Pollution
Sites pollués, que peut-on attendre des plantes ?
Zinc, cadmium, plomb… Plus de 300 000 sites qui abritaient des industries minières, métallurgiques, pétrolières ou chimiques sont aujourd'hui pollués en France. Sans compter les microplastiques. Afin d'améliorer la qualité de notre environnement, des experts utilisent les végétaux pour contenir, extraire ou dégrader les polluants dans le sol. Explications.
Des sites miniers du nord de la France aux zones aquatiques des calanques marseillaises, de plus en plus de sites pollués de l'Hexagone expérimentent des méthodes de « phytomanagement » pour limiter la pollution afin de rendre ces endroits à nouveau habitables, cultivables ou de les transformer en espaces verts sans danger.
Parmi les sujets d'importance en termes de pollution diffuse dans notre environnement figurent les plastiques. Actuellement, seul 9 % du plastique produit chaque année dans le monde est recyclé. Une grande partie de ce plastique finit dans la nature, se décompose en petits morceaux qui deviennent des micro et nanoplastiques pouvant être absorbés et ingérés par les animaux et les humains. Comme l'explique la spécialiste Hélène Roussel, cheffe de projet « Sites et sols pollués » à l'Agence de la transition écologique (Ademe), les microplastiques sont une véritable préoccupation en termes de pollution car ils sont à la fois des polluants physiques par les microparticules concrètes qu'ils constituent, des polluants chimiques (car ils relarguent des additifs comme les phtalates, bisphénols, métaux, etc.) et des polluants microbiologiques, étant porteurs de bactéries et virus.
Quatre processus par lesquels les végétaux aident à gérer les pollutions
La phytoextraction
Les racines des plantes puisent les polluants du sol et les stockent dans leurs tiges et feuilles.
• Technique utile pour les métaux de type zinc, cuivre, cadmium et radioéléments (césium, uranium).
• Végétaux : peuplier, tabouret bleuâtre (Noccaea caerulescens), alysson des murs (Alyssum murale).
La phytostabilisation
Les végétaux absorbent puis séquestrent les polluants dans leurs racines, donc dans le sol. Cette technique préserve la chaîne alimentaire et les nappes phréatiques en évitant à la pollution de remonter à la surface et d'être dispersée par le vent ou les pluies.
• Technique utile en cas de pollution par arsenic, nickel ou radioéléments de type uranium. Appliquée aux étendues d'eau, elle est appelée « rhizofiltration ».
• Végétaux : saule, peuplier, aulne, acacia, érable, trèfle, maïs, tournesol, poacées, agrostide commune (Agrostis capillaris et gigantea), herbe aux éléphants (Miscanthus), pelargonium.
La phytodégradation
Certains végétaux accélèrent la dégradation des polluants. Ils les absorbent puis les dégradent grâce à des enzymes qu'ils sécrètent en interne ou grâce à des alliances avec d'autres micro-organismes présents dans le sol, près de leurs racines.
• Technique utile face aux polluants organiques : hydrocarbures, pesticides, explosifs.
• Végétaux : luzerne, trèfle, peuplier, saule, carex, papyrus, maïs, blé.
La phytovolatilisation
Les racines des végétaux absorbent les polluants puis les dirigent vers les feuilles où ils sont expulsés sous forme d'éléments volatils. Ces éléments, rendus moins nocifs par cette « filtration naturelle », sont relargués dans l'atmosphère.
• Technique utile contre les polluants organiques : pesticides, métaux, explosifs.
• Végétaux : tabac, saule pleureur.
Microplastiques, métaux, hydrocarbures, pesticides : phytomanagement de la pollution
Des chercheurs pensent que les plantes pouvant absorber ces microplastiques dans leurs tiges et racines pourraient compléter efficacement les méthodes existantes pour éliminer ou limiter le plastique de notre environnement (lire encadré ci-dessous). Toutefois, pour Hélène Roussel, si les plantes, comme tous les êtres vivants, « assimilent les microplastiques » car « leur transfert physique est possible via leur petite taille », cela pose tout de même une question : « Que faire de ces plantes une fois qu'elles ont absorbé les microplastiques ? Décharge ? Incinération ? » Et dans ce cas, prévient-elle, « attention aux fumées et aux cendres ». « Pour le moment, il n'y a pas de solution miracle », rappelle l'experte. Comme avec la dépollution des métaux, il faut bien que le polluant soit extrait de la plante à un moment donné. C'est pourquoi elle préfère parler de « stabilisation » ou de « gestion par les plantes » (phytomanagement) plutôt que de « phytoremédiation » (ou dépollution) à proprement parler.
Pour les polluants tels que métaux, hydrocarbures, pesticides, herbicides, etc. (polluants dits « organiques »), c'est le même principe. Cécile Grand, cheffe de projets sols et sites pollués à l'Ademe, préfère elle aussi parler de phytomanagement, c'est-à-dire d'opération de gestion de la pollution, plutôt que de dépollution à proprement parler. En effet, certaines plantes peuvent contenir, extraire ou dégrader des polluants présents dans les sols, qu'ils soient organiques, métalliques ou même parfois radioactifs. C'est le cas à Fukushima, au Japon, où depuis 2017, suite à la catastrophe nucléaire, le projet français Demeterres est parvenu à diminuer de moitié la radioactivité des terres traitées grâce à des mousses végétales.
Le phytomanagement est aussi utilisé sur des sites nucléaires en cours de démantèlement en France. En fonction de leurs propriétés, les plantes vont concentrer, accumuler, stabiliser voire transformer, dégrader ou volatiliser ces polluants (lire l'encadré ci-dessus). Certains végétaux cumulant ces quatre qualités, les scientifiques les choisissent en fonction des objectifs à atteindre sur le site pollué mais aussi des propriétés du sol traité (fertilité, pH, réserves en eau et oxygène, etc.).
Ces techniques font l'objet de recherches, en France et à l'international, depuis les années 1990, principalement pour gérer la pollution des sites agricoles, miniers ou industriels pouvant couvrir de quelques mètres carrés à des dizaines d'hectares. Depuis 2010, l'Ademe accompagne ainsi 230 friches françaises en reconversion grâce à des subventions et des aides à la dépollution, mais les projets faisant appel aux plantes restent très minoritaires. Notre pays n'est pas particulièrement à la traîne sur le sujet mais, en 2010 encore, seul 0,3 % du volume des terres traitées pour dépollution l'était par phytomanagement.
Fèves, jacinthes et lentilles d'eau, reines de la dégradation des plastiques ?
Selon une étude publiée récemment par des chercheurs danois et chinois, la fève (Vicia faba) peut adsorber des particules nanoplastiques de 100 nanomètres en deux jours. Si la fève n'absorbe pas les polluants, ces derniers adhèrent à ses racines, d'où le terme d'« adsorption ». D'autres plantes comme le blé et la laitue peuvent fixer les particules de plastique à leurs racines ou les absorber, en partie, dans leurs feuilles ou leurs tiges. Elles pourraient être plantées au bord des autoroutes où se retrouvent de grandes quantités de microplastiques à cause des pneus des voitures.
Les plantes aquatiques présentent aussi un intérêt particulier car on trouve souvent des concentrations plus élevées de particules de plastique dans l'environnement aquatique. C'est le cas de la jacinthe d'eau (Eichhornia crassipes, ou camalote) et de la lentille d'eau (Lemna minor), qui pourraient être placées le long des cours d'eau. Ce qui ne doit pas nous dispenser de chercher à réduire les pollutions plastiques.
Diminuer les poussières toxiques, absorber un maximum de polluants : le rôle des plantes
Trois cas sont fréquemment rencontrés. Tout d'abord, les anciens sites miniers, où les sols sont très peu fertiles. Ils subissent généralement d'abord une excavation des terres, la couche supérieure du sol est extraite et évacuée, les plantes viennent ensuite parfois en complément pour réduire les risques sanitaires et environnementaux. Le rôle des plantes peut consister, par exemple, à diminuer l'émission de poussières émanant du sol et contenant des polluants. Dans les projets de reconversion des friches urbaines, où il est préférable de maintenir le sol en place, les végétaux sont plutôt utilisés pour améliorer la qualité des sols tout en assurant une innocuité sanitaire et environnementale.
Des espèces végétales y sont alors plantées en abondance pour créer un espace renaturé, parfois interdit à la fréquentation humaine, ou parfois traversé via des « corridors écologiques de végétation » qui obligent à emprunter tel ou tel chemin et limitent la fréquentation des parties les plus polluées du site. Le troisième cas est celui des sites pollués qui peuvent maintenir un usage agricole et où l'on cultive des végétaux à forte biomasse comme le tabac, le tournesol, le maïs, le colza, le sorgho ou le miscanthus. Ces végétaux permettent d'absorber un maximum de polluants en assurant l'absence de risque sanitaire et environnemental, tout en produisant beaucoup de matière végétale, ensuite utilisée par l'industrie comme énergie pour faire chauffer des chaudières (chaudières à biomasse) ou produire de nouvelles molécules chimiques (comme des produits phytosanitaires) ou de nouveaux matériaux (comme le chanvre).
Un processus vertueux, mais long et coûteux
Le site est alors stabilisé dans sa pollution et retrouve un usage. Le phytomanagement étant certes vertueux mais long et coûteux, les chercheurs cherchent à valoriser de tels sites pour y produire des végétaux qui deviennent utiles ou revalorisables. C'est le cas du projet Dephytop à Évin-Malmaison (62), dans le bassin minier Metaleurop, où coriandre et angélique ont été plantées pour être transformées en huiles essentielles (HE). Ces plantes, qui ont la particularité de stabiliser les polluants comme le cadmium dans le sol, sont ensuite utilisées en agriculture comme herbicides et antifongiques. De tels projets ont toutefois leurs limites, comme l'explique Cécile Grand. Lorsqu'il a été question de proposer ces huiles essentielles à des industriels pour un usage cosmétique, malgré un respect des normes dans le produit fini, il y a eu de « fortes résistances » de la part des industriels qui trouvaient difficile de faire accepter à leurs clients la provenance de ces plantes.
Îlots de fraîcheur… et de culture
D'autres projets sont, a contrario, de grands succès et certains sites plus urbains, une fois végétalisés, deviennent de véritables îlots de fraîcheur, bienvenus en ces temps de réchauffement climatique. C'est le cas depuis 2019, à Nantes, où une ancienne carrière minière utilisée depuis des siècles à des fins industrielles s'est transformée en « jardin extraordinaire » (P&S n° 230) où les plantes jouent un rôle important (lire l'encadré ci-dessous).
Autre exemple, celui du parc du Haut-Fourneau U4, à Uckange, en Lorraine. Ouvert à la visite depuis 2007 et devenu un véritable lieu artistique et culturel, il a abrité une usine sidérurgique de 1890 à 1991, explique Sonia Henry, responsable scientifique à l'Université de Lorraine, qui participe à la gestion de sa pollution. Plus de 200 espèces végétales locales ont déjà naturellement recolonisé le site, dont de nombreuses orchidées de type Epipactis, attirées par le pH basique du sol. Des Miscanthus giganteus (herbe à éléphants), sont plantés pour les accompagner, ainsi que des Alyssum murale, une espèce des Balkans très efficace pour gérer la pollution au nickel. Véritable lieu pilote d'expérimentation (principalement contaminé par du zinc, du cuivre, du chrome et du cobalt), des associations et chercheurs viennent y planter des « jardins forêts » visant à observer la façon dont les végétaux que l'on peut consommer (champignons, groseilles, figuiers, etc.) y absorbent la pollution.
Une véritable extraction puis revalorisation de certains métaux est pratiquée sur le site des anciens hauts-fourneaux U4. Certaines plantes sont arrachées puis brûlées de façon spécifique par la start-up française Econick. Cette technique permet d'en retirer le nickel qui est réutilisé pour des alliages métalliques, comme traitement de surface pour les verres de lunettes ou comme colorant du verre utilisé dans l'industrie locale. Comme le conclut Leslie Sieja, médiatrice au parc U4 : « La nature n'a pas fini de nous étonner. » Elle qui fait visiter le site aux groupes de scolaires ou riverains se plaît à détailler les « superpouvoirs » des plantes qui montrent qu'il existe « des solutions concrètes, sans danger pour l'homme et la nature, et qu'il faut tout mettre en œuvre pour que ces dernières puissent se diffuser le plus largement possible ».
À Nantes, une carrière transformée en bassin
Depuis 2019, les Nantais bénéficient d'un exemple réussi de site dépollué, rendu à la nature et à ses habitants. L'ancienne carrière de granit « Misery », en activité du XVIe au XXe siècle, est devenue un lieu de promenade arboré et agrémenté d'une cascade de 25 mètres de haut coulant depuis ses falaises qui offrent un beau point de vue sur la Loire (relire P&S n° 230). Bientôt, à l'automne 2025, la seconde partie ouest du parc complétera cet îlot de fraîcheur grâce à un hectare d'ombre végétalisée, un marais humide aux airs de mangrove ainsi qu'une forêt de laurisylve.
Le tout sera agrémenté d'un grand bassin naturel de 700 m² – d'une profondeur maximale de 40 cm – où il sera possible de se baigner. Afin de garantir une qualité d'eau conforme aux normes de baignade, le système utilisera une circulation d'eau en circuit fermé, filtrée à travers un jardin d'eau grâce à des végétaux plantés sur place dont des papyrus, laiches, joncs, plantains d'eau, menthes aquatiques, trèfles d'eau, acores (Acorus calamus) et grandes glycéries (Glyceria maxima).