Yves Bertheau : « Les plantes savent réparer et adapter leurs génomes »
L'étude des génomes des plantes, et notamment le séquençage, a fait progresser nos connaissances sur le monde végétal. Elle a aussi révolutionné le domaine de la sélection de nouvelles variétés agricoles. Yves Bertheau, chercheur à l'Inra et spécialiste des OGM, salue ces découvertes pour la recherche fondamentale mais reste très critique quant à certaines applications agronomiques.
Plantes & Santé. En 2000 a été séquencé le premier génome complet d’une plante, celui de l’arabette des dames (Arabidopsis thaliana). Comment obtient-on de telles informations sur une plante ?
Yves Bertheau. Ce séquençage génétique est le fruit d’un long travail scientifique qui s’étale sur plusieurs décennies. Il consiste à réaliser des cartes génétiques partielles sur lesquelles on détermine seulement certaines séquences d’ADN. Puis on complète cette carte : c’est un peu comme en géographie lorsqu’on indique sur un plan l’emplacement des grandes villes puis on complète au fur et à mesure les routes et les chemins entre elles. En génomique, c’est souvent grâce à la collaboration de centres de recherches de différents pays qu’un génome complet est établi. Aujourd’hui, des techniques de séquençage à haut débit permettent de connaître plus facilement – plus rapidement et à moindre coût – le génome complet de nombreuses espèces végétales à usage alimentaires – blé, café, colza, vigne, banane, mais seulement si un important investissement a été initialement réalisé pour disposer de références de qualité.
Que nous apprennent ces études génétiques sur le vivant, particulièrement sur le règne végétal ?
Tout d’abord, cela remet en cause l’idée que plus le génome est grand, plus la plante contient de gènes codant pour des protéines. Comme chez l’humain, environ 95 % de l’ADN ne code pas pour la fabrication de protéines, ce qu’on a un temps appelé de l’« ADN poubelle ». Or ce dernier joue un rôle fondamental dans la régulation de l’expression du génome. La conséquence en phytothérapie est par exemple que l’expression des gènes diffère selon l’environnement : les métabolites, principes actifs des plantes, peuvent donc différer selon qu’elles sont cultivées en France ou en Chine. Il faut aussi prendre en compte l’épigénome, un autre moteur d’adaptation à l’environnement qui fait appel à des modifications de l’ADN, des protéines l’entourant et des ARN : cet épigénome garde la mémoire des évènements stressants survenus dans la vie d’une plante en sus du génome qui lui-même se réorganise sous l’effet de stress. Les graines d’une plante ayant subi une sécheresse vont ainsi « garder en mémoire » cet événement qui pourra devenir héréditaire. On s’est également rendu compte que l’ADN n’est pas seulement une succession de nucléotides : c’est une structure en 3D où le fonctionnement d’un gène d’un chromosome peut nécessiter la proximité d’un autre gène d’un autre chromosome.
Trois blés en un
Le séquençage du blé tendre (Triticum aestivum) a été très long, nécessitant plus de dix ans de travail. En effet, cette espèce possède un génome cinq fois plus gros que celui de l’humain ! Ce blé résulte de la « fusion » de trois génomes hérités d’espèces ancestrales et contenant pour plus de 85 % des séquences répétées. Le premier et le plus gros des chromosomes du blé a été séquencé en 2014 et l’ensemble de son patrimoine génétique mis à la disposition de la communauté scientifique internationale en 2016. Parallèlement à cette séquence de référence, des bases de données génétiques répertoriant plusieurs centaines de milliers de variétés ou lignées de blés ont été constituées. Elles permettent ainsi aux sélectionneurs d’identifier avec facilité les variétés qui répondent à leurs critères.
Cela veut-il dire que les génomes des plantes sont marqués par les changements ?
Leur capacité d’adaptation ne doit pas nous faire penser que les génomes des plantes changent tout le temps. En l’absence d’évènements particulièrement stressants (une forte sécheresse par exemple), ils sont au contraire très stables dans le temps. Citons comme exemple le fameux chêne Napoléon, planté en Suisse au début de la campagne d’Italie et dorénavant hébergé par le campus de l’université de Lausanne [une étude de son ADN a été entreprise en 2014, mettant en évidence 49 000 gènes, ndlr]. Dans le modèle commun de la biologie, les mutations étaient censées s’accumuler avec le temps. Les chercheurs pensaient donc trouver de profondes différences de génome selon l’âge de ses parties. Pas du tout ! Son ADN s’avère très stable au cours des siècles. La nature a en effet mis en place des systèmes de réparation des génomes particulièrement efficaces chez les végétaux. Cela explique sans doute une des grandes différences avec le règne animal : contrairement à certaines plantes qui peuvent vivre des milliers d’années, on ne connaît que très peu d’animaux vivant plus de cent ans. Chez ces derniers, les mutations sont le plus souvent générateurs de cancers, comme chez l’être humain.
L’un des génomes végétaux les plus étudiés est celui du riz. Une récente étude de la revue Nature annonce le séquençage de 3 010 variétés différentes. Pourquoi l’étudier dans sa diversité ?
Le riz illustre bien une grande révolution dans l’étude du génome des plantes cultivées : on parle en effet désormais de pangénome car l’étude des variétés de référence dites « élites », servant à la production des variétés commerciales, ne suffit plus. L’étude publiée par Nature montre ainsi que sur les 24 000 familles de gènes connues dans le riz, qui aurait été domestiqué en plusieurs endroits, seules 60 % sont communes à toutes les variétés. La variabilité génétique au sein de certaines espèces est telle que la limite entre espèces s’estompe dans bien des cas. Il y a autant de différences entre deux variétés de maïs « élites » qu’entre le singe et l’homme. C’est pour cette raison que les semenciers rachètent d’autres firmes : il s’agit de s’approprier les fonds génétiques qui jouent un rôle majeur dans l’expression des gènes d’intérêt agronomique et d’élaborer les schémas de plus en plus complexes de croisements pour aboutir aux variétés commerciales.
Quel est l’intérêt de ces nouvelles variétés créées grâce aux cartes génétiques des plantes ?
La sélection par croisement classique, dite « assistée par marqueurs », permet de suivre plus rapidement les gènes d’intérêt pour le sélectionneur comme ceux liés à la productivité ou à la résistance aux pathogènes. Cette pratique est donc très fréquente dans quelques espèces végétales de grande culture pour améliorer des caractères « simples » impliquant un faible nombre de gènes et/ou des aspects quantitatifs d’expressions. Cette approche peut s’avérer très utile lorsqu’une nouvelle pathologie dévaste une culture. Citons l’exemple actuel de la nouvelle souche de rouille noire du blé qui menace de nombreuses régions du monde : un important travail de mise au point de variétés résistantes est en cours. De plus, le Cimmyt (Centre international d’amélioration du maïs et du blé), avec cette sélection classique, a pu produire des maïs 3 fois plus résistants à la sécheresse que les variétés OGM de firmes privées. En revanche, je déplore qu’on essaie toujours d’améliorer le rendement calorique des plantes plutôt que les qualités organoleptiques et nutritionnelles. On a ainsi réduit les quantités et la diversité de vitamines consommées et on produit des obèses.
Connaissant le génome végétal susceptible d’être modifié après un stress important, doit-on redouter la création de variétés OGM ?
La stabilité des génomes des plantes OGM n’est pas du tout garantie lorsqu’on exerce des pressions de sélection ! Les modifications génétiques induites par l’humain, par exemple par irradiations [mutagénèse, ndlr], s’accompagnent généralement de modifications épigénétiques et épitranscriptomiques : la plante se cherche un nouvel équilibre entre ses divers compartiments. Et je ne parle même pas des organelles comme les mitochondries ou les chloroplastes dont les modifications ne sont pas étudiées par les instances d’évaluation des risques. Or on ne sait déterminer où ces modifications peuvent survenir, ni quand et pour quel effet. Les semenciers prétendent régler ces problèmes non intentionnels qu’entraînement ces techniques par… une nouvelle course technologique. J’ai d’ailleurs démissionné du comité scientifique du Haut Conseil des biotechnologies car j’y ai constaté des mensonges, ne serait-ce que par omission, concernant les éventuels risques. On sait déjà que de nombreuses erreurs ont été commises en sélection : les variétés américaines de maïs transgéniques sont ainsi beaucoup plus sensibles à la sécheresse qu’autrefois.
Quelles solutions proposez-vous face aux changements climatiques notamment ?
L’érosion génétique des espèces cultivées ne laisse pas augurer de solutions faciles face au changement climatique. Et je m’inquiète car les nouvelles techniques pour créer des OGM (Crispr-Cas9) coûtent moins cher à mettre en œuvre et peuvent déboucher sur des dérapages, malgré les brevets, et sans plus de sécurité. Il vaudrait mieux se tourner vers l’agroécologie et faire appel par exemple à des variétés anciennes aux fonds génétiques variés, cultivées en mélange pour des systèmes agricoles plus résilients et moins coûteux aux points de vue financier et environnemental.
Le parcours de Yves Bertheau
1979 Enseignant-chercheur à l’Ina-PG Paris (actuellement AgroParisTech) en phytopathologie.
1999 Rejoint l’Inra (Institut national de la recherche agronomique) pour mettre en place une équipe dédiée à la traçabilité analytique des OGM.
2009 Nommé au Comité scientifique du HCB (Haut conseil des biotechnologies).
2013 Publie le livre du programme européen « Co-Extra » qu’il a coordonné sur la coexistence des filières OGM et non-OGM.
2016 Démissionne du comité scientifique du HCB à cause des « nouveaux OGM » (type Crispr-Cas9).
Transgénèse, mutagénèse et nouveaux OGM
Les OGM les plus connus sont obtenus par transgenèse : il s’agit d’isoler un gène d’intérêt à partir du génome d’un organisme pour l’insérer au hasard dans le génome d’un autre organisme, de la même espèce ou d’une espèce différente. Au final, on obtient une plante, plus génériquement un organisme génétiquement modifié. La majorité des OGM actuels, soja, maïs, coton, riz et colza, sont prévus pour tolérer un herbicide ou résister à un insecte ravageur. Les nombreuses résistances d’adventices apparues obligent à recourir à d’autres combinaisons d’herbicides dont certains très toxiques. Des réalisations plus anecdotiques comme le riz doré, censé aider à lutter contre les carences en vitamine A, sont l’objet d’intenses polémiques car celle-ci peut être plus facilement combattue par la diversité de la nourriture. La France, comme la plupart des pays européens, s’oppose à la culture d’OGM sur son territoire bien qu’elle autorise leur importation.
Des variétés rendues tolérantes à des herbicides par des mutagenèses aléatoires sont actuellement cultivées sur plusieurs dizaines de milliers d’hectares. Ces variétés sont obtenues par la génération artificielle de mutations et d’épimutations via l’utilisation d’agents mutagènes (composés chimiques ou radiations). La société Aelred, par exemple, crée au Génopôle d’Evry des plantes mutantes telles qu’une variété de millepertuis qui induirait un moindre effet photosensibilisant chez l’humain lors de sa prise orale.
Enfin, de nouvelles techniques ont fait l’objet d’un rapport par le Haut Conseil des biotechnologies pour savoir si les plantes obtenues devaient ou non être qualifiées d’OGM. Il s’agit notamment de l’outil Crispr-Cas9 permettant de couper des gènes dans le génome d’une plante. En Europe, le sort de ces plantes dépendra probablement de l’avis rendu par la Cour de justice européenne. Aux États-Unis, le département de l’Agriculture a quant à lui déjà donné, en 2016, son feu vert à la commercialisation d’un champignon de Paris dont six gènes avaient été neutralisés pour qu’il ne brunisse pas après découpe.
Sources :
Genomic variation in 3,010 diverse accessions of Asian cultivated rice, Nature, 2018.