Compléments alimentaires
Les comprimés et ampoules sont-ils dépassés ?
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Depuis quelques années, de nouveaux compléments alimentaires aux formats et couleurs ludiques envahissent les rayons. Avec un véritable succès, notamment pour les gummies. Que faut-il penser d'une telle tendance ? En France, certains laboratoires ont décidé de s'y engouffrer, tandis que d'autres y résistent. On fait le tour de la question.
Le marché des compléments alimentaires ne cesse de croître, notamment depuis la crise du Covid. Pour attirer ces nouveaux consommateurs, des galéniques (modes de préparation et de présentation des remèdes) innovantes sont apparues dans les rayons. Inspirées de l'univers alimentaire, cette offre met en avant le « plaisir » grâce à des goûts et couleurs attractifs, des formats ludiques et nomades. On trouve ainsi les gummies, qui ressemblent à des bonbons gélifiés, les poudres à reconstituer dans de l'eau, les sticks, les sprays (à pulvériser sous la langue) ou encore les shots (mini-boissons à emporter de 15 à 30 ml).
Les gummies dégomment tout sur leur passage
Emblématiques de cette tendance, les gummies proposent, en une bouchée, une bonne nuit de détente ou des jambes moins lourdes. Sous leur innocente apparence, elles affichent une croissance annuelle mondiale à trois chiffres et remodèlent le monde des compléments alimentaires. Débarquées dans l'Hexagone en 2019, elles ont conquis près d'un quart de l'espace consacré aux compléments alimentaires pour le sommeil en pharmacie et plus de 40 % des multivitamines destinées aux enfants. Aux États-Unis, elles représentent déjà 20 % des ventes, tous formats confondus.
Lancés en France sous l'impulsion de jeunes start-up, ces nouveaux formats attirent aussi des laboratoires traditionnellement spécialisés en phytothérapie. À l'image de Santarome, qui a lancé en 2021 sa gamme de gummies bio et vegan, ou d'Arkopharma avec ses « phytogummies » au coquelicot pour les troubles du sommeil ou à la cranberry pour la prévention des infections urinaires. Selon Marion Nielsen, directrice marketing France d'Arkopharma, « prendre soin de soi en se faisant plaisir » est désormais une tendance lourde et le format « sympa » des gummies est très apprécié des plus jeunes.
Laure Caste-Ballereau, responsable communication du laboratoire Santarome, reconnaît ce côté très « marketing » des gummies, mais rappelle que « tout le monde ne supporte pas le goût des ampoules de radis noir et d'artichaut ». Fort de sa légitimité, son laboratoire a donc décidé de s'ouvrir à ces nouveaux consommateurs tout en produisant des gummies de qualité (100 % bio, vegan, sans conservateurs, écoresponsables et fabriqués en France).
Comment bien choisir ses gummies ?
Voici six critères à considérer pour sélectionner des gummies à la fois efficaces et dépourvus d'ingrédients nocifs pour la santé :
1. Pas de colorants ni d'additifs artificiels comme le E640 (un exhausteur de goût qui augmente le pouvoir sucrant des édulcorants) ou les E14XX (des additifs de texture dont certains sont suspectés de favoriser les maladies rénales et cardiovasculaires).
2. Une faible teneur en sucre et des sucres naturels (glycosides de stévia ou sucres d'alcool comme le sorbitol, manitol ou érythritol) plutôt qu'artificiels (sucralose, aspartame, acésulfame de potassium, saccharine, cyclamate, etc.).
3. Un laboratoire connu et reconnu pour son expertise (présent en pharmacie ou conseillé par un thérapeute spécialiste en micronutrition).
4. Une durée de prise courte
5. Pas plus de deux gummies par jour pour obtenir la dose d'actifs recommandée.
6. L'absence de minéraux comme le fer, le zinc, le magnésium ou le sélénium, pouvant engendrer un risque de surdosage.
Ampoules, comprimés et gélules sont-ils plus efficaces que les gummies ?
Cette nouvelle galénique est-elle aussi efficace que les anciennes ? Pour Michèle Delalonde, maître de conférences en pharmacie galénique à l'université de Montpellier, « tout dépend de l'effort mené en amont par le laboratoire ». En effet, même avec une formulation contenant les mêmes principes actifs, aux mêmes doses, « le choix des excipients, leur concentration et la façon dont on les assemble peut faire varier la biodisponibilité finale de 10 à 90 % ! ». Ainsi, « on ne peut pas vraiment dire qu'un gummy est moins bien qu'une gélule, cela dépend de l'expertise du laboratoire qui les développe ». Aurélie Guyoux, directrice R&D des laboratoires Arkopharma, confirme : cela a été un défi de développer un produit ayant le même standard de qualité et d'efficacité thérapeutique que les autres produits du laboratoire. Ainsi, pour que leurs gummies au safran contiennent la bonne quantité de safranal et de crocine, ils ont dû se tourner vers les stigmates de la plante et non la fleur entière.
Autre défi posé par le gummy : techniquement, il est difficile de dépasser les 10 % de principes actifs dans cette galénique, alors que d'autres formes (comme les gélules) en contiennent jusqu'à 50 % et d'autres (comme les poudres) près de 100 %. Comme l'explique Meghane Povill, chef de produit marketing chez Santarome : « Tout est une histoire de place. Les gummies ne permettent pas toujours de mettre autant de quantité d'actif que dans un comprimé ou une ampoule ». Le gummy est composé de 40 à 70 % de sucres (naturels ou synthétiques), de 5 à 10 % de gélifiant, de 10 à 15 % d'eau, de 5 à 10 % d'arômes, de 0,1 à 1 % de colorants et de 1 à 10 % de principes actifs. Ainsi, si vous avez des besoins spécifiques ou plus importants en termes de dosage, d'autres formes de compléments alimentaires peuvent être plus adaptées.
En revanche, à dosage égal – par exemple : 50 mg de magnésium dans un gummy et 50 mg dans un comprimé ou une ampoule –, on obtient la même efficacité et même une meilleure biodisponibilité des gummies, précise Meghane Povill ; car la « mastication permet une meilleure absorption des actifs ». Pour exemple, un essai clinique paru en mai 2019 dans la revue Nutrients a démontré que des gummies à la vitamine D3 avaient une biodisponibilité jusqu'à deux fois plus élevée que leur équivalent en comprimés.
Nouveaux consommateurs, nouvelles galéniques
Il y a dix ans, 22 % des Français consommaient des compléments au moins une fois dans l'année. En 2022, ils sont désormais 60 %, dont 42 % pour la première fois. Selon un sondage effectué pour le Synadiet, les formats préférés restent l'ampoule pour sa facilité de prise et le comprimé (effervescent ou non) pour sa praticité, suivis des sachets à diluer (qui ont la plus forte image en termes d'efficacité). Les gélules sont appréciées pour leur rapidité d'action mais vues comme moins efficaces et « sérieuses ».
Les consommateurs réguliers atteints de maladies chroniques préfèrent le comprimé effervescent.
Chez les consommateurs occasionnels (pour la beauté ou les petits maux quotidiens), le gummy est déjà devenu la galénique favorite (à 51 %), pour sa « facilité d'action » et la « nouveauté » de ses ingrédients actifs. Les nouvelles galéniques ludiques semblent donc surtout répondre à la demande d'un nouveau type de consommateur, plus occasionnel et moins expérimenté.
Les gummies : trop sucrés et moins stables ?
Le principal défaut des gummies, ce sont les sucres qu'ils contiennent (2 à 8 grammes par unité) qui favorisent les caries, voire certains troubles gastro-intestinaux quand ce sont des substituts comme le sorbitol. C'est pourquoi si vous souhaitez en consommer, mieux vaut opter pour ceux contenant des sucres naturels (comme le maltitol issu du maïs) et ne pas en consommer sur de trop longues périodes (lire l'encadré ci-dessus).
Des tests réalisés en 2023 aux États‑Unis par deux laboratoires indépendants ont également révélé que quatre gummies sur cinq contenaient soit plus, soit moins de principes actifs que les doses indiquées (souvent plus). Des gummies à l'acide folique destinés aux femmes enceintes contenaient ainsi jusqu'à deux fois la dose ! En cause, une moins bonne stabilité dans le temps des actifs dans cette galénique qui pousserait certains laboratoires à renforcer les doses initiales. Or, comme l'explique la spécialiste Michèle Delalonde, cela pose problème pour certains minéraux comme le sélénium ou le magnésium, pour lesquels il ne faut « surtout pas dépasser les doses ».
Alors que huit consommateurs sur dix ne finissent par leur cure de complément alimentaire, l'autre atout des gummies, c'est qu'ils permettraient une meilleure observance. Mais comme le conclut plus globalement Michèle Delalonde : « Agréable à consommer ou non, si un complément alimentaire ne remplit pas son rôle d'efficacité, au bout d'un moment le consommateur l'abandonne, tout simplement ». Or, en matière de principes actifs, certaines galéniques conservant le totum de la plante (l'ensemble de ses parties) sont réputées être « toujours plus efficaces », explique la spécialiste. Ainsi, les gummies semblent surtout adaptés aux publics totalement réticents aux autres galéniques, de préférence pour des cures courtes.
Et l'écologie dans tout ça ?
Si le gummy fait figure de nouveau venu « tendance » dans le monde des compléments alimentaires, rappelons qu'il est largement inspiré d'une galénique plus ancienne : la gomme. Un classique un peu rétro que certains remettent au goût du jour. Comme le laboratoire Deva, qui a récemment lancé sa gamme de gommes aux fleurs de Bach et élixirs floraux pour répondre à une demande des clients tout en veillant à « une formule la plus naturelle possible avec de la gomme arabique et du sirop d'érable », explique Céline Sallée, responsable communication du laboratoire.
Au cœur des Hautes-Alpes, le laboratoire producteur Herbiolys préfère également les galéniques plus authentiques et nécessitant le moins de transformations possible de la plante. Céline Bouyssonie, naturopathe et responsable de la marque (certifiée Nature & Progrès), reconnaît que certains extraits hydroalcooliques de plantes fraîches comme la valériane, la lavande, le noyer ou le pissenlit sont « un peu rudes ». Malgré tout, elle refuse de se lancer dans cette tendance et ne cherche absolument pas à rendre ses galéniques plus agréables au goût. « Ces nouvelles galéniques sont pratiques, mais aussi très gourmandes en énergie lors de leur fabrication. Nombre de laboratoires semblent déconnectés de la réalité du terrain et de la nécessité de préserver les ressources. Mettre quelques gouttes d’extraits de plantes dans un verre d’eau n'est pas plus compliqué si l'on veut continuer à prendre soin de soi avec les plantes, il faut prendre soin de la nature en retour », conclut-elle. Bien que la vogue des compléments alimentaires permettant de concilier effet thérapeutique et plaisir apparaisse de plus en plus comme une tendance de fond, les partisans de l'authenticité et de la valorisation de la plante n'ont pas dit leur dernier mot…