Décès de l’ethnobotaniste Pierre Lieutaghi

C’est une figure, un maître de l’ethnobotanique, science qui étudie les relations entre l’homme et les plantes, mais aussi un écrivain, un penseur, qui vient de s’éteindre. Pierre Lieutaghi est mort à 84 ans, dans la nuit du 13 au 14 novembre, à Mane, dans les Alpes-de-Haute-Provence, où il vivait depuis plus de quarante ans.

Il n’a que 27 ans quand il publie un premier ouvrage, Le livre des bonnes herbes, qui, d’emblée, affirme sa façon très personnelle d’envisager le monde des plantes et l’importance de leur rôle dans nos sociétés. Une approche empreinte d’amour pour ces « créatures vivantes » qu’il a toujours cherché à mieux faire connaître. Cet autodidacte, ayant eu pour école la nature et les bibliothèques, notamment celle des Conservatoire et jardin botaniques de Genève, avait aussi à cœur que cet apprentissage soit un plaisir. Dans Le livre des bonnes herbes, qui a fait l’objet de trois rééditions, l’ethnobotaniste décrit plus de 170 simples. Dans un style à la fois littéraire et très vivant, qui est aussi sa marque, il y fait preuve d’un don rare d’observation des plantes dans leur environnement et d’une finesse d’analyse quand il s’agit d’évoquer leur place et leurs usages passés, allant du soin à toutes sortes d’autres rôles. Mais, loin de rester dans le passé, il défend aussi l’idée de l’importance de ce savoir dans une perspective d’autonomie.

Avec cette idée toujours très moderne, il a beaucoup contribué à poser les bases d’un renouveau de l’herboristerie, la faisant sortir de la seule connaissance des recettes de remèdes pour lui donner une vocation beaucoup plus profonde qui continue de faire des émules. « Entre 1976 et 1986, il a organisé des stages au cours desquels il transmettait sans filtre son savoir. Ces formations vont susciter de nombreuses vocations et sont à l’origine du syndicat Simples », rappelle le paysan herboriste qui l’a bien connu Thierry Thévenin. 

Enquêtes sur la végétation en France

L’acuité de son regard et de son savoir lui vaut d’être rattaché au Muséum national d’histoire naturelle, à Paris, ainsi qu’à l’Institut d’ethnologie méditerranéenne et comparative d’Aix-en-Provence. Mais faute de diplôme universitaire, et bien que reconnu par ses pairs, il ne peut briguer un autre statut. Qu’à cela ne tienne ! Dans les années 1980, le ministère de la Culture souhaite préserver et valoriser le patrimoine culturel que représente le savoir sur les plantes. Pierre Lieutaghi va alors piloter, en tant que référent scientifique, plusieurs grandes enquêtes ethnobotaniques un peu partout en France. « Peu de personnes ont une aussi bonne connaissance de la végétation de notre pays et de sa dynamique évolutive », note Thierry Thévenin.

Contact avec les herbes et écriture

Très attaché au patrimoine naturel et aux traditions de Haute-Provence, il s’est investi dans le musée du Salagon, à Mane, un établissement culturel dédié aux liens entre la nature, l’histoire et les hommes de la région. Pierre Lieutaghi faisait partie du conseil scientifique depuis que le site avait obtenu, en 1996, le label Ethnopôle, dédié plus particulièrement aux savoirs concernant la nature et la botanique. Depuis 2001, le séminaire d’ethnobotanique lui tenait particulièrement à cœur et il en a rédigé chaque note d’intention. Le lieu accueille également un jardin remarquable dont l’aménagement s’appuie sur ses travaux dédiés à la pharmacopée populaire en Haute-Provence.

Alternant travail de terrain et écriture, il nous laisse une quinzaine d’ouvrages remarquables, dans lesquels on retrouve toujours son regard affûté, approfondissant les connaissances sur les relations entre les plantes et les sociétés humaines, embrassant les approches ethnologique, écologique et sociologique. 

Ces dernières années, alors qu’il se battait contre un cancer, il suivait plutôt sa pente littéraire, au travers de romans naturalistes. Son dernier livre, Montée des eaux, sorti début 2023, raconte la vie se réorganisant dans un petit village des Alpes confronté à une inondation géante. Un livre plein d’espoir dans lequel la solidarité, associée à la richesse des plantes, amène des transformations positives. « Quand l’avenir se rue sur nous avec le désert aux trousses,mieux vaut sentir dans son dos l’aubépine que le mur de nos certitudes », avertissait-il déjà dans un précédent livre.  

Pierre Lieutaghi en était convaincu, renouer une véritable alliance entre l’homme et les plantes ne peut que nous aider à nous réconcilier avec notre humanité.