Plantes & Médicaments
Interactions plantes et médicaments : quand se montrer prudent ?
Ces dernières années, certaines plantes sont pointées du doigt, voire ostracisées, parce qu'elles interagissent avec certains traitements médicamenteux. Mais quel est ce risque exactement, avec quels médicaments et pour quels végétaux est-il le plus élevé ? Trois spécialistes passent en revue les plantes les plus couramment impliquées et nous expliquent ce à quoi nous devons vraiment prêter attention, sans pour autant nous inquiéter de façon disproportionnée.
La plupart des patients ne se posent même pas la question. « La possible interaction entre les plantes et les médicaments qu'ils prennent n'est pas une préoccupation, sauf pour ceux ayant un traitement lourd de type chimiothérapie », confie le Dr Sylvain Josso, médecin généraliste spécialiste en phytothérapie à Besançon. Éric Lorrain, médecin généraliste phytothérapeute à Grenoble et enseignant en phytothérapie depuis plus de vingt ans, fait le même constat : beaucoup de patients s'automédiquent avec les plantes et en oublient parfois totalement que ces dernières peuvent impacter leur traitement médicamenteux. Depuis quelques années, un fossé semble se creuser entre ceux qui font preuve d'une prudence « exagérée » et ceux qui pensent que les plantes ne « peuvent pas faire de mal ».
En tout cas, comme l'explique Florence Souard, créatrice de l'unique base de données francophone sur les interactions entre plantes et médicaments (voir encadré ci-dessous « Hedrine : une base de données pour les professionnels ») : « L'idée n'est pas de clouer au pilori telle ou telle plante, puisqu'il y a trois paramètres différents qui influent sur une interaction plante-médicament : la plante, sa galénique et le(s) traitement(s) pris par le patient. »
Le Dr Éric Lorrain estime aussi qu'il ne faut pas s'inquiéter de façon démesurée, mais qu'il est important de bien comprendre les enjeux : « Il serait dommage de se priver des plantes uniquement par peur ou manque de connaissances. Le tout est d'évaluer le niveau d'interaction et de savoir s'il est faible ou fort. Lorsqu'un patient prend plusieurs traitements avec molécules de synthèse en simultané, nous ajustons les doses ou évitons certaines associations, c'est le même procédé avec les plantes. » Par exemple, la reine-des-prés (Filipendula ulmaria) ou les plantes anti-inflammatoires comme le sureau ou la scrofulaire, peuvent interagir avec les anticoagulants. Mais les anti-inflammatoires de synthèse en vente libre comme l'Advil ou le Voltarène également. Et « rares sont les médecins qui vont interdire ces derniers chez une personne traitée par des anticoagulants », poursuit-il.
Aliments et compléments, c'est différent !
Une interaction entre les effets d'une plante et ceux d'un médicament se produit essentiellement quand on prend des extraits standardisés titrés, présents dans des compléments alimentaires ou des phytomédicaments. A contrario, la plante consommée lors d'un repas n'apporte, en général, pas assez de molécules actives pour interagir avec un médicament.
Ainsi, le curcuma (Curcuma longa ou aromatica) pris sous la forme de complément alimentaire, formulé pour être mieux absorbé, peut générer des interactions avec les anticoagulants, les anti-inflammatoires non stéroïdiens et les immunosuppresseurs. En revanche, pris sous forme de poudre et à des doses alimentaires, il est moins assimilé, donc ne pose pas de problème a priori.
La réglisse (Glycyrrhiza glabra), elle, présente des interactions reconnues avec les traitements anticancéreux, la chimiothérapie, les anticoagulants et la cortisone si elle est prise sous la forme d'extrait standardisé titré, mais pas sous forme alimentaire, en tisane ou en poudre. En revanche, même ainsi, elle peut impacter le risque d'hypertension. Mais comme le précise le Dr Éric Lorrain, « cela se gère très bien si vous voyez cela avec votre médecin ».
Modification du rapport bénéfice-risque
Les médicaments qui sont particulièrement sensibles aux interactions avec les plantes sont ceux dits « à marge thérapeutique faible ou étroite » comme la chimiothérapie, les immunosuppresseurs, les anticoagulants, les hormones thyroïdiennes ou la contraception orale. Avec ces derniers, une faible variation de la dose ou de la concentration peut entraîner une modification du rapport bénéfice-risque, et le médicament peut devenir toxique plutôt que bénéfique. Or beaucoup de plantes agissent au niveau du foie, là où se synthétisent également ces médicaments, ce qui explique une plus forte sensibilité aux interactions.
De façon générale, les phytothérapeutes considèrent que certaines plantes nécessitent plus de précautions d'emploi que d'autres. Ainsi, le très tendance curcuma (Curcuma longa ou aromatica). Il en est souvent question en consultation, quand on s'interroge sur une problématique d'interaction. Certes, comme le rappelle le Dr Josso, ce n'est pas la plante qui est à l'origine d'effets les plus marquants ; en revanche, un extrait de curcuma titré et standardisé – il ne s'agit pas ici de la forme alimentaire – peut vraiment jouer sur l'efficacité de certains traitements comme les anticoagulants, les anti-inflammatoires non stéroïdiens et les immunosuppresseurs. Pour autant, rien ne sert de s'alarmer à la lecture de termes comme « risque hémorragique ». En réalité, comme l'explique Éric Lorrain, cette mise en garde signifie que vous pouvez potentiellement avoir quelques saignements de nez. De plus, avec les plantes, il y a toujours des alternatives. Le Dr Josso propose ainsi, pour les problèmes articulaires, de remplacer le curcuma par de l'harpagophytum ou de la boswellie.
Pas de risques avec…
À force de dramatiser le sujet, on en oublie parfois qu'il y a également de très nombreuses plantes pour lesquelles il n'existe aucune interaction médicamenteuse connue. Selon le Dr Éric Lorrain (auteur du Grand Manuel de phytothérapie, éd. Dunod), on peut citer : le noyer (Juglans regia), connu pour réguler la glycémie et diminuer les troubles digestifs, l'orthosiphon (Orthosiphon aristatus), qui favorise l'élimination des calculs rénaux et biliaires, l'olivier (Olea europaea), utilisé pour réguler la tension, l'ortie en parties aériennes (Urtica dioica), qui aide à soulager les douleurs dues à l'arthrite et aux rhumatismes et facilite le fonctionnement des reins ou de la vessie en cas d'inflammation.
On peut également citer la petite centaurée, le plantain, le safran, le sureau, le thym, le tribulus, l'hamamélis, la cannelle de Ceylan, le cyprès, l'alchémille, le chrysanthellum, le cassis, la gentiane et le frêne.
Diminution de l'efficacité
Seconde plante la plus citée par nos trois experts, le millepertuis (Hypericum perforatum). Elle est la plus étudiée en matière d'interaction et elle agit fortement sur l'efficacité des médicaments. Comme le vulgarise le Dr Josso : « La plupart des interactions entre plantes et médicaments ont lieu car la plante agit sur ce que l'on appelle les cytochromes, sortes d'usines internes au corps qui détoxifient les molécules des médicaments ingérés. Une plante peut accélérer l'usine et le corps “s'empoisonne” doucement, ou ralentir l'usine, et l'efficacité du médicament est alors diminuée. » En l'occurrence, le millepertuis peut faire les deux et agir également au niveau intestinal, où se jouent d'autres processus de détoxification.
D'une manière générale, le millepertuis est contre-indiqué en association avec les anticoagulants, les immunosuppresseurs ou encore l'antidouleur Tramadol et peut interagir avec les antihistaminiques et certains antidépresseurs ou opiacés. Il diminue également l'efficacité des contraceptifs oraux, des statines, des antihypertenseurs ou de certains traitements des irrégularités du rythme cardiaque. Si vous prenez du millepertuis en même temps qu'un de ces traitements, informez-en impérativement votre pharmacien ou votre médecin. Vous pourrez être amené à vous orienter vers le safran ou la rhodiole.
Troisième plante avec laquelle il convient d'être prudent, l'actée à grappes noires (Actea racemosa), souvent recommandée pour gérer les symptômes de la ménopause ou les troubles du sommeil. Cette plante peut interagir avec le tamoxifène (le traitement le plus utilisé en cas de cancer du sein) et est d'ailleurs déconseillée en cas d'antécédents de cancer du sein ou de tumeur hormonodépendante. De manière plus large, toutes les plantes « œstrogène-like » (qui miment l'action des œstrogènes), comme le trèfle rouge ou la luzerne, sont à exclure en cas de traitements liés à ce type de cancers. À la place, on s'orientera plutôt vers le mélilot.
Parmi les plantes œstrogène-like figure également le ginseng asiatique (Panax ginseng), qui est l'une des plus couramment consommées en Europe, notamment dans les compléments antifatigue. Les interactions qu'il génère ne sont pas très fortes mais existent avec de nombreux médicaments, comme les anticoagulants antivitamines K, les antidiabétiques, les antihypertenseurs ou encore certains antidépresseurs. Si c'est le cas, optez plutôt pour de la rhodiole. L'échinacée (Echinacea angustifolia, E. purpurea) est également citée dans la littérature scientifique comme pouvant altérer l'effet des médicaments immunosuppresseurs, des corticostéroïdes et de certains antifongiques. Des interactions tout de même « peu significatives » sur le plan clinique selon le Dr Lorrain, qui rappelle que l'échinacée peut, au contraire, booster l'effet de certains médicaments comme les antiviraux ou les vaccins. L'astragale viendra toutefois en substitution si vous craignez ce mélange.
Opter pour des plantes alternatives
Septième plante citée par nos experts, la réglisse (Glycyrrhiza glabra) – sous la forme de complément alimentaire – peut interagir avec les traitements anticancéreux, les anticoagulants, la cortisone, les antihypertenseurs et certains antidépresseurs. Ceci dit, dans sa pratique, le Dr Lorrain n'observe « aucun problème particulier ». En revanche, demandez un avis médical si vous prenez un traitement contre l'hypertension artérielle. Comme alternative, pour vos problèmes d'estomac optez pour du plantain ou de la mélisse, et comme anti-inflammatoire pour des bourgeons de cassis. Enfin, la bacopa (Bacopa monnieri), très à la mode depuis quelque temps, notamment dans des préparations visant à favoriser la mémoire, peut par exemple augmenter l'efficacité de certains antidépresseurs ou hormones thyroïdiennes. Le Dr Éric Lorrain relativise le problème en conseillant alors d'ajuster la dose. Le safran reste toutefois une alternative.
Aussi, comme le montre ce tour d'horizon, un traitement à base de plantes est le plus souvent compatible avec un traitement médicamenteux, à condition d'en tenir compte. Prenez donc toujours la peine de consulter les notices qui indiquent souvent les interactions possibles, questionnez votre pharmacien et parlez-en à votre médecin traitant.
Hedrine : une base de données pour les professionnels
En 2013, Florence Souard, alors maître de conférence en pharmacognosie (étude des médicaments naturels et de leurs principes actifs, ndlr) à l'université de Grenoble, a créé la première base de données en France qui recense les interactions plantes-médicaments : « Hedrine » (Herb Drug Interaction Database). Face au désarroi de nombreux médecins qui peinent à trouver de l'information, elle recense dans cette base les études cliniques et cas rapportés dans la littérature scientifique.
Aujourd'hui, il y a environ 10 000 connexions chaque mois sur Hedrine et 15 experts travaillent à la rendre toujours plus complète. Seuls les professionnels de santé y ont accès. S'inscrire sur https://hedrine.ulb.be.