La Corse mise sur sa richesse aromatique
Engagés dans la valorisation du patrimoine végétal de l'île de Beauté, chercheurs, entrepreneurs et agriculteurs influent sur la destinée de certaines plantes aromatiques et médicinales endémiques. Reportage en plein cœur du maquis.
Pourtant communément appelée hélichryse italienne, l’immortelle est devenue en quelques années la plante phare du maquis corse, apportant par la même occasion une nouvelle ressource à l’île de Beauté. Cette petite fleur jaune sauvage ayant accepté d’être cultivée – non sans mal ! – 800 kilos d’huile essentielle sont produits sur le territoire par an, ce qui représente les deux tiers du chiffre d’affaires global.
Depuis que la marque L’Occitane en a démontré les propriétés antirides, l’immortelle est employée par l’industrie cosmétique dans de nombreux produits, ou directement par les utilisateurs. Elle séduit aussi pour son action cicatrisante et régénératrice de la peau, idéale contre la couperose, les hématomes, les varicosités, l’acné et les coups de soleil. Autant d’atouts qui font grimper la demande d’année en année. En Corse, les 200 hectares de production actuels – dont les deux tiers sont cultivés par l’heureux agriculteur Stéphane Acquarone autour d’Aléria et de Ghisonaccia sur la plaine orientale et dans le sud de l’île, non loin de Figari – vont passer à 300 hectares d’ici quelques années.
Pour autant, économiquement, la monoculture de l’immortelle reste risquée. « Rien ne nous dit que le marché ne va pas changer », lance le chercheur Félix Tomi. Ce professeur de chimie à l’université de Corse-Pasquale-Paoli, située à Corte, Ajaccio et Biguglia, travaille à la valorisation d’autres plantes spécifiques à l’île. Trente d’entre elles sont déjà mises en avant en aromathérapie, dont l’inule, le genévrier nain, la menthe aquatique, le pin laricio, la clémentine et la mandarine.
Des trésors à recueillir et valoriser dans le maquis Corse
À quoi tient cette richesse de la flore en Corse ? Au climat méditerranéen qui borde le littoral puis enveloppe la chaîne montagneuse traversant l’île dans sa diagonale et culminant à 2 710 mètres. Quelques marques locales ont su en tirer profit, comme Fleurs de Maquis et Corsica Essences, créées en 2005 par Patrick Paquet et sa famille – leurs produits sont désormais vendus aux quatre coins du monde.
Depuis Giovicacce, petit village de la vallée du Haut-Taravo, du côté d’Ajaccio, ces amoureux de la nature conçoivent cosmétiques et parfums d’après plusieurs plantes, dont le calament de Corse (Clinopodium corsicum), le pistachier lentisque >(Pistacia lentiscus) et la criste marine (Crithmum maritimum). Ces dernières font partie des 22 trésors à protéger cités dans la charte de la cueillette de l’Office de l’Environnement de la Corse, organisme engagé au côté du Syndicat des plantes à parfums aromatiques et médicinales dans la valorisation du patrimoine végétal insulaire. Pour sa part, l’université de Corse pilote depuis 2017 un projet d’envergure regroupant 25 chercheurs, parmi lesquels 7 doctorants. Nommé Agriex (acronyme associant agriculture et excellence), ce programme mené avec le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) cible les ressources naturelles végétales, dont les plantes aromatiques et médicinales. En fait, c’est tout un écosystème qui existe désormais autour des productions locales sauvages : scientifiques, entrepreneurs, agriculteurs, commerces et étudiants ont « pris » le maquis avec succès depuis quelques années. Cette démarche vertueuse a donné naissance à différents projets, comme la réintroduction d’une ancienne méthode d’extraction à froid d’essences d’agrumes ou la création, au sud de l’île, d’une nouvelle unité de production pour fabriquer des cosmétiques à base de plantes corses. Certains travaux sont encore au stade expérimental, tels ceux menés sur les tourteaux d’olives (résidus solides de l’extraction) en vue d’aboutir à une gamme de produits dérivés, ou ceux sur des molécules présentes dans les algues marines et les sarments de vigne. Ainsi, de la viticulture à l’agrumiculture en passant par l’oléiculture, nombreuses sont les filières aujourd’hui intéressées par la flore corse. Une situation liée en partie au fait que le territoire est globalement épargné par les pesticides. « Ici, toutes les productions aromatiques sont bio. Elles se portent à merveille, et n’ont besoin d’aucun supplément chimique », assure Félix Tomi. La dernière étude de l’Institut national de la recherche agronomique (INRA), parue cet été, montre que l’agriculture bio donne d’aussi bons résultats que la traditionnelle, tout en engendrant moins d’agents pathogènes (champignons, bactéries) que les champs inondés de substances chimiques. Des résultats sonnant comme une évidence, ici, et confirmant la qualité des huiles essentielles corses, devenues très recherchées. La deuxième plante la plus produite sur l’île après l’immortelle est le romarin à verbénone (Rosmarinus officinalis verbenoniferum). Le plus puissant des romarins présente des principes biochimiques particuliers, notamment un fort taux de cétones monoterpéniques, qui en font un remède très efficace aux nombreuses indications thérapeutiques : utile pour soigner la bronchite, la sinusite ou l’hépatite virale, il l’est encore pour réguler l’arythmie cardiaque ou calmer la fatigue nerveuse. En troisième position arrive le myrte commun (Myrtus communis), un grand purifiant qui pousse bien sur l’île. Les huiles essentielles qui en sont issues ainsi que leurs hydrolats ou eaux florales sont produites par quinze distilleries telles que Vitalba, installée depuis douze ans au sud de la Corse (photo d'ouverture de Luc Pantalacci). À côté de l’immortelle, la menthe locale très aromatique est à l’étude, car elle présente de nombreux atouts pour élargir la gamme des huiles essentielles et créer de nouvelles cultures. À l’instar de la menthe poivrée, de la menthe pouliot et de la menthe verte, Mentha requienii a des vertus antibactérienne, antifongique, rafraîchissante, dynamisante et équilibrante pour le mental. La menthe Corse se distingue cependant de ses sœurs : les chercheurs ont ainsi découvert que ses molécules empêchent la communication entre les mauvaises bactéries. Une publication devrait bientôt faire état de cette singulière propriété. De l’autre côté de l’île, à San Giuliano, l’Inra abrite le plus grand conservatoire d’agrumes d’Europe : un verger de cédrats, clémentines, citrons verts, pomelos, bergamote, kumquats… Plus de 5 000 végétaux acidulés sont ainsi conservés en plein champs. À partir de ce patrimoine génétique exceptionnel, les chercheurs de l’université de Corse ont réalisé plusieurs avancées scientifiques. Pour cela, explique Felix Tomi, « nous avons remis en pratique la distillation des agrumes à froid, un procédé qui a disparu dans la plupart des pays. Cette méthode donne de très bons résultats, car les molécules aromatiques sont préservées. Le top pour l’aromathérapie, l’olfactothérapie et la parfumerie ! Ici, nous valorisons tous les fruits, y compris les “moches” d’habitude rejetés. En ce moment, nous travaillons plus particulièrement avec le cédrat, le pomelo et l’orange ». La dynamique aujourd’hui en place sur l’île témoigne, une fois encore, de la belle qualité de « rassembleuse » de la nature, pour peu qu’on s’en préoccupe.Un vaste programme pour l'université de Corse
Une biodiversité aromatique bio
La menthe corse, une plante à suivre
Huiles d’agrumes corses