Que se cache-t-il derrière les nouveaux OGM ?
Dans les années 2000, la question des OGM avait fait grand bruit. Aujourd'hui, une seconde bataille, plus silencieuse, se joue autour d'un nouveau type d'OGM que certains voudraient exonérer de ce statut afin de pouvoir les commercialiser et les exploiter pleinement. Trois spécialistes nous apportent leur regard sur cette nouvelle polémique qui divise scientifiques et politiques.
Depuis une quinzaine d'années, de nouvelles techniques scientifiques comme les ciseaux à ADN sont apparues. Elles permettent de modifier génétiquement en laboratoire des végétaux afin de favoriser certaines caractéristiques : résistance au froid, aux maladies ou à certains herbicides. Appliquées pour l'heure en laboratoire sur 68 plantes différentes, ces nouvelles techniques permettraient, en théorie, de rendre des vignes, des tomates ou des betteraves plus résistantes à certains virus, de modifier l'architecture des racines du coton afin qu'il absorbe mieux l'eau du sol, d'augmenter la taille des grains de riz ou de blé, ou encore de réduire une substance cancérigène produite par la pomme de terre et se formant à la cuisson. Contrairement aux « anciennes » techniques OGM (lire encadré ci-dessous "Anciens et nouveaux OGM, quelle différence ?) qui transféraient un gène extérieur à la plante, ces nouvelles techniques modifient, remplacent ou inactivent in vitro un gène déjà présent dans la plante.
Ne dites pas "nouveaux OGM", dites "NBT" ?
D'un côté des associations environnementales comme Greenpeace ou la Confédération paysanne considèrent que ces plantes sont des « nouveaux OGM » et ne doivent donc pas être utilisées en agriculture. De l'autre, semenciers et syndicats agricoles majoritaires se refusent à l'emploi du terme « OGM » et préfèrent celui de « NBT » pour « New Breeding Techniques » (nouvelles techniques de sélection végétale), afin de pouvoir les utiliser plus largement.
La première loi européenne de 2001 sur les OGM ayant été rédigée avant l'arrivée de ces nouvelles techniques, cela a ouvert des failles. Les semenciers ont ainsi mis à la disposition des agriculteurs français dans leurs catalogues de nouveaux OGM, notamment certains types de tournesol et de colza qui ont poussé dans nos champs, et qui y poussent probablement encore (lire encadré "Les VRTH : des nouveaux OGM déjà dans nos champs"). Mais en 2018, la Cour de justice européenne a tranché en précisant que ces nouveaux OGM étaient bien concernés par la loi en vigueur et donc interdits.
Anciens et nouveaux OGM, quelle différence ?
• Dès les années 1960 il existait des plantes OGM dont on modifiait in vivo, sur plante entière, des gènes existants en exerçant une action physique ou chimique extérieure.
• Dans les années 2000, de nouvelles techniques ont permis d'introduire in vitro, en éprouvettes, une séquence génétique étrangère à la plante (transgenèse). Cela avait produit le célèbre maïs transgénique fauché par José Bové. Finalement interdit par la loi de 2001.
• Depuis une quinzaine d'années, de nouvelles techniques scientifiques comme les ciseaux à ADN (nommé aussi Crispr-cas9) permettent de modifier remplacer ou inactiver un gène cette fois-ci déjà présent dans la plante (mutagenèse in vitro) dans le but de favoriser certaines caractéristiques comme la résistance au froid, aux maladies ou à certains herbicides.
Nouveaux OGM : si « naturels » que ça ?
Au cœur du débat, le côté « naturel » ou non des mutations de ces nouveaux OGM. Les semenciers, certains scientifiques ainsi que le ministre de l'agriculture, Julien Denormandie, considèrent que les mutations génétiques obtenues grâce à ces nouvelles techniques sont similaires à des mutations qui pourraient survenir naturellement et que, de fait, ces végétaux mutants n'ont pas à être considérés comme des organismes génétiquement modifiés. Jean-Luc Gallois, directeur de recherche à l'Inrae qui utilise dans son laboratoire les ciseaux à ADN depuis plus de cinq ans, nous confie que pour lui ces nouvelles techniques de modification génétique des plantes sont un « outil formidable pour renforcer la résistance des plantes » et que les mutations génétiques obtenues via ces nouvelles techniques ne sont « ni plus ni moins rapides que les mutations naturelles ou spontanées ».
D'autres spécialistes, comme Yves Bertheau, phytopathologiste et également directeur de recherche à l'Inrae, considèrent qu'à partir du moment où ces végétaux voient leur ADN modifié en laboratoire, ce sont de fait des OGM, même s'il n'y a pas d'ajout d'ADN étranger à la plante. Spécialisé depuis vingt ans, ce chercheur qui a coordonné plusieurs programmes de recherche sur les OGM, et participé à des réunions parlementaires sur le sujet, ne comprend tout simplement pas que l'on « ose » qualifier ces nouveaux OGM de « naturels » alors qu'ils sont modifiés in vitro via des technologies complexes et sur une échelle de temps totalement différente de ce qui peut être observé dans la nature. Il explique que lorsque des mutations génétiques naturelles apparaissent de manière spontanée chez les végétaux, elles font l'objet de nombreuses « corrections » ou suppressions qui s'étalent sur des années avant d'être considérées comme stables par l'espèce. Lorsque la mutation est obtenue en éprouvettes, ces étapes n'existent plus.
Enfin, preuves scientifiques à l'appui, il qualifie ces nouvelles techniques d'« imprécises » car elles auraient des conséquences « méconnues et mal maîtrisées » en induisant, par exemple, la modification non intentionnelle d'autres gènes que celui initialement ciblé. Christophe Noisette, un des fondateurs de l'association de veille citoyenne Inf'OGM, s'interroge également : « S'il est si facile de faire ces mutations de façon naturelle et spontanée alors pourquoi s'embêter à le faire de manière si complexe en laboratoire ? ».
Les VRTH : des nouveaux OGM déjà dans nos champs
En France, la culture des OGM à des fins commerciales est interdite depuis 2008. Pourtant depuis des années poussent dans nos champs des hectares de colza et de tournesol qui sont des nouveaux OGM, créés pour tolérer des herbicides. Les producteurs n'étant pas tenus de préciser si ces variétés sont obtenues par modification in vivo (donc sur plante entière, ce qui est autorisé) ou in vitro (donc en laboratoire, sur cellules isolées, selon la technique des NBT), le flou règne en maître. D'après le ministère de l'agriculture, interrogé en 2016 par l'association de veille citoyenne Inf'OGM, 2,6 % des cultures de colza et 27 % des cultures de tournesol sont en fait des nouveaux OGM.
Peu de recul sur la santé humaine et les écosystèmes
Des acteurs scientifiques et politiques soutiennent ces nouveaux OGM car, selon eux, ils apporteraient des solutions pour lutter contre certains problèmes agricoles, notamment ceux liés au réchauffement climatique. Pour Yves Bertheau ce discours est une « économie de la promesse » qui est la « copie conforme » de celui qui était déjà tenu dans les années 2000 à l'arrivée des premiers OGM : « On assure que l'on va nourrir le monde et redonner leur goût aux tomates et aux fraises mais tout cela n'apportera pas la révolution escomptée. » D'après lui, on observe déjà des différences de comportement de ces nouveaux OGM in vitro, en serre et en champs et nous n'avons « aucun recul » sur l'impact qu'auront ces techniques sur les humains, les animaux et les végétaux.
La Commission européenne a ouvert fin septembre une consultation publique dans le cadre d'un projet de loi spécifique à ces nouveaux OGM. Les résultats sont attendus d'ici à l'été 2023. Dans l'expectative, la société civile ne semble pas s'être totalement saisie du sujet comme pour les premiers OGM. Est-ce parce qu'il s'agit là d'un débat plus technique et complexe où, comme nous l'avons vu, même les scientifiques s'opposent ? Vous avez désormais quelques éléments en main pour vous faire votre idée sur cette question.
Les animaux aussi concernés
Les anciennes techniques OGM (qui transfèrent un gène étranger à l'organisme) avaient déjà généré des animaux génétiquement modifiés (AGM) qui étaient surtout utilisés à des buts de recherche scientifique. À l'image de ces moutons rendus fluorescents grâce au gène d'une méduse ou de ces moustiques mâles censés transmettre des caractères délétères à leur descendance afin d'éviter leur prolifération (avec un succès mitigé voire nul). En 2017, au Canada, des saumons qui grossissent quatre fois plus rapidement ont été les premiers AGM autorisés pour l'alimentation humaine. Les nouvelles techniques OGM ouvrant désormais la porte à de nouvelles applications, certains industriels travaillent, en effet, désormais à des applications aux animaux d'élevage comme des bovidés sans cornes ou des volailles aveugles ou au bec mou afin de faciliter l'élevage en batterie.