, elle a acquis des connaissances sur les plantes. Mais surtout, cette médecine douce lui a fait changer de vision sur sa pratique : « J'ai alors réalisé différemment mes interrogatoires, avec une approche plus globale ». C'est une difficulté personnelle qui l'a vraiment plongée dans l'aromathérapie : souffrant d'un stress post-traumatique lié à une intervention chirurgicale, elle a trouvé l'apaisement grâce aux huiles essentielles. Prenant ensuite la responsabilité de la maternité de l'Hôpital privé de l'Estuaire, au Havre, elle décide alors d'y développer cette méthode complémentaire pour laquelle on reste globalement très précautionneux lorsqu'il s'agit de la grossesse. Claire Saunier commence donc par éplucher la littérature scientifique sur l'aromathérapie chez la femme enceinte. Elle se rend compte aussi qu'il est essentiel pour elle de se former à l'emploi des huiles essentielles et s'inscrit à un diplôme universitaire.
Aujourd'hui, cette sage-femme a établi et validé plusieurs protocoles permettant d'accompagner les femmes tout au long de leur grossesse. Au premier trimestre de grossesse, elle ne s'autorise l'emploi que de trois huiles essentielles : elle propose, par exemple, un mélange contre les nausées à base d'essence de citron et de gingembre, à prendre en inhalation. Le nombre d'huiles essentielles passe à 26 à partir du second trimestre, ce qui permet de gérer les problèmes de sommeil ainsi qu'une grande diversité d'états émotionnels vécus par les femmes enceintes. « J'accompagne ainsi les souffrances morales liées à des antécédents difficiles comme la mort fœtale in utero », confie Claire Saunier. La sage-femme témoigne aussi des nombreuses craintes ressenties par les familles depuis le début de la crise sanitaire : « Certaines femmes étaient très inquiètes par rapport au vaccin, d'autres se demandaient tout simplement si leur mari pourrait assister à l'accouchement ».
Pendant la pandémie
L'épidémie du Covid-19 a poussé le groupe pilote à réfléchir à des utilisations de l'aroma plus spécifiques. Alors que les soignants de l'ESBV étaient sous pression, fortement sollicités, deux synergies d'huiles essentielles leur ont été proposées. L'une à visée stimulante de l'immunité et favorisant la confiance en soi (laurier noble, épinette noire en particulier). L'autre aux propriétés antivirale et calmante (laurier noble, lavande, etc.). L'expérience ayant bien fonctionné, le groupe pilote entend la poursuivre mais avec des sticks personnalisés.
L'aromathérapie se propage progressivement dans les autres services de l'hôpital, la direction étant favorable aux soins de support. Par exemple, en cancérologie, les soignants disposent de flacons prêts à l'emploi afin d'accompagner l'annonce d'une mauvaise nouvelle. « Les équipes sont contentes d'avoir quelque chose à proposer », raconte Claire Saunier.
Avec une infirmière addictologue, elle est en train de mettre au point un protocole autour du sevrage tabagique. Certaines huiles essentielles sont déjà pressenties : poivre, menthe poivrée, ravintsara, eucalyptus…
Valérie Chevallier, la cheffe d'orchestre
c'est en 2012 que l'établissement de santé Baugeois-Vallée (ESBV), situé en Maine-et-Loire, confie à Valérie Chevallier l'accompagnement d'un projet d'aromathérapie. Au sein de cet établissement de santé comptant plus de 500 lits, cette ancienne infirmière de métier, et désormais cadre de santé, s'entoure alors d'un « groupe pilote » : plusieurs infirmières, aides-soignantes et médecins – dont deux titulaires d'un diplôme universitaire en aromathérapie – ainsi qu'une pharmacienne et un kinésithérapeute, travaillent avec elle pour élaborer des protocoles à base d'huiles essentielles. « Nous avons une approche très sécuritaire et complémentaire à la médecine conventionnelle et nous avons la chance d'être vraiment soutenus par notre direction », se réjouit Valérie Chevallier. Le projet a pour origine la visite d'une aide-soignante venue présenter son expérience en aromathérapie : son témoignage a enthousiasmé plusieurs salariés de l'ESBV. Un premier protocole est alors mis en place : il s'agit d'un mélange à base d'eucalyptus radiata à diffuser dans les parties communes, couloirs et salles à manger, dont l'objectif est de prévenir les affections virales. « Depuis, chaque année, nous proposons des synergies contre les affections hivernales en diffusions collectives et en applications cutanées si besoin », confie Valérie Chevallier. En soins de suite, service dans lequel elle travaille, l'un des protocoles les plus utilisés vise à soigner les plaies qui ne guérissent pas malgré les traitements conventionnels. Le groupe pilote a aussi élaboré des synergies ciblant les hématomes, les œdèmes ou encore les douleurs ostéo-articulaires, et les troubles du comportement… Au total, ce sont 25 protocoles qui sont mis à la disposition des soignants répartis sur les quatre sites de l'établissement. « Toutes les synergies font l'objet d'une prescription médicale », précise Valérie Chevallier.
L'ESBV organise des formations de deux jours sur les fondamentaux en aromathérapie : elles sont dispensées par le pharmacien aromatologue Michel Faucon, très impliqué dans le développement de l'aroma en milieu hospitalier. Ces cours sont non seulement à destination du personnel de l'établissement mais également ouvertes à des soignants venus d'établissements extérieurs. Et le 2 juin 2022 se tiendra la cinquième « Journée régionale de l'aromathérapie » organisée par le groupe pilote : en 2019, cet évènement avait rassemblé 220 professionnels d'établissements de santé et médicaux sociaux, mais aussi des particuliers.
Cicatriser les plaies
À l'ESBV, un mélange de cinq huiles essentielles est employé pour soigner les plaies : il associe laurier noble, myrrhe, ciste ladanifère, hélichryse italienne et cyprès. « Notre synergie est très efficace car elle est antibactérienne, cicatrisante et anti-inflammatoire ; grâce à elle une plaie malodorante ne l'est plus en seulement deux jours », commente Valérie Chevallier. Avec l'accord des médecins, la synergie, diluée à 6 % dans des huiles végétales, peut être employée sur les plaies des patients. La concentration peut être augmentée si le résultat est insuffisant. Pour évaluer l'efficacité de ce protocole, les soignants doivent photographier la plaie le premier jour, puis une fois par semaine.